Cet air-là ne sent pas très bon, pas carrément mauvais non plus d'ailleurs. C'est l'odeur du métro lyonnais aux heures de pointe, plus moite que malodorant, plus tiède que moite, avec une note de sueur un peu datée.

Oui, à Lyon il fait encore chaud. Enfin : relativement à la saison, 22 degrés l'après-midi c'est confortable.

Dans la rame les voyageurs ont tout de même revêtu leurs armures de temps froid : bottines, doudounes, grosses écharpes faisant le tour du cou deux fois.

Allègrement fraîche sous son tee-shirt coton, il fait bon les plaindre un peu. De leur bêtise surtout.

Ah, voici un personnage intéressant : au terminus, il atterrit sur le quai en léger déséquilibre, se laisse un peu bousculer par la foule puis se place en retrait, attendant que le flot le dépasse pour s'engager dans l'escalator. Cet homme-ci ne veut plus être molesté. Nous sommes deux dans ce cas, on s'emboîte donc le pas, lui devant.

C'est un trentenaire à l'air maussade, ultra-classique (pantalon de ville, chemise et blazer), légèrement fripé toutefois comme un qui sort du sèche-linge. Au moins, il a regardé par la fenêtre avant de se vêtir ce matin. A contrario de l'allure banale du quidam, son arroi donne à sourire, mais sans moquerie excessive : tout au plus un éclair de gaîté dans le petit matin gris. Imaginez le gars, harnaché d'un étui musical qu'il porte comme un sac à dos ; ou plutôt comme une jeune tortue sa carapace. Les étuis sont de plus en plus encombrants de nos jours (sans doute, en contrepartie, de plus en plus protecteurs pour les précieux objets qu'ils contiennent). Un étui trop gros pour un violon, trop petit pour un violoncelle. On en reste perplexe.

En plus de ce fardeau culturel, qu'on lui sent familier, figurez-vous que le type trimballe un gros carton carré - mais gros, hein, du genre à y enfermer une ancienne télé, vous vous souvenez, les épaisses, à l'écran bombé, avec un arrière très callipyge. Ce carton d'un mètre cube est sanglé sur une armature de chariot à courses (on n'a pas le droit de citer la marque caddy, oups) dont on a enlevé le sac.

Ca semble lourd et pourtant, sur un côté mal fermé l'on voit dépasser le crochet d'un cintre métallique. Sur la face visible du carton se lit l'inscription suivante, écrite à l'arrachée et au gros feutre dit "de déménagement" : COLLANTS, CHAUSSETTES, DESSOUS, CINTRES.

On comprend la morosité du transporteur et l'on n'imagine qu'un seul scénario plausible : il s'est fait débrancher de chez sa belle, ce Raymond. On ne voit nulle autre raison de débarquer à cette heure matutinale sur une ligne de métro saturée avec un bagage aussi intrigant.

Devait-elle pour autant parfaire le ridicule de celui qui fut son amant, que d'enfermer ses maigres possessions dans un carton recyclé de ses vieux déménagements à elle et l'envoyer ainsi affublé, affronter la foule d'un pôle multimodal de l'Ouest lyonnais ?