«Un prince était vexé de ne s’être employé jamais qu’à la perfection des générosités vulgaires. Il prévoyait d’étonnantes révolutions de l’amour, et soupçonnait ses femmes de pouvoir mieux que cette complaisance agrémentée de ciel et de luxe. Il voulait voir la vérité, l’heure du désir et de la satisfaction essentiels. Que ce fût ou non une aberration de piété, il voulut. Il possédait au moins un assez large pouvoir humain»

Arthur Rimbaud - Les Illuminations


Le cheval du sultan et les trois religieux...

... est un conte qui m’a été conté dans des circonstances très rigolotes, dont on parlera plus tard. Voici d’abord le conte.


Il était une fois un sultan blasé, qui avait épuisé les joies du corps et du cœur, l’ivresse du pouvoir, les satisfactions de la cruauté, les délices de la générosité. Bref, ce sultan s’ennuyait ferme.

Pour se distraire il acquit un cheval exceptionnel, un akhal tekin d’Asie dont on lui avait vanté la magnificence de race et une intelligence non pareille, la robe jamais vue couleur d’or pâle, un isabelle très doux, laiteux, avec des crins aussi bruns et brillants qu'une jeune châtaigne, châtaigne tout aussi luisante chacun de ses iris bordés de cils blonds.

Et en effet.

Le sultan fit construire pour le cheval une écurie particulière toutefois incluse dans l’ensemble des bâtiments dévolus aux équidés, car il ne souhaitait pas que sa nouvelle acquisition se morfondît en solitude. Les chevaux sont gens de société et il était bon que le nouveau pût communiquer avec ses semblables, déjà fort bien traités, faut-il le dire. Les écuries auraient contenté, dans leur architecture, leur décoration et leur confort indécent, bien des ménages moyens qui en eussent fait usage de château.

Plusieurs fois par jour, le sultan passait voir non pas ses chevaux, car tous il les connaissait et les montait parfois distraitement, mais son nouveau cheval.

Il ne s’ennuyait plus.

Terrassé par la beauté de la bête et par un excès de respect, le sultan ne montait pas l’akhal tekin. Il ne lui donna pas de nom, car le plus Beau et le plus Grand, on ne doit ni Le nommer ni le décrire d’aucune façon, seulement le révérer.

Le sultan ne tarda pas à comprendre qu’il éprouvait pour ce cheval quelque chose qui ressemblait à l’amour le plus fou, le plus élevé, le plus mystique. Un sentiment à la fois violent et doux, nouveau, mille et mille fois plus fort que tout ce que son harem avait pu lui inspirer – oh oui, très éloigné de cela !

Tous les jours il murmurait à l’oreille de son cheval combien il l’admirait, combien il le vénérait, quel bonheur était le sien depuis que lui, le Magnifique et le Merveilleux, habitait au palais.

Le cheval entre temps avait quitté les écuries. Le sultan ne pouvait se passer de lui et la bête eut bientôt gîte et couvert au plus près de la couche princière.

Tout aurait pu ainsi aller pour le mieux au sultanat, entre cet homme comblé et son animal de compagnie élevé au premier rang de ses intimes.


Pour connaître la suite, revenez demain et lisez le billet n° 41!