Ou : L'Habitat Coopératif : utopique ou réalisable ?

Le jeudi 19 décembre, le journal les Echos publie dans sa rubrique "Les Echos Business" trois colonnes sur ce qu'ils appellent "l'habitat participatif".

''"L'habitat participatif conjugue mixité sociale, immobilier durable et insertion urbaine. Ce type de montage encore embryonnaire devrait être favorisé par la loi Alur".''

Voici une dizaine d'années, la patronne de l'Appentis s'est intéressée de très près à un projet d'habitat coopératif lyonnais, baptisé à l'époque "Habitat Groupé Duchère", lequel n'a jamais abouti pour diverses raisons.

Hormis les motifs habituels de clash dans ce type de projet : impréparation des participants, manque de moyens - et de montages - financiers pour assurer les phases d'études ; difficultés d'appréhender un projet immobilier d'envergure (10-15 logements, c'est déjà du lourd), absence d'une dynamique de groupe efficace, inévitables conflits de personnes et prises de pouvoir sauvages, etc. il reste une raison majeure à cet échec.

C'est que la loi française, par ailleurs assez à l'aise avec le fait coopératif lorsqu'il s'agit de coopératives agricoles, de production industrielle et autres SCOP, présentait une very grosse lacune quant à l'hypothèse d'une "coopérative d'habitants". Contrairement aux Suisses, aux Allemands, aux Canadiens - entre autres - les Français ne disposaient d'aucun cadre législatif pour créer une coopérative d'habitants et lui donner les moyens d'assurer une mission qu'on pourrait définir ainsi :

- réunir sous un même toit (fût-ce un toit d'immeuble) plusieurs foyers (familles, célibataires, etc.) qui seront chacun coopérateur et non copropriétaire du bien qu'ils occupent ;

- élaborer, parallèlement au projet immobilier (achat de foncier ou bail emphytéotique à durée maximale, adossement à un professionnel de la chose ou auto-promotion, maîtrise d'oeuvre et/ou maîtrise d'ouvrage, etc.), un projet collectif de vie fondé sur la solidarité sociale, inter-générationnelle (multidirectionnelle !), solidarité entre les valides et les porteurs de handicap (réservation d'appartements dédiés) ; mise en oeuvre d'espaces de réinsertion (appartement(s) dédié(s) à des précaires avec un dispositif de type Habitat & Humanisme) ; partage enfin d'un jardin, d'une buanderie, de vélos, etc.

- porter haut des valeurs coopératives d'abord, écologiques ensuite : pas de spéculation immobilière, mais l'achat par chaque foyer de parts sociales, restituées au départ éventuel du coopérateur (le côté un peu casse-gueule de l'aventure, mais qui devrait pouvoir trouver un cadre légal rassurant) ; mise en oeuvre de la coopération à l'intérieur de l'immeuble mais aussi au-dehors ; immeuble à basse consommation, voire passif ; achat de l'énergie chez un producteur type Enercoop ; mise en commun d'équipements (buanderie, four grande capacité, atelier de bricolage, salle commune pour fêtes, réunions ; studio-chambre d'amis ; etc.) pour évacuer la juxtaposition de consommations individuelles ; recherche d'une autosuffisance et partage de savoirs, lien social avec le voisinage, promotion du modèle, etc.

L'équipe qui, à Lyon, suivait l'affaire, s'appelle HABICOOP. Cette association s'est, au fil du temps, orientée vers l'ingénierie de projets avec facturation de services mais, à l'origine, elle rassemblait les porteurs de projets sur toute la France. Ce fléchissement dans leur philosophie s'est produit pendant que le projet duchérois "pédalait dans la semoule". A l'époque, Habicoop, forte d'un premier travail successful et gratuit avec Village Vertical à Villeurbanne, proposa aux Duchérois de HGD un suivi de projet pour 10 000 euros, qu'évidemment le groupe n'avait pas !

