Dites donc ! Figurez-vous que Philippe Caubère est tombé de l'avion !

- Ah booon ? Et d'où qu'il est donc tombé, l'artisse ?

Eh bien, il a chu lorsque la taulière de l'A.S. a découvert, dans l'Humanité Dimanche (oui, j'ai une copine qui me les file quand elle les a finis. Bah, c'est pas égal égal, mais parfois lecture revigorante), découvert quoi ? Page 90 de l'édition du 7 au 13 mars ?

Dans le cadre (ou sous le prétexte ?) d'un hommage à Savary récemment disparu, deux colonnes de Caubère où celui-ci nous livre un chant nostalgique à la liberté de 68.

Mais personne ne dira le contraire ! 68 fut une grande explosion de liberté. On devrait se demander toutefois - suggère la saucière en marchant sur des oeufs avec ses chaussettes Kindy - contre quoi se dressait cette liberté, qui elle oubliait au passage, par et pour quelle catégorie de population elle s'exerçait. On devrait peut-être essayer de comprendre ce qui nous est arrivé après. Bon, on a le temps pour confronter cette analyse (qui de toute façon ne ressuscitera pas l'ère enchantée) à celles et ceux qui en furent exclus - entre autres, la confronter aux femmes.

Le propos, le voilà qui se pointe à la seizième ligne : Caubère, nouveau millénariste, annonce l'ère post-Savary comme celle de la "mort de la paix". OK, moi je n'aurais pas forcément rattaché ce phénomène à la disparition d'un homme de théâtre qui, certes a compté, mais enfin, la mort de la paix a peut-être commencé un peu avant sa naissance, si l'on veut parler de l'état du monde. Mais que nenni ! Ce qui soucie Caubère, ce qu'il prophétise, c'est le recours aux armes ici et maintenant :

"Ne nous y trompons pas : on va vers la guerre. On y est presque. Une guerre entre les femmes et les hommes en premier et en particulier."

Mayday, mayday, demandons l'autorisation d'atterrir, moteurs en feu !

"Le principal et paradoxal vecteur de ce fascisme, aussi scandaleux que cela puisse paraître, passe par les femmes. C'est le mouvement féministe, dont les sbires et les soldats perdus sont ces nouvelles féministes et celles qu'elles ont fabriquées, leurs filles. Les jeunes femmes d'aujourd'hui. Que l'on me comprenne bien : le MLF, le mouvement féministe de libération de 1968, participait, lui aussi, de cette "grâce" que j'évoquais plus haut, mais il s'agit aujourd'hui d'un féminisme de guerre, une guerre civile entre les hommes et les femmes."

Et Splaouaoutchchch !! On ne peut pas reprocher à Caubère de diluer son propos ! Fascisme, féminisme de guerre (civile !!!), sbires (on dit sbirettes, inculte !), il faut reconnaître que le registre de vocabulaire lève l'équivoque.

"Toute l'affaire Strauss-Kahn, la monstrueuse instrumentalisation à laquelle ce banal fait divers a donné lieu, comme la monstrueuse instrumentalisation de l'affaire Polanski ou la monstrueuse instrumentalisation de l'affaire Cantat, c'était cela. Les femmes étaient importantes pour Savary. On le taxait de misogynie. Savary était le barde de la liberté, de la joie de vivre, morale, sexuelle, artistique, idéologique."

Soyons assurées que Nafissatou Diallo, feue Marie Trintignant et la jeune fille de 13 ans que Polanski s'envoyait, après l'avoir gavée de champagne et collée sous sédatifs, toutes "instruments" selon Caubère, apprécieraient.

Mais, ah ! Qu'est-ce qu'on s'amusait ! Sacrée liberté, va !!

Eh ben, d'une : l'ami Caubère, comédien que l'A.S. plaça parfois dans ses plans de vol (au point de se jurer d'aller le voir s'il passait par là) n'aura pas sa pratique, aussi talentueux soit-il pour occuper l'espace scénique. Caubère occupe maintenant - avec d'autres - l'espace de l'A.S. fléché "femme en réflexion" (on aura besoin d'un peu plus de deux colonnes dans l'HD pour les mettre au clair).

