C'est ça. C'est exactement ça :

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Ce n'est pas une eau lessive. Sa coloration est due sans doute à un sol à la fois argileux et calcaire. N'importe. C'est la couleur des rus de l'enfance de votre tenancière ici présente. Une eau qui pouvait être translucide lorsque les pluies avaient cessé, et qu'on voulait toujours troubler en "gassouillant" avec un bâton, accroupis au plus près de l'espoir de rencontrer là des têtards, ou mieux, une salamandre étonnante, noire et jaune...

La modestie du flux, sa paresse ; la petitesse du ruisselet : un fossé, à vrai dire. La présence d'herbe baignée comme une rizière, verts cheveux coiffés par ce léger courant qui dit combien éphémère est l'eau ici passante entre un chemin et un pré ; la froide transparence de l'air portée par un vent sans méchanceté, un peu taquin, même, et qui découvre le soleil par intermittences au milieu de troupeaux de nuages, dans une repeinture permanente de turquoise pastel, d'anthracite et de neigeuse pâleur... La dimension de l'horizon que rien n'arrête, du moins rien d'immédiat, bien qu'à sa limite extrême figurent, en découpé bleu-noir, les crêtes amicales du Revermont (nom rangé, sur l'étagère mémorielle de l'Appentis, à côté d'un flacon de vin bourru à la couleur et au parfum de terre) ; le bruit des pas dans la succion du sol lourd ou, par endroits, l'écrasement de gravier ivoire, inlassablement répandu par les cantonniers pour essayer de stabiliser un peu les sentiers entre les champs et les pâtures, où passent malgré tout des tracteurs. La beauté massive des longues fermes de brique, toutes environnées d'une profusion de fleurs, exactement comme il y a presque soixante ans...

Tout conspirait autour de nous pour une espèce de parenthèse délicieuse, fête bressane qui aurait pu être nostalgique si un Frantz de Galais avait été notre hôte. Au contraire, c'était très joyeux : rien de mieux que quelques personnes de 8 mois à 42 ans pour ambiancer une réunion de famille !

Toutes et tous ont repris aujourd'hui leurs chemins quotidiens mais il est plus difficile à celle qui écrit ce matin, de se déprendre de la Bresse louhannaise, de son plat pays automnal aux mille perceptions de plus en plus fines mais aussi de plus en plus colorées, comme des feuilles de vigne vierge framboise claire sur un mur couleur de peau, les rivières serpentines et leurs débords argentés jusqu'au coeur des blés d'hiver naissants ; les routes ne menant nulle part sinon à des lieux nommés comme pour mieux perdre : Etang Pré Noir ; le Grand Pré ; Petit Cerisier, Grand Cerisier...

Sur cette étendue assez solitaire, proche parfois du désert rural ; au croisement de ses petites voies et à la traversée de ses vieux et presque défunts hameaux, à l'abri d'un beau gîte chaud et confortable contenant de belles personnes, parmi celles et ceux qu'on aime le plus même si l'on regrettait plus d'un-e absent-e, c'était, le temps de deux journées, une brève tentative - mais successful - de lier un peu les pattes à ce fuyard : le temps.