Foin des frontières : icite à Lyon c'est le tunnel qui nous promène.

Citoyens-rats, nous parcourons autant de chemin sous terre que dessus. Je sais … Les Parisiens aussi, et même davantage. Mais nous, ce n’est pas pareil : on n’a que quatre lignes de métro, mais une pleine bachassée (1) de tunnels. Oui, je sais : à Paris aussi, St-Cloud etc. Mais les nôtres, de tunnels, ils sont la plupart du temps en forte pente. Et toc.

Mon préféré est celui de la «Ficelle» de St-Jean, courte mais raide percée reliant le Vieux-Lyon à Fourvière en deux minutes de wagon hissé sur un système à crémaillère à la force d’un câble gros comme mon bras (pour ceux qui me connaissent).

Je l’aime d’abord pour sa trajectoire rustique au sein tiède de la roche. Le tunnel est assez brut, tout du long le wagon frôle la pierre, on est comme dans une grotte. L’odeur prenante de la terre et du minéral humide accompagnent le voyage. Alors on est rats, mais des champs.

Au sommet, dans une fosse en bout de station, une mécanique simple d’apparence, constituée de deux roues géantes flanquées de freins à friction dont la surface pourrait porter deux gaufriers attelés (pourquoi des gaufriers, je vous le demande, et pourquoi pas, je vous le redemande), assure le roulement du câble et la traction des rames qui s’ensuivent (normalement).

Chaque roue de ce vélo gargantuesque possède une gorge profonde dans laquelle le câble noir, tissé et retordu par mains de géants, tressaute à l’aise dans pas mal de graisse plus noire encore. C’est huilé, c’est costaud, c’est suisse et ça tourne en silence en se donnant à voir, à peine protégé par quelques barrières symboliques. Ah la belle tentation, des roues pareilles ça donne envie de chevaucher le moyeu (parapèterie de facture classique, vous me l’accorderez).

Grâce à cet ingénieux dispositif reposant sur un principe du genre contrepoids, lorsque la rame aval prend du service à la montée, celle d’amont se trouve invitée à descendre et vice-versa. On se croise donc à mi-chemin, un peu poussivement, en essayant d’imposer silence, dans nos esprits inquiets, à l’hypothèse d’un câble sectionné (au demeurant, faudrait une sacrée lime !) dont le dernier brin, en état de surtension maximale, finirait par péter…

Le surnom lyonnais de « ficelle », c’est à cause de ce câble de traction, justement. A Lyon, on est des contre-marseillais, et pas que pour le foot. Aux antipodes de l’emphase sudiste, nous faisons dans la « diminuation » discrète : on chuchote nos mérites ; on tait nos records, on réduit nos ambitions. C’est notre côté «Nord de la Loire». Un câble de 120 mm de diamètre est appelé ficelle. Le tramway, partout en France prononcé «tramouet », devient à Lyon « tram’vet » : on a recoupé en deux le « w » par mesure d’économie… Quant à la pub, c’est de la réclame. Et encore : les clients des agences demandent une réclame «qui se voye pas de trop» (authentique : c’est ce qu’avait commandé un tisseur de chaussinettes à un créatif de ma connaissance dans les années quatre-vingt).

Dans la Ficelle de St-Jean, on est assis à quatre de front mais les uns derrière les autres, comme une noce de campagne. Les banquettes sont de quoi ? De bois. Des farceurs en ont cintré certains dossiers ; aussi mieux vaut ne pas s’adosser (ce qui se comprendrait pourtant, dès lors qu’il existe un dossier), car il arrive qu’on se retrouve, au premier tour de roue, en position «VIP dans un avion de ligne», je veux dire : semi-couché. Essayer de se redresser pendant l’ascension est inutile. Il vaut mieux se donner l’air d’être allongé exprès comme l’inspecteur Clouzeau dans certain épisode de la Panthère Rose.

Deuxième tunnel : Minimes-St-Just : r.à.s. Une réplique du précédent, avec un arrêt chez les Romains antiques. On signalera tout de même la beauté de la pierre et le point de vue imprenable, avant que la ficelle s’enfonce dans le tunnel, sur les cuisines des maisons proches de la ligne (à l’heure des repas l’on peut compter les petits pois dans les assiettes des riverains).

