Le 115, qui évoque le SAMU social (lequel 115 est d'ailleurs habituellement saturé, mais enfin il a le mérite d'exister), est aussi un bon numéro pour le billet que voici. Il s'agit de commenter trois éléments d'un article paru dans le Figaro.fr de ce jour.

Symbolisons ce commentaire par un triangle, par exemple.

A l'un des angles de ce triangle infernal, on trouve ceci :

«Les amis, la situation politique dépasse toutes nos espérances. J'espère que vous êtes prêts car d'ores et déjà, je vous le dis, c'est pour nous!» (dans un article d'Atlantico publié le 19/11 dernier, cité par le Figaro.fr de ce jour).

La deuxième pointe porterait cette autre citation que le Figaro emprunte cette fois à Valeurs Actuelles :

«Il y aura malheureusement un moment où la question ne sera plus “avez-vous envie?”, mais “aurez-vous le choix?” (…) Dans ce cas, effectivement, je serai obligé d'y aller. Pas par envie. Par devoir. Uniquement parce qu'il s'agit de la France.»

Goûtez le rapprochement de deux citations qui vont aussi bien ensemble qu'un costard à rayures avec une cravetouze à carreaux sur limouille vert pomme ! Chez Valeurs Actuelles, on débite du devoir-de-la-France ad nauseam. On balance du lourd moral, du gaullien dans le texte : la France l'appelle, le Sarko (car vous l'aviez reconnu) ! C'est Jehanne. Il a ses voix ! Y a que lui qu'entend ! Mais il entend très fort, il abaisse la visière du heaume, il doit y aller ! Lancelot !! Ivanhooooooohéééé !!!

Chez les potes d'Atlantico, en revanche, on se lâche un peu... Le col défait, l'assiette repoussée, c'est une confidence qui sent le micro fermé, la fin de réunion après le départ de la presse. Ca dégouline du cynisme le plus crade : Sarko annonce que le gâteau est presque cuit, qu'il faut armer les couteaux. On croirait entendre Vautrin préparer un coup dans "Splendeurs et Misères..." : "...Y a gras !". Ah, vision du pays !! Grandeur de l'appel de la Frahance ! Oubliés ! Aux chiottes l'avenir du pays ! Non : "C'est pour nous", "Les amis", et l'on n'hésite pas à dire que la situation "dépasse toutes nos espérances". Si ce n'est pas se réjouir du malheur du pays, moi je suis géomètre-experte, et si ce n'est pas monter sur un bon vieux braco (*) pour mettre le pays en coupe réglée, moi je suis stagiaire-brahmane.

A la troisième pointe, on trouverait une intéressante photo de l'ex-chef d'Etat Nicolas Sarkozy dans une pose méditative impressionnante de naturel : gros plan sur tête/épaules. Les silhouettes qui l'entourent sont floutées, mais à y bien regarder je jurerais que j'ai vu ce bon Raffarin. L'homme Sarko est assis, accoudé à la table. Les doigts entrelacés comme pour une prière silencieuse, les deux index viennent barrer les lèvres fermées. Petite barbe de trois jours mais bien soignée, coiffure poivre et sel peignée "nature". Le regard est presque tourné vers l'intérieur, grave, quasi désarmé. Au-dessus de l'auguste trombine (non, j'ai pas écrit "la trombine de l'auguste"), des ors républicains (?) et du blanc, moulures et panneaux. Costard sombre, cravate assortie. Fleurette écarlate à la boutonnière, mains manucurées au petit poil, alliance et Rolex sur manchette immaculée. L'animal est séduisant, on oublie son mètre quarante trois dont à vrai dire on n'a rien à faire, c'est pas la question comme aurait dit Georgette. C'est le Sarko du "devoir-de-la-France", pas le Don de "les aminches c'est pour nous".

Pourtant, les deux citations et la photo figurent dans le même article. On pourrait s'étonner que le Fig n'ait pas senti l'incongruité de mettre ensemble ces trois éléments, n'ait pas vu le loup... Ou alors y z'auraient une taupe dans le desk ? Mais au deuxième ras-bord, on est obligé de reconnaître que la photo synthétise parfaitement les deux phrases et que la triangulation est bouclée : le regard perdu pense au destin du pays, les doigts phalliques montrent le seul chemin possible du pouvoir, la petite barbe et la Rolex signent le truand. Cette photo, moi je vous le dis : elle est sacrément pensée.

Prenons un instant l'identité d'une mouche et allons voler au-dessus des tables du Fouquet's à l'heure du brunch, ou chez Ladurée autour des tables à thé : l'homme capable à la fois de méditer et de faire le ténébreux (le veuf, l'inconsolé) ; de parler comme le grand Charles tout en laissant dépasser de sa braguette un millimètre de bistouquette canaille, cet homme-là plaît à Mâme Bouziges et à Meudème de Plessis-Trévise qui en humidifient leurs culottes de soie. Il chatouille l'ouvrier dans sa fibre de lutteur et le curé où je pense. Il plaît aux hommes qui s'identifient au chef, il séduit les financiers qui goûtent le corsaire, il convainc l'intello-mou qui croit le voir élaborer du sens, il emporte l'adhésion des lycéens qui pensent que de toute façon tous les politiques sont des bandits, et les lycéennes des Demoiselles de la Légion d'Honneur qui fredonnent "qu'il est joli l'assassin de Papa".

Terminons par une petite homélie : Mes bien chers frères, mes bien chères soeurs, il faut lire toute la presse, de l'extrême gauche à l'extrême droite, car on y apprend à bien identifier notre ennemi. Ce type-là ne nous veut aucun bien, il est tellement sûr de lui qu'il l'annonce sans aucun complexe.

Ne le perdez pas de vue, ne lui tournez jamais le dos.



"Monter sur un braco", c'est, dans l'argot de la grande truanderie, préparer un casse. Entendu dans les années 60 : "j'sus monté su'un braco, j'faisais le chauffeur".