Cf. billets 40 à 43

Un religieux est mis au défi de faire parler un cheval appartenant à un sultan ombrageux, armé d'un dangereux cimeterre, et amoureux du cheval en question. Avant lui, deux autres hommes de foi se sont fait zigouiller pour motif d'échec. Mais notre homme avait un plan, il l'a exposé au cours du billet n° 43. Le premier serviteur du sultan, qui est au coeur de l'embrouille, rend visite à ce religieux fin stratège.


Le premier serviteur devenu CTP, pendant ces événements, était passé par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, tout calife qu’il était ; car il sentait bien qu’en imaginant cette histoire d’hommes de foi, il flirtait lui aussi, si l’on peut dire, avec la décollation. Aussi fut-il bien étonné de voir son maître, totalement ragaillardi, embrasser follement l’encolure de son beau cheval, taper sur l’épaule du religieux et donner des ordres en tous sens pour satisfaire aux demandes de celui-ci.

La vie reprit au palais, paisible et enchantée comme il se doit. Il se murmura même que le sultan avait de nouveau puisé au harem pour étancher sa soif de communication d'une manière plus classique.

Après quinze jours, le New Calife Très-Précieux n’y tint plus et rendit visite au professeur de parole hippique, qu’il trouva mollement installé sur sa couche dans la fraîcheur de sa résidence levantine, mastiquant des loukoums et sirotant du thé en bouquinant des exégèses.

- Eh bien, tu n’as pas l’air de t’ennuyer, dis-donc ?

- Je prends un peu de repos, Calife Très-Précieux, car l’apprentissage est chose fatigante, aussi bien pour le maître que pour l’élève.

- Allons, allons … Pas à moi ! Je suis suprêmement intrigué : voici quinze jours que tu gardes auprès de toi le cheval ; or je t’ai épié, et tu ne fais rien ! Tu n’enseignes rien, le cheval se contente d’aller et venir à sa guise dans les jardins et toi, tu te prélasses.

- Tu as finement observé, Calife Très-Précieux, soupira le religieux en refermant son livre. Et je peux bien te l’avouer, en effet je ne fais rien parce qu’il n’y a rien à faire. Ce cheval ne parlera jamais, ou alors j’en serais le premier surpris. Si j’en use aussi librement avec toi, c’est que comme toi, je suis attristé par la folie de ton maître et que, comme toi, je sais que si je le contrarie, je risque ma peau. Aussi, toi et moi ferons sagement de garder le secret sur tout cela et de continuer pendant ces trois années à entretenir l’espoir du sultan.

- Pas de problème, dit le calife, pensif, car il reconnaissait la grande sagesse du religieux. Mais comment comptes-tu t’en tirer et, au fond, qu’as-tu gagné en servant à mon maître cette fable triennale ? A part le fait bien entendu qu’il a retrouvé sa bonne humeur et une conduite à peu près normale ?

- Eh bien, vois-tu, CTP, je suis déjà très satisfait d’avoir procuré à ton maître la paix de l’esprit, ce qui n’est pas rien. Mais j’ai aussi gagné une chose très précieuse : j’ai gagné du temps.

- Du temps ? Ah oui, parlons-en ! Trois ans. Tu n’as gagné que trois ans ! Ce n’est pas beaucoup …

- Eh, crois-tu ? En trois ans, il peut se passer bien des choses : je peux mourir. Tu peux mourir. Le cheval peut mourir. Et le sultan peut mourir …