Allez, un autre : le tunnel de Croix-Paquet, qui vous hissera, par la ligne de métro C, jusqu’à la Croix-Rousse.

Celui-là, je l’affectionne vraiment. Ancienne «ficelle», de prime abord il n'a rien de remarquable. Mais à la différence des funiculaires de St-Jean, il s’agit d’une vraie ligne de métro équipée de rames modernes.

A ce titre, ses sièges sont disposés en vis-à-vis. Aussi tous les habitués de la ligne C savent-ils qu'il faut impérativement s’asseoir dans le sens de la marche à la montée, et dans le sens inverse si vous descendez. Vous me suivez ? Sinon, en raison de la pente du tunnel, dès le démarrage vous videz les étriers – le siège, veux-je dire, et vous vous agenouillez nolens volens sur votre voisin d’en face dans une posture, voyez… gênante, quoi.

Le truc c’est de ne pas se laisser abuser par la position de la rame au départ. Après, il faut savoir dans quel sens il part. C’est même à ce genre de détails qu’on reconnaît le Yonnais breveté. Touristes et étrangers s’assoyent n’importe où la première fois. Ensuite, ils essaient de faire le bon choix et d’intégrer en douce le club très fermé des citoyens-rats.

Et maintenant, mesdames et messieurs, le moyen technique des TCL (société des transports en commun – les bien-nommés – lyonnais) pour éviter le ridicule de la glissade ? Eh bien, dans les rames de la ligne C, les sièges sont en velours … Voui, voui. Du velours rouge, côtelé qui plus est. Ce textile jouit en effet d'une forte réputation antidérapante.

A l’époque des banquettes en skaï, c’était beaucoup plus rock’n roll ! T’avais la moitié du wagon qui finissait obligatoirement acuchonnée (2) sur l’autre ; ça créait du lien, en somme. De nos jours, si tu as eu la malchance de choisir le siège glissando, ancre fermement tes fesses sur le velours et prépare-toi. Là, tu bandes à mort (laissez-moi finir ma phrase bon sang) les muscles des cuisses, tu poses tes pieds marins bien à plat entre ceux de ton voisin d’en face, et tu t’arcboutes : et c’est parti, breling-ding-bling, hagne-donc ! Retiens-moi maman j’arrive. C’est court mais éprouvant comme aurait dit une dame de mes ancêtres après le passage des Maures dans ma région natale (ceux qui m’ont légué mes beaux cheveux frisés et mon regard de braise).

Une fois gravi le tunnel et franchie la Croix-Rousse, la ligne C procure au voyageur, qui se redresse et se recoiffe, un spectacle insolite et charmant, car elle débouche à l'air libre parmi les verdures et jardins de Caluire-et-Cuire : «ah, voir Caluire, et cuire» (3) et se termine tout benoîtement à cinq mètres de la rue dont elle n'est séparée que par deux brouettes de sable et une butée de bois .

Allez, suivant : le tunnel de la rue Terme, aujourd'hui dévolu aux automobiles, et dans lequel il faut rester en première (je parle de la vitesse, pas de la classe). Caler, répondre au téléphone ou vouloir passer la seconde lors de l'ascension est formellement déconseillé. Le tunnel de la rue Terme trouve le sien sur le boulevard de la Croix-Rousse. Et bien sûr, avant le replat, il y a un feu rouge. En haut sur le «plateau» (4), les garages travaillent à flux tendus pour les plaquettes de freins.

Il paraît pertinent de signaler au passage que Jean-François Terme (1791-1847) fut maire de Lyon à partir de 1840, médecin et membre de la loge maçonnique du Parfait Silence.

Discrétion, vous dis-je.

Maintenant, écoutez-voir : les tunnels «Croix-Paquet» et «rue Terme» vous permettent de monter à la Croix-Rousse. Ça va ? Vous suivez toujours ?

Mais le «Tunnel de la Croix-Rousse», expression bourgeoise du traverser lyonnais et petite fierté technique de la première moitié du XXe siècle, eh bien il n’y va pas du tout, à la Croix-Rousse. Il passe dessous et vous emmène (en auto) de l’autre côté de la ville à travers la «colline qui travaille». A Lyon, on n’est pas seulement discret, on est irrationnel dans les appellations... ça signe notre côté sudiste, avec les génoises de toiture et les jeux de boules.

