Alors, ça commence un peu soft. "Comme on nous parle", Pascale Clark, lundi 9 heures 15. La diva du "Come on !", même pas la gueule de bois après l'anniversaire carabiné de France Inter ce week-end (très réussi), a invité deux personnalités fort attachantes de l'industrie française du luxe : la très convaincante Muriel Pernin pour "Les Atelières", ex-Lejaby, en train d'expérimenter de nouveaux process de fabrication "petites séries" après avoir réussi le pari de départ et levé des fonds de manière très intelligente pour recapitaliser la jeune entreprise. Et puis Jean-Marc Gaucher, charismatique président de Repetto, les petites chaussures "cousu-retourné" (procédé breveté et jalousement gardé), celles qui faisaient des pieds de danseuse à notre Gainsbarre national.

Pernin raconte Lejaby, la difficulté d'être chercheuses en même temps que fabricantes, l'embauche sous convention avec l'INSA d'un ingénieur en productique, les paris fous en train d'être gagnés. On a envie de faire un don, c'est mieux que le téléthon. Gaucher expose sa vision citoyenne de l'entreprise, affiche les chiffres insolents de sa fabrique de chaussures haut de gamme avec des techniques de management à donner envie de se reconvertir. Salariés polyvalents et bien payés, gestion intelligente de la fabrication et de l'export, 20 % de croissance (un genre de rêve tout debout au pays de la crise permanente), 60 millions d'euros de chiffre d'affaires, 300 salariés.

Gaucher, honnête homme, réfléchit en même temps qu'il parle et crée dans le poste ce genre de moments rares pendant lesquels un invité se livre sans calcul et nous fait participer à sa réflexion. Pour illustrer la performance Repetto, il dit "tout de même, on sort un modèle en python à 400 euros alors que chez les marques concurrentes, à 400 euros c'est de la croûte de porc" (citation de mémoire).

Et là, patatras. Clark : "c'est pas une espèce protégée, le python ?" - "Ce sont des pythons d'élevage", répond doucement Gaucher. La gêne est, comme on dit dans les bons ouvrages, palpable. Même Clark ne rebondit pas.

L'épouvantable vision d'un parc d'élevage de ces beaux reptiles bigarrés vous saute alors à la gueule sans préavis. Effacement de la jolie paire de ballerines bicolores, souples à ravir. Images insoutenables de serpents stockés dans des conditions qu'on n'ose imaginer, animaux dénutris, assoiffés, malades, en état de stress maximal. Mépris total de leurs modes de vie, animaux prisonniers, univers concentrationnaire, reproduction extorquée. Serpents harponnés, assassinés (comment ? Il ne faut pas abîmer la peau). Serpents "épluchés" du haut jusques en bas, pauvres corps dépecés, peut-être pas tout à fait morts. Odeur de cadavres, que fait-on des pythons écorchés ? Pas de recyclage, pas d'équarissage. On les pile ? On les compacte ? On les met simplement dans des sacs poubelle ? On les brûle ? Repetto, combien de pythons ?

La visite du site de la marque est la revue d'un holocauste d'animaux sacrifiés pour chausser les pieds de bobos : vachettes abattues, chèvres saignées, iguanes tranchés, serpents, oiseaux (il y a une paire en plumes floquées), moutons, porcs... L'obscénité aveugle.

A l'heure où la recherche en textile fait merveille, où l'on imagine les tissus du futur capables de nous habiller en déclinant un monde de performances inouïes : chaleur, climatisation, hygrométrie, circulation sanguine, massage... A l'heure où l'on invente des tissus révolutionnaires qui changent de couleur, qui permettent toutes les audaces, toutes les façons, Jean-Marc Gaucher aura-t-il le courage de lancer son entreprise sur une gamme de chaussures n'utilisant aucun produit du règne animal ?

Je sais : ce ne sont que quelques pompes, Seigneur... Et Repetto la toute petite pointe d'un iceberg désolant. L'asservissement et le massacre de masse des animaux au profit des humains ne sont jamais remis en question, sauf dans de tout petits cercles (anti-spécistes, écolos, chercheurs) qui n'ont aucune audience.

Qui pourra soutenir qu'on a besoin de chaussures en peau d'animal ? On en a besoin parce qu'on a la flemme de chercher un synthétique offrant le même confort qu'une peau vivante. Je lance une idée : si vous avez envie de souplesse raffinée, faites-vous enlever sur les fesses un bon morceau d'épiderme (ça se reconstruit, d'accord ça met un peu de temps et ça peut laisser des cicatrices mais y a sûrement moyen de trouver la parade). Faites-le tanner, portez-le à Repetto et faites fabriquer vos pompes dans votre peau de cul.

Le sort des bêtes n'intéresse pas, voilà tout. Les défenseurs des animaux sont considérés comme de pauvres illuminés. Cousu-retourné. Retourné, cousu. Que les pythons, animaux magnifiques, nous pardonnent : nous ne sommes pas évolués.