Parallèlement, les gens d'Habicoop, faisant preuve d'une naïveté politique de vrais puceaux qu'ils ont dû, à mon avis, perdre en route, s'étaient successivement adressés, dans une tentative de lobbying, à Boutin puis à Apparu. Lesquels, en bons UMP, hormis des paroles lénifiantes, n'avaient absolument rien fait. Et pour cause : depuis quand la droite (forte) se préoccupe-t-elle du mouvement coopératif, alors que celui-ci remet en cause la totalité de ce qui fait le fonds de commerce de cette droite : promotion immobilière sans foi ni loi, vue comme une simple mais fructueuse manne financière ; désintérêt complet à l'égard des actions solidaires en tout genre ; horreur de la gratuité et, surtout, certitude que de telles initiatives sont dangereuses en raison de leur philosophie collectiviste et parce qu'elles tendent à ce que les citoyens s'affranchissent du mercantilisme et deviennent, quel gros mot : AUTONOMES !

Rappelons au passage que la droite travaille inlassablement à mettre à genoux, financièrement et juridiquement, le mouvement HLM, et vous verrez que d'ici dix ans et une alternance politique, ils vont y parvenir. Croire, dans un tel contexte, que les ministres du logement successifs du gouvernement Fillon allaient bouger le petit doigt pour faire avancer le schmilblick, relevait de la pensée magique.

Enfin, outre que les membres du groupe-projet HGD voyaient bien que l'habitat coopératif n'était pas pour demain, ils regimbaient quelque peu à l'idée d'une relation pécuniaire avec Habicoop, un intermédiaire de plus venant ruiner un des ressorts essentiels de ce type de projet : faire ensemble, apprendre en faisant, fabriquer ses propres outils et moyens de l'autonomie, puisqu'il faut répéter ce mot.

Le temps passait. Les montages juridiques aboutissaient tous à une impasse, Habicoop mettait gentiment la pression pour que soit signé quelque chose comme un contrat de fourniture de services, même si les choses n'étaient pas formulées ainsi. En quatre longues années, Habitat Groupé Duchère vit ses participants quitter le navire un à un-e, lassés par les atermoiements, les changements d'orientations, les éparpillements d'efforts et d'énergie... Dommage ! Pile-poil au moment où Rhône-Saône Habitat, promoteur immobilier affilié HLM, un interlocuteur correct et professionnel, se proposait pour l'adossement du projet, ce qui aurait permis de décoller dans des conditions certes pas idéales, mais enfin, qui a décroché la pleine lune du premier coup ?

Pendant ce temps, Village Vertical réalisait son projet sous la forme d'une société par actions simplifiée, seule entrée possible dans le cadre légal à l'époque. En visitant les sites indiqués plus haut, lectrices-teurs se feront leur propre idée sur la problématique globale de l'habitat coopératif et sa confrontation au réel. V.V. est indéniablement une réussite en termes de promotion immobilière responsable, et construit actuellement sa propre expérience de vivre ensemble. Il sera temps, d'ici une paire d'années, d'en faire un premier bilan.

Quant à Habicoop, il est à craindre que, contrairement aux espoirs formulés plus haut, ils n'aient gardé une vision un peu idéale du monde politique, puisque sur leur site ils vendent quasiment la peau d'un ours à notre avis très insuffisamment tué, en prétendant que la loi ALUR donne un statut aux coopératives d'habitants.

La patronne, quant à elle, est en proie à quelques inquiétudes.

Que dit la Loi ALUR ? En substance :

"L’habitat participatif est une démarche citoyenne qui permet à des personnes physiques de s’associer, le cas échéant avec des personnes morales, afin de participer à la définition et à la conception de leurs logements et des espaces destinés à un usage commun, de construire ou d’acquérir un ou plusieurs immeubles destinés à leur habitation et, le cas échéant, d’assurer la gestion ultérieure des immeubles construits ou acquis."

Ce ne serait pas la première fois que les socialistes, rois du concept et de la comm', essaieraient de nous fourguer de grosses et opaques vessies au lieu des éclairantes lanternes qu'on réclame. La première personne qui trouve le terme "habitat coopératif" dans le texte de cette loi a gagné... l'estime indéfectible de la tenancière appentisseuse.

La disparition du mot "coopératif" au profit du concept fumeux de "participatif" (qui renvoie malencontreusement à la bouffonnerie de la "démocratie participative", autre billevesée qui, si on s'informe tant soit peu, ne se révèle rien d'autre qu'un truc de truqueurs politiques) laisse la taulière de l'Appentis rêveuse, mais d'un très mauvais rêve. Le "cas échéant" de l'association avec une "personne morale" (lisez : promoteur immobilier) est typique des ouvertures discrètes de portes en direction de ce bon vieux monde des requins en eaux profondes.

Participez, participez... Il en restera toujours quelque chose...