Ne vous arrive-t-il pas, en écoutant la radio le matin - à supposer que vous l'écoutassiez - d'être saisi-e soudain d'une sensation d'étrangeté ? Le jour se lève, c'est l'heure la plus intensive des informations, sur certaine radio "de service public" (vous voyez, déjà l'étrange : ces mots, comme ils sonnent bizarrement, comme ils semblent appartenir à un passé très lointain...), sur cette radio donc, des gens décrivent des événements, se livrent à des analyses, annoncent des résultats sportifs, commentent l'actualité comme si chaque matin, tout frais pondu, était le premier du monde.
Et vous, le nez frais aussi (un vent coulis en provenance de la fenêtre de la cuisine), penchée sur la buée de votre bol de thé, vous êtes, dans votre réalité, en pleine interrogation : qu'est-ce que c'est que ce monde qui m'arrive par les ondes ? De quoi parlent-ils ? - par exemple, hier matin, un type convenait qu'il devient difficile de s'y retrouver entre tous les écrans qui, à l'entendre, peuplent notre vie et encombrent nos tables, nos sacs à main, notre oreiller même. Ecrans ? L'aubergiste de l'Appentis, qui, vous l'aurez remarqué, accueille le client sans réservation préalable, compte ses écrans : ordinateur portable, fenêtre de la dimension d'une feuille A4 à peu près. Téléphone mobile : 3,5 centimètres par 5 environ. Et... ? C'est tout. Appartiendrait-elle à une espèce révolue ? Vivrait-elle dans une cinquième dimension ? Serait-elle morte, même ? La question s'ouvre et reste ouverte jusqu'à ce matin, où elle se précise.
8 heures : la navrance footballistique envahit les programmes. Il paraît qu'en Ukraine, des mecs habillés en bleu ont couru après un ballon face à d'autres types habillés j'sais pas comment. Les bleus perdent. Ce nano-phénomène semble remplir d'un étonnement attristé l'ensemble de la presse nationale. C'est comme si on était au premier match de foot du monde et qu'on découvre le drame : Oooooohhh... On a perdu...
C'est comme s'il n'y avait pas eu un temps où les équipes nationales, formées de sportifs - enfants et élèves de la République - formés et entraînés dûment par des gens qui y croyaient et qui étaient mal payés, allaient porter dans un esprit olympique (non que nous ayons un amour démesuré pour le sexiste coubertin, mais bon, faut bien référencer) la compétition honnête contre un autre pays, rencontre fraternelle et fructueuse quel que soit le résultat. C'est comme si ce temps n'avait pas sombré dans la baignoire pleine de mousse où s'exhibait un desailly jouant avec un portable dernière génération (c'est-à-dire un objet aujourd'hui obsolète, quasiment une cabine téléphonique) pour toucher des centaines de milliers de francs ; comme si ce temps ne s'était pas évanoui définitivement dans l'air trompeur des volcans d'Auvergne où l'on voyait un zidane découvrir dans l'herbe azotée un verre miraculeux débordant d'une eau dont le plan marketing vend la pureté et les grands espaces censés composer son essence d'eau, alors que cette flotte est surtout faite de nitrates, puisée qu'elle est dans un terrain agricole parmi les plus pouraves du territoire (domaine de tous les grands essais scélérats de céréales OGM), eau embouteillée - à l'époque, peut-être ont-ils fini par moderniser les installations - dans des hangars insalubres par des bonnes femmes exténuées travaillant en bottes de caoutchouc au milieu de la canicule ou des courants d'air glacés, jusqu'à ce que maladie professionnelle s'ensuive (l'humidité excessive émiette les os)... Lequel zidane commençait à courir pour des millions, et je vous le demande : n'est-ce pas là qu'il faut - s'agissant de foot - dater la nouvelle ère, celle où les gens qui enfilent la tenue bleue n'y vont que contraints et forcés, parce que la réalité de leurs gains astronomiques se situe dans leur club, chez leur patron mafieux dans la main duquel ils lapent, et que c'est là, uniquement là, que ces prostitués doivent faire leurs passes et réserver les performances que peuvent fournir leurs corps vendus ? Pardon : loués.
Ce matin, s'y l'on en croit les commentaires de la radio, c'est comme si, depuis 1998, rien ne s'était passé dans le monde du capital et du foot, ces deux sales jumelles. Les journalistes continuent d'analyser ce monde et les autres, le politique par exemple, ou encore l'économique, avec des grilles tellement vieilles qu'elles en sont totalement rouillées et qu'ils font surtout la démonstration qu'ils n'y voient que couic.
Et ils continuent : blah, blah, blahh... Vous, vous êtes là, penchée sur la buée de votre bol de thé, et le malaise se précise : ici et maintenant vous ressentez les vraies choses. Une chaudière qui peine à fournir 19 petits degrés à son meilleur moment, la nécessité de descendre au marché et donc, d'en remonter), ces rideaux qu'il faut finir, plusieurs paperasses à classer, courriers à écrire... Le ciné peut-être cet après-midi ? Ah oui : repassage sans faute parce que ça déborde. Et par-dessus tout l'envie là, tout de suite de ne rien faire de tout cela, mais d'essayer de décrire ce qui vous arrive...
