On se rappellera que c'était un onze novembre. On se souviendra d'un radieux temps froid, d'un ciel bleu intense parfois recouvert de grisaille ; d'un soleil généreux, d'une bise en lame de rasoir. On se souviendra d'une quiétude fériée, de cheminées domestiques dont les blancs panaches envoyaient vers le sud à l'horizontale et à l'unanimité.

Qu'avant cela il avait fallu monter, monter, monter encore. La photo ci-dessous a été prise à mi-pente ! Elle offre un beau point de vue sur "les deux mamelles", dixit les mineurs à propos des crassiers qui dominent le Puits Couriot :

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A vrai dire, personne n'obligeait la patronne de l'Appentis à grimper. Juste une curiosité : supposons que je prenne cette rue-ci, puis cette autre, puis celle-là... Et qu'à chaque croisement je choisisse toujours celle qui monte... Il va bien arriver un moment où les dernières maisons seront au sommet, puis il n'y aura "plus qu'à" dévaler la pente pour rejoindre le centre plat et sa rue, bien nommée, du Onze Novembre (aujourd'hui, justifiant pléthoriquement son nom, la rue du 11/11 est une tranchée glaciale où, passé deux heures de l'après-midi, le soleil n'atteint plus).

A la cîme en effet, dernières maisons cossues entourées de parcs. Leurs murs en bordent un autre, public et sauvage, celui-là.

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Fidèle à la configuration stéphanoise, le Jardin des Plantes est une colline arborée prenant pied dans la ville-même, sur un moche boulevard qui disparaît dès les premiers mètres (cela, je le découvrirai à la redescente puisque je l'ai abordé, ce parc, par surprise et par son haut. Des sentiers d'humus, un plein silence à peine troublé par un quad mal venu mais vite reparti ; l'abri du vent parfois entre les fûts des pins, des parfums ; aucun chant, la migration des oiseaux ayant sans doute dégagé l'horizon pour quelques corbeaux qui s'éraillent le corgnolon dans l'azur vide. Tout en haut, un pré jusqu'où l'on n'ira pas, vaincue par la solitude un peu oppressante des lieux.

A Lyon, les urbanistes au service du pouvoir local allaient déclamant qu'il s'agit de "remettre la nature au coeur de ville". On n'analysera pas ici en détail la bêtise de ces propos mais on vous fera remarquer, Messieurs, qu'on ne "met" ni ne remet la nature nulle part : c'est elle qui décide de s'installer pourvu que l'homme, ce balourd, dégage ! On peut relire Pierre Senges : "Ruines de Rome" où la subversion par les plantes (billet 49 - Notes de lecture presque sans notes, 23/03/2013 sur ce même blog).

CIMG4373.JPGA Sainté, la nature est dans la ville et la ville est dans la nature. L'intrication est presque parfaite et souvent, la nature a le dessus : qu'un immeuble s'écroule, qu'un jardin s'ensauvage ; que la pente ne permette plus de construire et qu'un pan de mur invite, voilà la verte conspiration qui grimpe à l'assaut de la pierre.

Pour combien de temps ? La patronne de l'Appentis se frotte les mains (à propos, il fait toujours ici 4 degrés de moins qu'ailleurs) d'avoir connu cette ville avant que lesdits urbanistes ne commencent leur sale boulot totalitaire avec leurs voies requalifiées, leurs places "rendues à l'espace public" et leur "végétalisation" uniforme, leur manie du "structurant", de "l'apaisé", leur non-dite, mais violente comme un néon vulgaire, obsession du contrôle social avec son cortège de bancs individuels, de fausses clôtures de bois entourant des massifs impeccables de fleuristes, leur mode de la linéarité, du minéral. "Remettre la nature", ha ha ha. La peste soit des urbanistes.

Soyez vigilants lorsque vous déambulez dans des lieux "pensés", quelle connerie, comme des décors de cinéma, lorsqu'on vous fait le coup de la pierre apparente (mais jointoyée par Lafarge et blanchie jusqu'à l'insupportable). Ne vous ébaubissez pas devant ces oeuvres d'art contemporain placées si exactement, devant ces objets qui se complètent et se répondent avec leurs taches de couleur et leur obscène scénographie. Restez de marbre devant le paysagisme en action. Acceptez des villes imparfaites aux trottoirs en dévers, aux nids-de-poule imprévisibles, aux carrefours sans visibilité. Laissez-vous parcourir des quartiers intouchés, simplement vétustes et lisez la véritable histoire de leurs habitants telle qu'elle s'écrit, là, dans le plus grand désordre et parfois dans une misère sans beauté. Reconnaissez le risque qu'un interstice, parfois, ne soit pas comblé et qu'un squat s'y installe, que de sales trafics s'y déroulent, que les escaliers soient dangereux et leurs marches, inégales. Que le débarras sauvage d'un électroménager à bout de souffle soit recouvert en un temps record par la renouée du Japon et son ventre percé par les buddleias... Laissez la ville mourir et se recouvrir au lieu de la replâtrer toujours.

En vérité, je vous le dis, Saint-Etienne est nécessaire.

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Pour équilibrer le propos et ne pas sombrer dans une nostalgie trompeuse, avoir à l'esprit que la ville parcourue aujourd'hui, dans son équilibre précaire et si séduisant entre vie sauvage et vie urbaine, entre foisonnement de jardins et agréments du centre urbain, la ville n'était pas terrible, dans les années minières, et que la verdure d'aujourd'hui recouvre la laideur d'hier qu'on n'aurait pas aimée ! Ce qu'on aime, c'est ce qui est advenu, et qui n'est que de passage.