Un quidam au patronyme articulé en trois parties, dont la première s'imagerait par une chevelure masculine cuivrée, celle du milieu serait un pivot formé d'une particule et la troisième n'est pas sans évoquer, par une homophonie approximative, une ville de l'Hérault, quidam venant de s'exprimer, au nom d'une puissante organisation patronale dont l'acronyme, phonétiquement, est contenu dans la phrase "Amédée fais pas ch.", de s'exprimer, donc, sur les ondes du service public, nous dit à peu près ceci :

Il est scandaleux que tribunaux et gouvernement aient décidé un grand ménage dans l'ouverture abusive (abusive, c'est la taulière de l'A.S. qui le dit) d'un certain nombre de magasins de bricolage le dimanche, et l'ouverture nocturne (sans aucun accord direction/salariés préalable, toujours ndlr) d'un magasin de parfumerie situé sur les Champs-Elysées, appartenant à une chaîne européenne et dont la marque tinte, avec quelques autres, dans l'escarcelle du groupe leader du luxe en France dont l'acronyme phonétiquement pourrait s'exprimer ainsi : "élevé, et mâche" ; que le gouvernement donc empêche ces vendeurs de bricolage et de machins parfumés d'ouvrir toute la semaine, et toute la nuit.

Alors que, dit ce monsieur à particule centrale mais non élémentaire, et pour ne reprendre que trois de ses arguments pourris :

- Paris est la seule capitale au monde où l'on ne peut pas faire ses courses 7/7 et 24/24 ;
- le commerce sur internet ne ferme jamais, lui ;
- les heureux salariés de ces enseignes vont se trouver ainsi privés de rémunération, etc.

Il ne vient pas à l'idée de ce quidam moyennement cultivé que Paris gagnerait justement à incarner une exception et qu'on pourrait se démarquer du reste du monde parce qu'on n'a pas à plier sous la règle brutale et malsaine du vendre/acheter/dégager de la marge comme mode de vie. Ou qu'on pourrait souhaiter un autre modèle de société. Ou que cette capitale, Paris, pourrait ainsi rester ou devenir aimable et attractive (elle l'est déjà, y compris au sens commercial du terme) avec d'autres atouts qu'une parfumerie bas de gamme vendue à des prix exorbitants par des robots sous-payés à toute heure du jour et de la nuit.

Une autre forme d'exception pourrait se construire - entre autres - sur un univers commercial qui n'exercerait pas de pression mais serait ce qu'il devrait être : une simple invitation. Où l'on serait attentionné au client, où on le considèrerait autrement que comme une carte bancaire sur pattes. Pour cela, il faudrait recruter de manière pérenne, avec des contrats de travail respectueux du droit et des salaires dignes, et puis former de manière un peu ambitieuse, des vendeuses et vendeurs bien traités, qui traiteraient bien leurs clients. Mais pour ça, c'est un peu foutu, ne rêvons pas au Bonheur des Dames. La consommation touristique de masse ne s'encombre pas de ces délicatesses, Mouret est bien mort.

On en vient à espérer que ça vienne vite : que le commerce règne jour et nuit, que les consommateurs crèvent étouffés sous leurs milliers d'objets inutiles, dans tout leur plastoc, leur toc, l'invasion de leurs emballages... Et puis que tout ça retombe... Lentement.

Poussière, silence... Nouveau monde... Aurore ? Bah, faudra bien deux ou trois cents ans.

Revenons à notre mouton aux pattes tordues. Ce cynique 7/7 et 24/24 semble, de plus, atteint de schizophrénie en réclamant l'accès illimité de toute un-e chacun-e au magasin universel, et en l'opposant à la totale liberté horaire du commerce virtuel ; car il se trouve justement qu'il est co-fondateur d'ISAI, fonds d'investissement des entrepreneurs de l'internet. Se poser en défenseur du commerce traditionnel tout en finançant lourdement le commerce en ligne, il a pas mal aux grands adducteurs, le mec.