Pendant ce temps, dans un monde parallèle, la radio cause : ouiiiii, voilà ! (voiloh) Un monde parallèle.
Ne vous est-il jamais arrivé d'avoir le sentiment qu'entre le monde tel que le décrivent les médias et la vraie vie, il y a, je ne sais pas, tiens : deux ou trois galaxies de distance ?
Bah, mieux vaut s'émerveiller des écharpes de brumes descendant du Pilat, lequel, figurez-vous, s'est mantelé de blanc épais dès hier. Mieux vaut s'équiper pour affronter la fraîcheur (hi hi) et marcher d'un bon pas dans la rue cotonneuse, retrouver les marchands, la goutte au nez, devant leurs étalages de produits bourrus, un peu terreux. Ne pas hésiter à prendre la file d'attente chez le type qui fait toujours la gueule, là au fond du marché, mais qui a une terrine incomparable (tu sais, La Jardinière, celui qui fait aussi ce jambon délicieux), et à midi, avec un canon et un peu de pain craquant... Mieux vaut préparer le prochain café-lecture au Remue-Méninges. Savoir qu'à midi au plus tard le brouillard aura regagné les forêts là-haut, et qu'il sera temps de remettre le nez dehors pour aller musarder dans les rues pentues...
Mieux vaut souhaiter aux personnes qui lisent ici et aux poètes :
(à l'heure où je vous écris je viens d'éteindre ma radio, ne supportant plus le rire auto-satisfait d'un Yvan Levaï dans sa revue de presse.)
Comme vous y allez! et comme vous avez raison!
car telle est bien la question: Doit-on se résigner à supporter plus longtemps cette société sans joie et sans avenir avec des aigreurs et des malaises matinaux ?
Lecteur méfie toi, la taulière de ce non-lieu est une subversive situationniste !
et puisque c'est dimanche , rappelons ce temps ancien que les moins de 20 ans ....
http://www.youtube.com/watch?v=ULWf...
et bon anniversaire à Alberte!
Soumis également à cette catastrophe apocalyptique, à ce naufrage cataclysmique, à ce séisme désastreux,à cette déconfiture funeste, j'ai pensé
1. Ce sont les sponsors qui écrivent les commentaires ?
2. Le poids des mots devient-il inversement proportionnel à l'importance des choses ?
3. Et si j'éteignais ?
...
Ce que je fis.
Et partis me consacrer à la préparation de mon vtt !
Little malentendu peut-être ? Ou plutôt little mal exprimé de ma part, d'où peut-être imprécision.
La taulière n'est pas tant catastrophée par le catastrophisme que déconcertée par la faille san-andréesque qui baîlle entre ce que décrivent les médias (en bien ou en pire, hé hé), et la réalité réelle des vrais gens de la vraie vie. Entre celui qui se plaint de l'excès de tablettes tactiles dans sa life pariso-parisienne et qui ne sait même pas que vivent, et comment vivent, la majorité des Français dans leurs petites bourgades, leurs grandes villes aussi mais leurs petits quartiers ; entre ceux qui pleurent des larmes de croco - sans doute sponsorisées, Mr K., sur ce point vous avez raison - sur une équipe de foot en faisant semblant d'oublier que le foot en tant que sport, est mort étouffé sous les biftons et qu'ils pleurent (hum) une illusion. Entre ceux qui (ça rappelle Prévert, tiens, soudain) chaque matin commentent une actualité politique comme primordiale, alors qu'il s'agit d'un jeu, d'un jeu d'acteurs, d'un jeu de rôles, d'un jeu de pouvoir, le tout du niveau d'une cour de récré communale. Avec ricanements de Levaï, oui, insupportables, Paul(A).
La Mme Jourdain de l'Appentis, situ sans le savoir (je viens de m'informer sur Wiki car mes notions étaient très vagues en la matière), serait plutôt intéressée par le mouvement anarchiste actuel, tel qu'il est mis en mouvement et en actes par des gens qui ne font pas de discours mais ouvrent des squats, créent des radios, nourrissent et logent les sans-droits, etc. A suivre le 10 janvier prochain un billet sur le sujet. Pourquoi le 10/1 ? Un autre anniversaire.
Moins gonflée que ces militants de l'ombre, la patronne de l'A.S. s'investit sans doute plutôt mollement, considérant (Victor) qu'elle a déjà pas mal donné et que son âge mûrissant l'autorise à observer le spectacle du monde (et non la "société du spectacle" du très référencé Debord, à lire prochainement !).
En attendant, OK pour lancer le mouvement "Eteignons". Ceux qui facebookent seraient sans doute plus efficaces pour diffuser, mais les facebookiens, par essence, n'éteignent jamais. Alors éteignons ici, pour commencer !
Bon dimanche à VTT, à pied, au chaud ou au frais, à table ou au ciné !
P'tit air symboliste /
Quatrain à toi l'enfant, au copain, à l'amie
qui m'aviez adjugé bonheur sous soixante ans ;
songez qu'à vous connaître apparut que j'entends
quelque chose zéphyr la liberté ravie.
= 1953 si vous recopiez [titre + poème] ici :
http://www.gef.free.fr/gem.php
Et merci chère jeunesse, la Taulière de l'Appentis Saucier !
Alberte L_
Alberte, la reine de la gématrie ! Essayez, c'est magique !