De deux, assez de galéjades : au temps pour la vision idyllique des seventies selon Caubère ! Finie, l'ivresse du jet de soutif par-dessus la haie... Passée, la découverte de l'espace de liberté cité plus haut qui permettait surtout aux mecs de baiser à couilles rabattues l'autre moitié du monde en l'associant (quitte à la clouer au matelas) à cette inénarrable (qué)quête ! Révolu, le temps du passage d'un statut de fille-mère à celui, ô combien post-moderne, de "mère célibataire" (tiens, justement, l'A.S. en fut une, dès la fin du printemps 1972, assez bêtement fière de l'appellation et surtout, remplie de l'espoir fallacieux qu'elle lui conférerait une autonomie nécessaire et suffisante, au demeurant ravie de faire la connaissance de sa nouvelle-née, première guerrière 2e génération, complètement équipée pour les luttes futures).

Terminée aussi, la lutte pied à pied et la grande conquête de l'avortement ! Ah, les aspirations Karman par les bénévoles du MLAC (*) sur la toile cirée dans les arrières-cuisines, tandis que la question de la contraception masculine n'était l'objet d'aucune recherche, la question même pas posée... Aux bonnes femmes d'assurer la permanence du plaisir, de se démerder avec les MST, les grossesses indésirables, etc.

Passé aussi... par ici, revenu par là, comme un maudit furet, le retour de balancier... Inénarrable bouquin de je ne sais plus quelle sotte médiatique intitulé "Je veux rentrer à la maison" - Ah oui, Collange. Paru en 1978 ou à peu près. Tiens, mais à propos - parenthèse - en 78 qu'est-ce que faisait donc la tenancière de l'A.S. ? Elle poursuivait la mise au point de la génération suivante de féministes, figurez-vous !! Entièrement fabriquée par la femme, d'après Caubère (hi-hi). Mais bon, la patronne de l'Appentis accouchait, au printemps 1978, sans quitter l'armure et presque sans lever la visière du heaume, la lance toujours en pogne, poussez Meudème, et vlan !! Naissait l'autrice du poème si mignon figurant dans le grand "Jeu au pied", l'insoumise numéro 2/3, dont ça va être sans tarder l'anniversaire ! Entre temps la féministe-relève numéro 1 avait six ans et manifestait déjà une belle indépendance et un esprit de conquête non moindre. Ah, engeance ! psalmodierait Caubère !!

Et en effet, passées ces courtes années de paix universelle pour les bonnes femmes atteintes d'une myopie collective qui leur faisait prendre les vessies de l'amour "libre" pour les lanternes de leur libération - oui, mais bon, fallait bien commencer par quelque chose - arriva le temps du retour à la maison !

Et vlan, à la niche ! Plus de boulot pour les meufs ! Politique familiale échevelée ("tu peux pas essayer de te retenir un peu ?" ironisait mon esposo, tandis que j'allais accoucher fin mars - oui, dans 2 jours ça fera 33 ans - de la 3e guerrière, ultime avatar de l'armada-monstrueusement-instrumentalisante selon Caubère, alors que la réforme giscardienne des allocs, garantissant "le miyon" pour le troisième enfant, n'entrerait en vigueur qu'en juillet... Et un coup de lattes dans l'égalité au travail. Et une confiscation des postes à responsabilité dans les entreprises ! Construction expresse des plafonds de verre ! Explosion des incitations à consommer du petit électroménager et du produit de nettoyage... Délires de fiches-cuisine, yaourtières, vente de boîtes plastoc autour de la table à thé ! Affirmation concomitante d'une misogynie dure dans les ateliers, les bureaux, dans le bus, les bistrots, sur la place publique... Et dans le cerveau ramolli d'hommes de théâtre vieillissants, dont on sait - s'agissant de Caubère - les relations plutôt mal barrées avec les femmes.

La voilà peut-être, la véritable raison d'un propos amer pis con, de la part de celui qui profite de la mort d'un confrère pour glisser son lamento, comme une méchante peau de banane, dans les colonnes d'un journal où, dans le prolongement de la lutte des classes, l'on devrait bien plutôt échoter la lutte des femmes... De fait, l'Huma-Dimanche les reporte, d'habitude, les luttes féminines. Là, le comité de lecture devait pioncer autour de la table de réunion. Et puis, Caubère, c'est un compagnon de route, une fameuse caution artistique et intellectuelle. L'HD lui est grande ouverte, si je puis dire.

