«Le 11 juin 1981, l’étudiant Issei Sagawa, trente-deux ans, a commis un meurtre suivi d’actes cannibales sur notre camarade d’université Renée Hartevelt, Hollandaise de vingt-trois ans, qu’il avait invitée dans son appartement du 10 rue Erlanger, Paris XVIe (…)»

Extrait de la fiche de présentation sur le site des Editions Verticales où est publié le livre "Le paradis entre les jambes" de Nicole Caligaris.

Que le "Masque & la Plume" sur France Inter ait choisi de rendre compte de ce livre en particulier parmi d’autres, soit. Les critiques de l’émission font leur boulot, il y a probablement une commande quelque part.

Qu’il ait circulé, pendant l’émission, quelques plaisanteries douteuses sur fond d’humour culinaire (« master chef » et autres) me semblait moins obligatoire. Notons simplement que, dans ce registre scabreux, on n’entendit que des voix masculines. Qu’au fond les plus démunis devant l’émotion (je veux parler des hommes) aient eu besoin, en évoquant ce fait divers sordide, de se protéger par une distanciation cynique, je peux le comprendre.

Espérons au passage que la famille de Renée Hartevelt, s’il lui subsiste au monde quelques proches, n’est pas suffisamment francophone et francophile pour se brancher sur le Masque ce dimanche soir.

Cette femme aurait aujourd’hui, si j’en crois la plus courte biographie de l’histoire du roman citée au début de ce billet, cinquante-cinq ans.

La vie de Renée Hartevelt s’est trouvée abrégée par un type qui serait resté quelconque s’il n’avait pas cédé à ses affreuses pulsions. On espère qu’elle est morte avant de subir la suite. Fallait-il pour autant empiler sur sa tombe un livre de plus, puis une émission de critique littéraire ?

Un jeune flic dont c’était la première mission se trouvait en 1981 sur la scène de crime et fut affecté au transport des sacs depuis le frigo jusqu’au véhicule de la Scientifique.

Affecté, il le restera toute sa vie. C’était le frère d’un ami, coïncidence qui me rendit à l'époque ce crime, de manière bizarre, proche. Mais mes représentations mentales sont restées, si je puis dire, dans les sacs et surtout, dans l’impuissante reconstruction de ce tout unique, intègre, qu’aurait dû être le corps vivant de cette jeune femme avant que l’autre cinglé jette son dévolu sur elle, avant qu’elle soit réduite au contenu de ces sacs et au sujet de ce livre, ce qui lui assigne le même genre d’ignominie.

Première erreur du Masque, donc : rendre compte de ce livre. Mais il y avait sans doute une commande, etc.

Deuxième erreur : les seuls mots concernant la victime furent pour signaler au début qu’elle était néerlandaise (ce qui semble exact) puis, en guise de conclusion, quelques minutes plus tard, pour l’appeler «la Suédoise». Passons sur cette forme de mépris qui consiste, passé le périph' parisien, à n'être pas fichu de citer exactement une nationalité ou une origine géographique. Il n’en reste pas moins qu’après avoir abondamment parlé de l’auteur du livre, puis de celui du crime, on aurait pu avoir quelques mots pour la victime, simple question d’équité et de dignité. Ah si, j’oubliais : on nous a rapporté une précision indispensable sur le fait qu’elle avait ses règles au moment où elle a été assassinée.

La troisième erreur est insignifiante au regard de la réalité, mais gênante au plan littéraire : citer Bataille à propos du livre de N. Caligaris est assez sidérant.

Le Masque aurait-il fait l’impasse sur la dimension symbolique de l’art ? Si nous parlons de l'oeuvre de Bataille, nous parlons littérature, poésie, philosophie. Si nous évoquons le livre qui a pris ce crime pour sujet, nous commentons un passage à l’acte, un fait divers et l’exploitation de celui-ci.

C’est pourquoi Bataille et Caligaris n’ont rien à voir ensemble. Les pointures du Masque devraient le savoir et je suis gênée, moi pécaïre, auditrice lambda, de devoir le pointer à leur place.