Pierre Senges : Ruines-de-Rome (Verticales, 2002)

«Un employé du cadastre, qu’une retraite sans flambeaux menace, met sa misanthropie ordinaire au service des plus noires prophéties : du jardinage considéré comme un des beaux-arts de l’Apocalypse.» (Résumé - 4e de couverture)

«|saxifrage intermédiaire|
A l’extérieur, le jardinier apocalyptique emploie des herbes rases, solides, résistant au froid et aux vents, des toundras coriaces ou les franges les plus austères des maquis, des chardons cueillis sur des plateaux désertiques et plutôt mal famés. Pour l’intérieur, il débauche des plantes ornementales, les croise si possible avec de la mauvaise herbe, greffe le chardon sur le fuchsia, la misère sur l’eucalyptus, coupe un forsythia de chou noir (si près de la Fin des Temps les accouplements contre nature sont véniels) ; (…)

Même si le jardinier mène son apocalypse comme une promenade en forêt, même s’il remplit sa baignoire de fuchsia plutôt que de dynamite, s’il passe son temps à nouer des bouquets de fleurs avec des brins de ciboulette, il sait que n’importe quel jeu d’enfant apprécie les allumettes, que ses campagnes ont pour fin la dissolution de la Ville et la combustion de toute chose (…)

|ail très rude|
Quand des censeurs arrachent mes philodendrons, je prends ces sabotages pour la taille nécessaire que je n’ai pas toujours le courage d’accomplir – (je les regarde agir ; ils opèrent le jour quand moi je fricote en pleine nuit – je ne laisse rien paraître de mes sentiments et observe leurs travaux en compagnie d’autres retraités, spectateurs sans affects, qui tuent l’ennui en jetant un œil par-dessus des palissades protégeant les chantiers).

|lichen poumon|
Optimiste, insouciant, leibnizien à sa façon (très meilleur des mondes possibles considéré comme un slogan d’agence de voyage ou comme le credo d’une foi impartageable), le jardinier de la mauvaise herbe ne craint pas la pollution, ni les déluges ni les pluies acides, pas plus qu’il ne redoute le charbon ou les hydrocarbures – il avoue avec forfanterie ne pas craindre les pots d’échappement ni les cheminées d’usines, les crassiers en déshérence et les déchets ultimes enfouis à la sauvette : toute pollution chimique est un éden pour ses plantes nitrophytes (chardon, bardane, consoude, eupatoire) ; la maldonne, les erreurs, les rejets imbuvables se traduisent aussi par de superbes floraisons (chélidoine, gratteron, houblon, douce-amère, clématite) et plus le ciel se plombe … »

… Plus vous aurez (peut-être) envie de vous plonger dans ce livre de cinglé, pour lequel tout commentaire semble aussi futile que l’arrachage des plants de rumex en mai (qui auront pour seul résultat de faire exploser la feuillaison des 80 000 graines que votre geste répandra en terre, et leur enracinement, durement câblé par 50 cm de fond, jusqu'à la fin de l'automne).

«|oxalide alleluia|
Quand tu auras achevé la lecture du livre, tu y attacheras une pierre, tu le jetteras dans l’Euphrate, et tu diras : ainsi Babylone sera engloutie.
Je referme le livre sur ses premiers versets : le dieu des Hébreux, l’Eternel imprononçable des cabalistes, renvoie les événements à leur condition d’hypothèse et, en abolissant comme il peut ce monde-là, et toutes ses créatures, donne sa chance au néant. »

Pour l’Appentis Saucier : encyclopédique bonheur que la lecture de ces Ruines-de-Rome ! Mais la taulière doit maintenant reprendre le livre du début, car elle ne comprend pas pourquoi le jardinier bénévolent/malévolent de Pierre Senges n'a pas semé d'armoise, d'ambroisie et de rumex, sans parler du bambou. La ville s'en fût trouvée engloutie deux fois plus vite ! J'ai dû rater la page.