Curieux d'ailleurs : on dit "on est lundi" comme "on est marron", ou "on est pas bien, là ?" Il se dit aussi "c'est lundi" comme : "tiens, c'est Machin, là, à la table d'à côté ?".

"Nous sommes lundi" sonne comme une déclaration politique qui va faire date. Trop majestueux. "Nous sommes le lundi 16 septembre 2013" atteint des sommets de précision et d'ennui.

Bref, que dire ? Peut-être, qu'on est samedi et se retourner dans l'oreiller encore un moment. Ca sonne déjà mieux. Ou : on est dimanche, deux tours d'oreiller. Où : c'est déjà jeudi ? Et hop, encore une de passée. Sans compter le délicieux "on est vendredi !" qu'on se murmure plein d'espoir entre deux borborygmes dentifricés avant d'aller se taper la dernière journée de boulot de la semaine.

Et les retraités, alors ? Eh bien, je m'en vas vous le conter, ma bonne : "on est lundi" ou "c'est lundi" sonne comme : vite, courir rejoindre la cohorte des vieux dans les allées d'Auchan.

Vrai, ce matin on était tellement majoritaires qu'on aurait dit une manif. Bon, une manif sans cadrage flicard : ça marche pas en ordre, ça avance, ça recule et même, ça erre pas mal avec le chariot de travers, les bras qui battent l'air pour attraper la mayo premier prix (Tsssst, mamie, faut pas, très mauvais pour vos artères - tu sais c'qu'elles te disent, mes artères ? Mes artères, mes artères... Est-ce que j'ai une gueule de mésentère ?).

Oui, les vieux sont un peu hagards dans les allées d'Auchan. Ellils comptent, aussi. Embouteillage, devant les sardines, d'une petite foule qui a longtemps stationné d'abord devant le thon avant de se rabattre vers lesdites. Je remonte le peloton et prends la tête, telle l'Anquetil des petits poissons en boîtes et je choppe devant un pépé abasourdi la boîte à .99 cts placée à 1m95 du sol tandis qu'il compare des contenants de la même chose avec la même huile mais à 2.30. Mes bras à moi s'étirent encore bien. Allez, pour une dizaine d'années.

Quoique si je me tasse en même temps, comme ça se dessine, mon avantage risque de ne pas durer. Se rappeler de demander toujours "la boîte là en haut".

Les vieux ont des chariots légers et des goûts simples. Les couples se font de petits plaisirs, une mémé discute ferme avec le poissonnier parce qu'elle voudrait un truc à 1 centime (authentique !!). Le poissonnier s'exclame, il n'en peut plus, il prend à témoin la moitié du magasin : y a rien à 1 centime, je vous diiiiis. "Même pas un bout de tacaud ?" insiste la star du moment, l'indéfrisable blanc-bleuté droit sur l'occiput, l'imper sans un pli. Le tacaud, le fishman il sait même pas ce que c'est (voiloh). Je dépasse l'incident diplo et ne saurai jamais la fin de l'histoire : l'employé du rayon poisson a-t-il pu faire entendre raison à la vieille dame ? A-t-il craqué, se mouchant dans ses sacs plastique, les gants pleins d'écailles odorantes et demandant à être mis en pause d'urgence ? La dame est-elle redescendue de son nuage d'anciens francs ? La plus belle des fins ce serait qu'il lui file un dos de cabillaud et tape 0,01 sur sa touche total.

Mais voilà, il ne peut pas. Le matériel ne le lui permet pas. La caissière se rendrait compte.

La mienne, de caissière, reçoit du mec devant moi (un quadra perdu dans l'océan des têtes chenues) deux chèques déjeuner et une réduc Auchan de 3 euros et l'avertit sans aménité qu'elle ne rendra pas la monnaie. Le client demande avec trois mots de français rassemblés combien ça fait, ce qu'il perdra au passage. La caissière tape des trucs et plante son matos : "Keski'm veut, çui-là ?" dit-elle à l'adresse de son écran. La caissière voisine lui crie de faire ANNUL. Deux fois. Encore. Lààà, voilààà (elle n'est pas d'ici).

Le type repart avec sa pitance, sans la monnaie qui lui aurait peut-être payé, en l'économisant trois semaines de suite, un café à la machine.

La caissière lui souhaite néanmoins d'une voix claironnante "une excellente journée, monsieur, et à très bientôt !".

A vous de même !