Les Oulipépettes sont de petits exercices faciles pour para-oulipiens débutants. Ne voyez aucune fausse modestie dans cette appellation. Lisez plutôt un de ces messieurs-et quelques dames (un léger reproche à l'OuLiPo : ils devraient rapper sur la parité, par exemple).

Lisez, au hasard et dans le désordre : Perec ou Queneau, tiens, les fondateurs ... Jacques Roubaud, Paul Fournel, Jacques Jouet, Ian Monk... et bien d'autres encore que j'oublie - bref : allez voir ici.

Vous comprendrez que l'oulipépette n'a aucune prétention, si ce n'est celle "d'essayer un peu, pour voir".

Ainsi donc voici la source :

Autoportrait de l'homme au repos : Le descendeur (Paul Fournel)

Mon métier consiste à descendre du haut de la montagne jusqu'en bas. À descendre le plus vite possible. C'est un métier d'homme. D'abord parce que lorsqu'il est en haut, l'homme a envie de descendre en bas, ensuite parce que lorsqu'il y a plusieurs hommes en haut, ils veulent tous descendre plus vite les uns que les autres.
Un métier humain.
Je suis descendeur.
Il y a eu Toni Sailer, il y a eu Jean Vuarnet, il y a eu Jean-Claude Killy, il y a eu Franz Klammer, il y a eu les Canadiens et, maintenant il y a moi. Je serai cette année champion du monde et aux prochains Jeux olympiques j’aurai la médaille d'or.
Je suis l'homme le plus équilibré de la montagne, le plus calme, le plus concentré, et mon travail consiste à fabriquer du déséquilibre. Tous les grands descendeurs fabriquent du déséquilibre.
Descendre plus vite c'est d'abord descendre autrement ; de façon à semer l’inquiétude et le doute.
Faire peur. Skier de telle manière que les autres soient persuadés que vous ne tiendrez pas sur vos pattes, jusqu'à ce qu'une génération entière skie comme vous.
Dans une vie de descendeur on ne peut inventer qu'un déséquilibre génial et un seul.
Les Canadiens sont arrivés sur le cirque avec la réputation de «crazy canaks» et deux saisons plus tard, les cinquante top-descendeurs du circuit glissaient comme eux.
Maintenant il y a moi.
Être un grand descendeur est un état qui exige un don absolu de soi-même et une concentration totale. Je glisse à temps plein. Je glisse en montant les cols sur mon vélo en plein été. Je vis avec un sac de sable de cinquante kilos sur les épaules pour mieux glisser. Je souris au masseur et au skiman parce que je sais qu’ils m’aident à glisser. Je casse la tête de mon entraîneur qui est nul parce que je sais que cela m’aidera à glisser.
Prenez deux hommes à égalité de poids et de matériel, sur la même piste, mettez-les à côté l’un de l’autre et c’est toujours moi qui glisse le plus vite.
L’op-traken qui commande le premier schuss de la Streif à Kitzbühel, je le fais mille fois par semaine. Les bosses de la fin de Wengen, celles que l’on prend avec les jambes en plomb je les fais chaque soir avant de me coucher. Je sais toutes les pistes du cirque au centimètre et, à cent quarante à l’heure, je les vois passer au ralenti.
Je me prépare aussi pour ces pistes molles et indécises que les hasards d'attribution des Jeux olympiques nous imposent. Les pistes tordues qui permettent à un Léonard Stock, le slalomeur, de devenir un champion de descente.
Tout compte dans votre carrière.
Un jour, l'essentiel devient la position de votre petit doigt de pied. C'est le doigt de pied qui fait la médaille. Vous avez raboté la semelle de la chaussure, vous avez changé quatorze fois le chausson intérieur, vous vous êtes mis en colère et vous avez perdu pour deux centièmes aux Houches sur la O.K. parce qu’en entrant dans le schuss à Battendier vous vous êtes demandé dans quelle position exacte était votre doigt de pied.
Quand je dors, je travaille, en mangeant je travaille. Je dessine mes trajectoires, je modèle mes appuis. Mes cuisses et mon dos sont intraitables, je porte sans cesse sur le menton la marque de la jugulaire du casque.
Lorsque le starter me libère sur la rampe de départ, il libère des tonnes de travail. Après, il reste un descendeur sur la piste qui n'a plus ni yeux, ni tête, ni jambes et qui glisse pour arriver en bas de la montagne plus vite que les autres hommes.
C'est la règle.
Et puis il y a le moment qui arrive forcément dans une vie, le seul moment de vrai repos, de repos absolu. Le repos du descendeur.
Vous avez passé le grand gauche et le grand droit à fond, vous entrez dans le dévers et vous faites cette minuscule erreur de trajectoire, cette petite faute stupide (qui n'est pas d'inattention puisque les descendeurs ignorent l'inattention) qui vous tire quelques centimètres en dehors de la ligne idéale. Et là, c'est le vrai repos, le repos immense. Vous avez déjà perdu vingt centièmes puis très vite un dixième et la course. Plus rien n'a d'importance, vous n'êtes plus un descendeur, vos muscles se relâchent, votre esprit se libère, vous savez que vous allez vous casser la gueule.