De voûte arrondie et carrelée de blanc, ce qui est insensé mais permet de bien lire les couches successives de particules Diesel respirées par nous autres les citoyens-rats, le tunnel de la Croix-Rousse relie Vaise, ancien quartier ouvrier et toujours populaire, au sixième arrondissement : territoire des nouveaux riches, des ambassades et autres consulats, des commerçants cossus en 4 x 4 et du Parc de la Tête d'Or dont l’animalerie est devenue maison de retraite pour fauves subclaquants et prise en charge gériatrique d’éléphants tuberculeux.

L’actuel maire de Lyon, not’ Gérard à tous, est en train de faire percer un autre tube à côté de ce boyau historique : ce sera un tunnel « modes doux » ainsi que le susurrent les urbains urbanistes : 1 kilomètre 800 pour lignes de bus, vélos, piétons – les claustros l’éviteront (avec apostrophe). Y a tout de même une dame qui lui a réclamé, au maire, dans une réunion publique, qu’il fasse mettre un arrêt de bus à mi-chemin dans ce nouveau tube. Ah, il ne fait pas un métier facile, Gérard. Il lui a demandé, par simple curiosité, où donc qu’elle comptait se rendre, la dame, en descendant à mi-tunnel.

Bon, c’est pas tout : finissons par le tunnel de Fourvière – ou plutôt : sous Fourvière, tunnel qui ne sert à rien ni à personne, qu'aux Parisiens qui «descendent». Comme il est autoroutier, ses 3 ou 4 kilomètres sont un jeu d'enfant. C’est pourquoi son promoteur, un maire des années 70, Louis Pradel dit « Zizi » ou «le bétonneur de ces dames» (certaines de mes concitoyennes nonagénaires doivent se rappeler pourquoi) a choisi un projet aboutissant en plein hyper centre, histoire de freiner les ardeurs parigotes à se tirer d’ici. Nous à Lyon, quand on va dans le mur c’est en klaxonnant fort : c’est notre côté vantard.

La sortie c’est par ici, n’oubliez pas le guide, merci. En vous détunnelant, vous pourrez toujours aller boire un pot au bar de la Ficelle si vous êtes à St-Jean, au Café des Ecoles à la Croix-Rousse, ou au Gros-Caillou … Bref, où vous voulez. Mais si vous surgissez à la lumière en sortant du Tunnel de Fourvière, eh bien vous boirez votre prochain coup sur l’aire de Montélimar. Ah, ben, fallait penser à la flotte avant de partir !

Sinon … Ah oui : les chaussinettes, ce sont de petites chaussettes. Des socquettes, donc. Nous à Lyon, on est diminutifs, discrets, un peu vantards, irrationnels et poètes.

__

(1) Un bachas, en dialecte dombiste (région d'étangs et de gastronomie proche de Lyon), c'est un grand bol. Par extension, une bachassée, c'est le contenu du bol (une bachassée de soupe, de café au lait, etc.).

(2) s'acuchonner : lyonnaiserie - se mettre en cuchon (en tas)

(3) Dû à Belletto, Lyonnais d'entre les Lyonnais. Voir ou plutôt lire "Sur la terre comme au ciel", où l'on trouvera ce calembour de première bourre dans la bouche de Varax Varaxopoulos, attachant personnage d'homme providentiel à bien des égards et incapable de résister à des jeux de mots fortement capillo-tractés

(4) La ville de Lyon arbore fièrement cette particularité topographique : ses collines ont la tête plate. Il faut le croire, puisqu'il y a un "plateau" de la Croix-Rousse, qu'on distingue des pentes (les flancs de la colline), et un "Plateau de la Duchère" (la troisième colline). Seule Fourvière, colline dite "qui prie", se termine par un cul bombé supportant l'éléphant "quatre fers en l'air" de la basilique.

Supplément gratuit : Croix-Rousse, c'est la colline qui travaille (c'est vrai, c'est toujours plein d'agités là-haut). Fourvière, la colline qui prie, ça réfère au patrimoine immobilier de l'église catho, que je ne vous dis que ça. C'est bien simple, y z'ont la moitié de la ville et plus. Mais La Duchère ? Eh ben elle a pas de nom, cette colline ? Je lance un concours, tiens. Mais tâchez de trouver un nom sympa, ils ont bien droit au moins à ça, les gensses de là-haut.