On gardait le meilleur pour la fin : que cet homme revête la cape d'un Zorro des salariés, c'est la meilleure !... et la tenancière de l'Appentis s'étranglerait volontiers de rire s'il lui restait une gorge intacte, hélas celle-ci est déjà obstruée par l'indignation. Le monde de la finance, après avoir réduit à néant l'emploi industriel, lui a substitué un emploi commercial massivement précaire, non qualifié et scandaleusement mal payé. Il a fait du gré à gré, c'est-à-dire de la négociation individuelle de chaque chef ou petit chef avec chaque salarié, un principe de vie dans l'entreprise qui a permis le développement de l'individualisme le plus crade.

De la puissante réplique potentielle des collectifs ouvriers aux abus patronaux, il ne reste rien. De la culture de solidarité qui en était le corollaire : rien. Le monde du commerce qui a remplacé le monde de l'industrie, et, avec son emploi disparate, éparpillé, solitaire, a brisé toute forme de résistance. Mieux : il a fait de tous ces exploités, cohorte de celles et ceux qui bossent selon des rythmes dévastateurs pour la vie familiale et personnelle, pour des salaires de merde, dans des conditions de merde, les premiers zélateurs de cet anti-modèle.

Bien sûr qu'ils râlent, les employés des enseignes à qui l'on réduit les heures d'ouverture : ça fait belle lurette qu'ils sont la variable d'ajustement d'une économie qui les considère comme du matériel, et encore : le matériel est davantage respecté. Lorsqu'on ferme plus tôt, ils perdent quelques précieuses dizaines d'euros par jour, et cet argent est forcément vital pour eux dans cet emploi d'où toute perspective d'évolution est absente. Bien sûr qu'ils râlent : on les étrangle. Et, au besoin, on les dresse contre le gouvernement, cet empêcheur d'exploiter en rond. On les fait vivre à court terme et ils raisonnent à courte vue : ils n'en ont pas d'autre, on leur a supprimé toute vision d'avenir. Comment voulez-vous qu'ils inventent une nouvelle forme de lutte collective pour réclamer non pas le "droit" de bosser au moment du repos des autres, mais des salaires et des horaires normaux, des boulots à plein temps et des conditions de travail acceptables ?

Pour conclure ce long et indigeste billet - mais qui ne représente que le dixième de ce qu'on en pense - l'organisation patronale de laquelle ce monsieur fut, début 2013, candidat à la présidence avant de se retirer au profit de son compère, trouve que, pour régler cette question d'ouverture, il faudrait tout simplement changer la loi.

Les dirigeants de l'organisation patronale en question pensent visiblement, si l'on peut s'exprimer ainsi (et on le peut car leur pensée, ils ne la déguisent guère), que le gouvernement d'un pays réputé pour sa démocratie parlementaire doit pouvoir, sur demande expresse du monde de "l'entreprise", convoquer ses ministres et ses députés (*) pour leur demander de bosser sur cette loi essentielle, attendue semble-t-il par la société française entière, et qui autoriserait une fois pour toute le commerce à ouvrir nuit et jour, du dimanche vingt heures au dimanche 19 h 59 mn 59 s.

Cette organisation patronale et son lamentable représentant, lamentablement et complaisamment invité sur les ondes du service public, ne peuvent sans doute pas imaginer de tâche plus exaltante pour ceux qui tiennent entre leurs mains la destinée du pays.

Pardon pour cette expression surannée : ceux-là ne tiennent plus rien, en fait. C'est bien là le problème : ils sont dépossédés, et nous, qui les avons élus, avons aussi le cul à l'air. Et nous marchons, comme on dit : une main devant, une main derrière, et sur la tête, qui plus est.

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(*) Et ils le peuvent (convoquer) ! Ajouté le 20 mars 2014 après la lecture dans le Canard du 19/3, de l'odyssée Montebourg/Bouygues, no comment.

Février 2015 : et c'est fait, emballé, pesé. Le ministre Macron, peste ultralibérale infiltrée chez les socialos-tu-m'la-fais-à-l'oseille, a signé pour le travail du dimanche. Et sans doute la nuit. Tout le monde a oublié cette actualité, donc dans la loi fourre-tout de Macron, on trouve certainement de quoi satisfaire les Roux de Baizieux et autres Gattaz.