Ou alors, il nous aura fait un petit anévrisme en écrivant cette satanée diatribe. Le chagrin, peut-être ?

Hélas, mon pauvreu Caubèreu, peuchèreu, ces bonnes femmes, en plus elles arrêtent pas de se reproduire !! Voilà que les guerrières de la tribu de l'A.S. ont fabriqué, elles aussi, 4 filles et 1 garçon (histoire sans doute d'assurer une petite parité, re-hi-hi) !

Qu'on ne s'y méprenne pas : le débat (ce que Caubère appelle "la guerre civile") ne s'organise pas autour de la seule libération sexuelle, laquelle était tout de même urgente pour sortir du corset dix-neuviémiste dans lequel on nous maintenait (**). Que cette "libération" - mais bien plutôt la réflexion organisée par MLF et autres autour de la contraception, de la libre disposition de nos corps, du droit à interrompre une grossesse non désirée - n'ait pas été suffisante, peut-être : mais elle était nécessaire, et première. D'autres luttes étaient à venir, nous y voilà.

Au fond, ce que nous dit Caubère (sans doute à son corps défendant), c'est que les féministes d'aujourd'hui (nos fabrications à nous les féministes d'hier), commencent à entrer dans le dur et à s'occuper sérieusement des choses. C'est le commando qui débarque sur la plage en marchant sur les corps sacrifiés d'une première unité (je reprends la métaphore guerrière, puisqu'elle m'est tendue avec autant d'obligeance, re-re-hi-hi-hi !!). Ce que dit Caubère, c'est que les féministes d'aujourd'hui font le job. Ce qu'il n'a visiblement pas compris, c'est que le "gracieux" MLF avait ouvert la voie et pas qu'un peu, mais que - pour reprendre les termes d'un comique de 2005 : la route est droite, mais la pente est forte.

Alleluia !! Joyeux anniversaire, la deuxième et troisième génération !


(*) Mouvement pour la Liberté de l'Avortement et la Contraception

(**) Quelques repères pour les mémoires courtes, ou les hommes de ma génération qui n'auraient pas perçu le problème dans sa globalité : en 1964 je devais obligatoirement me couvrir les cheveux pour entrer dans l'église de ma commune ; en 1970 un médecin me jeta dehors de son cabinet avec une phrase insultante en me refusant une ordonnance de pilule, et ce, en contrevenant à la loi Neuwirth ; en 1973, une collègue nouvellement embauchée se félicita de ce qu'on avait, dans notre entreprise, la liberté de venir bosser en pantalon : elle arrivait du siège de Casino à Grigny (Rhône), où le port de ce vêtement était strictement interdit ; en 1974 j'ouvris mon premier compte en banque et l'on me demanda, en toute illégalité, si mon "conjoint" était au courant de ma démarche. En 1978, le boucher-charcutier qui officiait comme obstétricien à l'Hôpital de Ste-Foy-les-Lyon où je devais accoucher (voir plus haut) me pria d'ouvrir plus grand les jambes en précisant que je n'avais sûrement pas fait tant d'histoires lors de la conception. Dans les années 1990, une jeune fille souhaitant apprendre le métier de tailleur de pierre à Volvic exigea un matériel de manutention adapté pour pouvoir intégrer la formation. A la veille d'un procès, l'unité de formation exauça ses souhaits, permettant à la génération suivante, hommes et femmes confondus, d'éviter une fatigue surnuméraire dans l'exercice de cette profession pour la première fois ouverte aux filles. En 2012, une recommandation écrite (par mail) aux cadres d'une entreprise qui devaient participer à un séminaire ou autre festivité dans le cadre de leur boulot, précisait que les hommes devaient venir en pantalon (voire jean), chemise, veste - cravate non obligatoire, et aux femmes (appelées "dames" dans le texte), qu'il serait bien de prévoir quelques tenues séduisantes (ou charmantes, je n'ai plus en tête le terme exact). En 2013, une femme de 34 ans qui ne veut pas d'enfants doit encore attendre un an pour avoir le droit de demander une opération de stérilisation définitive. Ce ne sont que quelques exemples, Seigneur...