"Et tout ce qui reste est pour toi"
Xu Xing, Editions de l'Olivier - 2003

«X est un connard !» n’arrêtait pas d’asséner, d’un ton comminatoire, un poète dont l’accent évoquait la principale région productrice de sorgho de notre pays.
Une des stars de la pièce, de toute évidence.
Un critique célèbre, répondant au surnom de Bossu, a voulu rétorquer :
«Tu le connais ?
- Non, je ne fréquente pas les connards.
- Tu as vu ce qu’il fait ?
- Non, je ne m’intéresse pas aux œuvres des connards. »''

Blasé par son existence oisive dans le milieu des artistes à Pékin dans les années 80, le narrateur décide de reprendre la route.

Ce roman désopilant sur fond de désespérance totale conduit le narrateur de vagabondages au Tibet en Allemagne, à Francfort ("le bout du monde"), où l'attend son fidèle compatriote Xi Yong, puis à Berlin ... Leurs aventures sont inénarrables et pourtant Xu Xing les narre sans faiblir. Espèce de Kerouac naïf et désabusé, il essaie de trouver en Allemagne ce qu'il ne sait pas trop chercher :

"Chinese ?
D'un même mouvement, Xi Yong et moi avons hoché la tête.
"???, tes tongs, tes tongs ... a dit un flic.
- ??, hi, han ! hi, han !" a dit l'autre.
- Qu'est-ce qu'ils veulent ? C'est quoi ces histoires ?
J'ai regardé autour de moi.
- On n'a rien fait de mal, nous, ce qui nous intéresse c'est les filles.
- ils ne disent pas tes tongs, ils disent Zedong, le président Mao ! Et leur hi, han, c'est le yin et le yang !" s'est empressé de traduire le Suisse.

Les tribulations de ce Chinois à Berlin (tantôt Ouest, tantôt Est) lui permettent de contempler le Mur juste avant sa chute :

"Peu après notre départ, le Mur est tombé. L'édifice du socialisme vacillait : il suffit parfois d'une fourmilière pour rompre les digues les plus solides. Mais aussi leur système ne valait pas, et de loin, le nôtre. A Pékin, Shanghai ou Canton, jamais il ne se serait écroulé s'il avait été construit chez nous : ce serait devenu une seconde Grande Muraille, aussi indestructible que la première."

Retour à Pékin :

"Pour ce qui est d'avoir changé, ça avait changé. Le papier toilette, plutôt mité avant mon départ, ressemblait à présent à un filet utilisé par trois générations de pêcheurs : les trous étaient énormes.»

«Mais dans les petits hutongs, les tripes de la ville, partout étaient collées des réclames pour des remèdes contre l’impuissance, la syphilis et autres maladies vénériennes, ce qui donnait vaguement l’impression que la Chine était devenue un immense bordel, qu’elle venait de vivre un gigantesque carnaval de fin de siècle. »

(…) «Ni l’époque, ni les gens n’étaient les mêmes : ‘dans sa grotte il est resté quelques mois, que l’univers a comptés en milliers d’années’.»

Ce petit livre, pas tout à fait récent : lisez-le ! Dans toutes les bonnes bibliothèques.