Au bout de la rue du bout de son village dauphinois, Dominique Vernay écrit. Elle s'empare du matériau qui passe : un portrait de villageois, la conversation de deux passants... Ses démêlés avec la société du Pâle Emploi... Les saisons, les bonnes choses que l'on dévore avec gratitude (et aussi avec un couteau et une fourchette) lorsqu'elle les a longuement mitonnées sur la base de produits de son terroir d'adoption avant de les décrire avec autant de gourmandise... Et surtout, le temps qu'il fait dans le ciel qui s'encadre à la fenêtre de sa cuisine, sur les chemins alentour ou dans son bout de jardin.

D'où elle a inventé une science pas tout à fait dure, mais pas molle du tout et très jolie à observer : la météoésie. Pour une définition, il faut en croire Robert Rapilly :

"A l'inventrice de la météoésie

Jusque là seul le temps changeait
pas le bulletin météo
le même tous les matins dans le poste

alors Micou inventa la météoésie
où la surprise est double
dans le ciel et dans le poème"

Explication : à l'automne 2010, Dominique Vernay (dite Micou) fut mise au défi par une autre de ses frangines. Elle releva le gant (de laine) et produisit sans jamais faillir, comme il le lui avait été commandé, tout au long des 366 jours d'une année chevauchant 2010 et 2011, une chronique météo sous forme poétique. Ses chroniques appelées "billetins" (*) seront bientôt réunies en un recueil qui pour le moment cherche son éditeur. Mais ça ne va pas tarder, parce qu'autant vous dire que la liste de privilégiés qui purent bénéficier du billetin quotidien, firent la gueule et pas qu'un peu, lorsque leur abonnement s'arrêta !

Ces jours-ci, quelque peu néantisée par la désespérante longueur de ce février gris-ci, l'A.S. se souvint d'un proverbe local cité par Dominique dans un des billetins de l'hiver dernier :

Le voisin m'a dit...

"Méfie-toi du petit Février
Qui commence comme un mouton
Et finit comme un lion"
Pourrait-on pour cette année
Inverser le dicton ?

Billetin n°123 - 18/02/2012

L'A.S. eut alors la bonne idée de se plaindre avec mauvaise foi à l'auteure des billetins de ce que son observation, faite l'année dernière, fût toujours en vigueur et nous glaçât derechef les sangs. Et qu'en était-il de 2013, demandait-elle, pleine d'arrière-pensées. Le petit Février rugirait-il encore longtemps ?

Voici la réponse de notre météoète dauphinoise, en deux textes et quelques images qu'elle est allée chasser dans les frimas de ses Terres Froides (appellation régionale officielle) :

Le petit février

Le vent du nord, le vent du nord, le vent du nord
Petit rai de clarté à la mi-journée, pâle timide et incolore
Février nous revient avec l'insolence de son froid sourire qui mord

Le matin est glacial, lumière sidérale, moins dix degrés, c'est banal
Petit oiseau qui boit la neige et picore des grains glacés; froid septentrional
Février ne faiblit pas, il finira comme il commença, furieux, gelé, royal, animal

Le vent du nord, le vent du nord, le vent du nord
Petit répit en fin d'après-midi, la nuit le monde oublie et s'endort
Février compte ses moutons affamés qui rêvent de prés verts et de boutons d'or


Heureusement, il est petit...

Petit matin gris, silence et nostalgie, pattes d'oiseaux dans la neige, moineaux glacés, sale temps, dit la mésange à l'abri dans son chalet, rouge-gorge sur son quant-à-soi dans le buisson, silence et nostalgie ; dans la rue des vieillards précautionneux, leurs cannes glissant doucement sur le verglas, cols du fémur, tibias ; cols infranchissables, tracas, maisons blotties au creux de la vallée, silence et nostalgie ; aubes roses, aurores moroses, champs étendus de blanc, lac sinistré, ses vagues noires sèches et méchantes contre le ponton, photos couleurs pour décor en blanc et noir, silence et nostalgie ; demi-teintes et demi-tons, déclinaison du gris au gris, heureusement il est petit, ce février de silence et de nostalgie.

Dominique Vernay, 24 février 2013


(*) Qu'est-ce qu'un billetin ?
Comme l'indique sa construction en mot-valise, un billetin est un bulletin météo qui est aussi un billet quotidien.