Voici ce que dit Paul Fournel à propos de ce texte et de ce qui en est advenu,
sur son site http://www.paulfournel.com/

"A paru : C'est un métier d'homme (Ed. Fayard Mille et une nuits)

Le texte liminaire de mon recueil Les athlètes dans leur tête décrit un descendeur au travail. Il s'agit du portrait d'un homme qui skie plus vite que les autres hommes. C'est son métier.
Cette nouvelle comporte un double-fond manifeste que sa chute souligne, elle parle également du métier de nouvelliste.
C'est dans cet espace d'ambiguïté que s'est engouffré Hervé Le Tellier pour nous proposer son portrait du “séducteur”. Surpris, je suis allé reproduire sa démarche avec l'”écorcheur”. D'autres ont suivi, puis d'autres encore.

La contrainte consiste à épouser le plus étroitement possible le texte souche en dressant le portrait d'un autre personnage.

A la suite de la lecture publique qui a été faite de ces textes en décembre 2008 à la BNF, les productions de portraits se sont multipliées. Nombre d'entre elles circulent sur la toile.
Cette prolifération transforme l' “autoportrait de l'homme au repos” en une forme fixe qui est sans doute la première de cette sorte. A cette forme nous avons donné le nom “d'autoportrait”.
Dans C'est un métier d'homme (*) sont rassemblés ceux qui ont été composés par les oulipiens."

(*) Oulipo / C'est un métier d'homme - Autoportraits d'hommes et de femmes au repos (Mille et Une Nuits, Fayard 2010)

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D'où la taulière de l'Appentis Saucier propose une version domestique :

