Aujourd'hui la patronne, le torchon sur l'épaule, descend à sa boîte à lettres et n'y trouve qu'un truc passablement décevant : c'est la revue trimestrielle que publie sa mutuelle.

D'une lecture déconseillée aux grands dépressifs et même aux modérément mélancoliques, les revues mutualistes mettent l'accent généralement sur tout ce qui pourrait, si l'on n'était déjà désespéré, vous plonger dans la déréliction.

Au menu de cette livraison-ci : les perturbateurs endocriniens ne nous laissent aucune chance ; le sucre rend accro (ah bon ?) ; pub pour le fauteuil releveur pour vioque (à 2500 euros) ; le calvaire des aidants (ceux qui managent les vieux de la petite cuiller de yaourt jusqu'au change de la couche). Und so weiter...

L'article de fond porte sur ce nouveau concept : la silver economy (bien plus fun en angliche), autrement dit : comment s'emparer de ce gigantesque marché que représentent les plus de 60 balais (on est des millions), lesquels auraient un pouvoir d'achat supérieur à celui de leurs parents (c'est une revue de fonctionnaires qui le dit, dont les rédacteurs, eux-mêmes fonctionnaires aisés, n'ont jamais mis les pieds aux restos du Coeur, dans une permanence du Secours Pop ou une commission sociale d'arrondissement). Il paraîtrait que lesdits "papy-boomers" (appellation qui nous donne l'impression d'être revêtus de nos premières barboteuses) seraient susceptibles d'acheter en masse du lit médicalisé, de la baignoire où c'est qu'on entre par le côté au risque d'un tsunami salledebainier, du fauteuil roulant et du déambulateur griffé Starck, et que j'te mets en plus un machin électronique pour appeler au premier battement de cil (ou battement de coeur absent).

Appeler qui, au fait ? Plus précisément : qui appellera qui ? Etant donné la furieuse contraction des services publics, lesquels, à l'instar des vieux, sont ringards, démodés, coûteux et seulement coûteux, leur utilité n'étant plus retenue comme critère d'évaluation ; étant donné la non moins furieuse convoitise des privés sur cette bon dieu de saloperie de putain de silver economy dans un contexte de finances publiques moins garnies que le livret A de votre servante (lequel présentement peut encore lui payer un aller/retour Lyon/Saint-Etienne mais, une fois le taux revenu à 1,25, ne lui permettra d'aller qu'à Saint-Chamond), lesdites finances publiques n'étant même plus en mesure, au plan budgétaire, de faire un choix raisonné entre une prise en charge de ses PAD (*) à domicile ou la construction d'un établissement... Etant donné donc ce réjouissant panorama, on peut pronostiquer sans se gourer que ce marché (oh so silver, so glittering, so juicy...) laissera de côté tous ceux qui vivent en-dessous du seuil de pauvreté, et même ceux qui sont juste au-dessus ; voire un tout petit peu plus haut encore, pour ne servir que les plus riches. Juste un exemple : un bracelet d'alerte relié à un service d'assistance coûte environ 150 euros par mois.

Bref, le retraité à fort pouvoir d'achat sera maintenu à domicile à toute force (comme on dirait : assigné à résidence) et pressé comme un citron, ou ne sera pas.

Quant aux autres, ils continueront d'occuper (très provisoirement, vu qu'on n'y fait pas de vieux os, ha-ha elle est bien bonne celle-là) les lits des EHPAD (*) aux murs de plus en plus décrépits, aux personnels surmenés et brutaux, recrutés à la hussarde parmi les couches les moins cultivées, les moins éduquées, les plus frustes, de la population, payés au lance-pierre et sans formation ni contrôle. Les vieux fauchés continueront de grossir les rangs de cette cohorte hagarde au dentier oublié dans le verre, la gueule béante, nourris de chou-fleur en béchamel et de soupe d'épluchures, conchiés et marqués de bleus et d'hématomes résultant de la trop grande sollicitude des gens chargés de s'en occuper.

La taulière de l'Appentis a l'impression d'être une cible vivante courant en zig-zag dans un parking désert... Tattttt-tt-ta-ta-ta-ta-ta-ta-tarrrrrrrrrr ! Tattttt-tt-ta-ta-tac !!

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P.A.D. = personne âgée dépendante - par conséquent, EHPAD = Etablissement d'hébergement pour PAD. Synonymes : maison de retraite ; hospice des vieux ; mouroir