Autoportrait de la femme au travail : la ménagère

Mon métier consiste à nettoyer la baraque du haut jusqu'en bas. A nettoyer le mieux possible. C'est un métier de femme. D'abord parce que lorsqu'elle est devant la saleté, la femme a envie de tout nettoyer le mieux possible, ensuite parce que lorsqu'il y a plusieurs femmes devant l’évier, elles veulent toutes nettoyer plus vite les unes que les autres.
Un métier inhumain.
Je suis ménagère.
Il y a eu Toinette, il y a eu Minnie, il y a eu Mrs Doubtfire, il y a eu Béatrice et Danièle, il y a eu les Américaines de Procter & Gamble et, maintenant, il y a moi. Je serai cette année championne du monde et au prochain salon des Arts ménagers, j’aurai la médaille de l’Ordre du Mérite Social.
Je suis la femme la plus mal peignée du quartier, la plus sale, la plus mal fringuée, et mon travail consiste à fabriquer de la propreté. Toutes les ménagères acharnées fabriquent de la propreté.
Nettoyer mieux c'est d'abord nettoyer autrement ; de façon à semer l’inquiétude et le doute. Faire peur. Récurer de telle manière que les autres soient persuadées que vous allez jeter l'éponge, jusqu'à ce qu'une génération entière récure comme vous.
Dans une vie de ménagère on ne peut inventer qu'une propreté extrême et une seule.
Les Américaines sont arrivées sur le cirque avec la réputation de «crazy cleaners» et deux saisons plus tard, les cinquante top-ménagères du circuit récuraient comme elles.
Maintenant il y a moi.
Être une grande ménagère est un état qui exige un don absolu de soi-même et une concentration totale. Je frotte à temps plein. Je frotte en montant les escaliers avec mon balai-brosse en plein été. Je vis avec un bidon de nettoyant ménager de trois litres sous le bras pour mieux récurer. Je souris aux responsables des rayons «petit électroménager» et «entretien», parce que je sais qu’ils m’aident à récurer. Je casse la tête de mon droguiste qui est nul parce que je sais que cela m’aidera à récurer.
Prenez deux ménagères à égalité de poids et de matériel, dans le même appartement, mettez-les à côté l’une de l’autre et c’est toujours moi qui décrasse le plus vite.
L’accroupissement qui commande le premier mouvement pour aller chercher la pelle et la balayette dans le placard sous l’évier, je le fais sept cent trente fois par an. Les vaisselles de l’après-dîner, celles que l’on fait avec les jambes en plomb, je me les tape chaque soir avant de me coucher. Je sais toutes les rainures du parquet au millimètre et à 1800 watts de puissance utile, je les vois passer au ralenti. Je me prépare aussi pour ces dépoussiérages vigoureux et décisifs que les hasards du living acajou nous imposent. Les dépoussiérages plurilinéaires qui permettent à une Marie-Pierre Casey, la star de Johnson, de devenir la championne de traversée de table sur torchon, bien qu'elle se déclare incapable de le faire tous les jours.
Tout compte dans votre carrière.
Un jour, l'essentiel devient la position de votre pouce droit. C'est le pouce droit qui fait la médaille. Vous avez rafistolé au sparadrap l’interrupteur de votre aspirateur Silence 1000, vous avez changé quatorze fois le sac, vous vous êtes mise en colère et vous avez laissé deux centimètres carrés de minons sous le canapé, parce qu’en entrant dans le salon à gauche du ficus vous vous êtes demandé dans quelle position exacte était votre pouce droit.
Quand je dors, je travaille, en mangeant je travaille. Je dessine mes trajectoires, je modèle mes appuis. Mes cuisses et mon dos sont intraitables, je porte sans cesse sur les mains les crevasses du liquide ammoniaqué.
Lorsque l’interrupteur du Silence 1000 me lance sur le palier du haut, il libère des tonnes de travail. Après, je reste une ménagère dans l’escalier qui n’a plus ni yeux, ni tête, ni mains et qui aspire pour arriver en bas de l’escalier plus vite que les autres ménagères.
C'est la règle.
Et puis il y a le moment qui arrive forcément dans une vie, le seul moment de vrai repos, de repos absolu. Le repos de la ménagère.
Vous avez passé le palier des chambres et la marche d’angle à fond, vous entrez dans le demi-étage et vous faites cette minuscule erreur de trajectoire, cette petite faute stupide (qui n'est pas d'inattention puisque les ménagères ignorent l'inattention) qui vous tire quelques centimètres en dessous de la ligne idéale. Et là, c'est le vrai repos, le repos immense. Vous avez déjà perdu vingt centimètres carrés puis très vite une marche et l’escalier tout entier. Plus rien n'a d'importance, vous n'êtes plus une ménagère, vos muscles se relâchent, votre esprit se libère, vous savez que vous allez vous casser la gueule.