C'est ainsi qu'un jeune couple a baptisé son petit garçon, né un 25 décembre voici quelques années. Joli prénom, anagramme élégant, petit clin d'oeil. Elno est-il aujourd'hui un joyeux luron ? Je le leur souhaite. Joyeux Elno !!

Légendes et à-côtés :

  • 24:12:13, 17 heures, parking du marché : des hommes bruts, brutaux, vêtus de pulls troués, mal rasés et moroses, remballent sans douceur plusieurs dizaines de têtes de "sapins" (Picea abies ou Nordmann) qui n'ont pas trouvé preneur. On sent d'abord une puissante fragrance résineuse. Cette première respiration pourrait nous transporter en forêt, où ce parfum vert sombre, porté par le vent, restitué par les pas foulant les aiguilles brunes, circulerait autour de nous comme une écharpe familière. Mais c'est fugace. En approchant, l'odeur devient entêtante et accompagne le bruit sinistre des branches fouettant le sol avec violence tandis que les hommes, se frayant un chemin parmi les monceaux d'arbres cisaillés, coupés à la hache, traînent ces dépouilles méprisées sur le bitume crasseux et les jettent dans la benne du camion. Ils déclouent et arrachent les croisillons posés au pied des "sapins" et les balancent bruyamment. C'est une vision de bouchers disposant un charroi de cadavres. Les malheureux bouts d'arbres, vaincus, déshydratés, violentés, pleurent leur sève. L'odeur de leur mort, comme un cri muet.
  • 24:12:13, 20 heures : The Lunchbox déroule sur l'écran du cinéma Le Méliès une incroyable bluette épistolaire entre deux êtres solitaires - une performance à Bombay, mégapole saturée de gaz d'échappement et de chaleur moite, dans le vacarme de trains bondés où des grappes d'hommes s'agrippent aux portières, où la promiscuité forcée et subie règne partout : au bureau, dans les appartements, les bus, mais se révèle finalement constitutive d'un mode de vie qui s'arrange de tout cela, chacun y recréant son espace intime qui inclut parfois la tablée des voisins ou la main baladeuse d'une vieille femme aux heures de pointe... Promenade inattendue, au fil de ce très joli film, dans une culture, une gastronomie et une histoire délicieusement "british", au demeurant totalement indiennes.
  • 24:12:13, 23 heures : fin d'une soirée très conviviale qui prolonge le cinéma, avec pizzas et sans sapin, ouf, chez des Stéphanois hospitaliers, amicaux, dispensateurs de chaleur humaine, la seule qui vaille un soir pareil !
  • 25:12:13, 1 heure. La taulière devant son écran rêvasse au billet qu'elle écrirait bien demain matin - enfin, tout à l'heure. Elle regarde vaguement les actus (mortel !!), sourit au souvenir des bonnes personnes rencontrées ce soir et, ses paupières devenant lourdes, se dit qu'il faut vraiment aller se coucher. Dans un étroit interstice entre cette intention et une somnolence qui frôle l'endormissement, avant qu'elle ne s'étire et se lève, elle est assaillie par un souvenir incroyablement précis, coloré, aux contours parfaitement dessinés...

C'est juste avant les vacances de Noël, à la fin de l'après-midi. Les enfants sont surexcités, le maître d'école laisse un peu sortir la vapeur, il a l'air bonasse et farceur, il semble attendre quelqu'un. Soudain, une silhouette bleu marine passe le long des fenêtres de la classe. C'est le facteur du village, mais travesti en Père Noël pour les pauvres, avec sa pèlerine d'usage, même pas rouge, et une barbe un peu pelée de coton blanc. On le reconnaît, bien sûr, mais... Comment dire ? Un léger doute, le simple fait qu'il joue à fond son rôle de Père Noël et surtout qu'il débarque avec une hotte pleine, nous réduit à un silence plein d'attente.
De timides murmures accompagnent son apparition sur le seuil de la classe. Il entre. L'émotion s'empare des enfants, en dépit du fait patent qu'il s'agit bien du facteur. Tout de même, lorsqu'il demande à un élève s'il a été sage, la voix chevrote un brin pour répondre "Oui Père Noël". Le préposé distribue des papillotes (une ou deux par personne), peut-être une mandarine, recommande à tous d'être gentils, serre la main de l'instituteur et puis s'en va. Qu'on mesure notre candeur : nous avions huit ans !
La nuit tombe, le maître nous libère et nous allons par les rues dans l'air glacé, porteurs de nos présents, portés par l'infrangible esprit de Noël présent partout et pourtant affiché nulle part : ni guirlande, ni lumières surabondantes ; aucune indication que des banquets se préparent. L'odeur domestique des cheminées fumant dans le soir, le remuement des bêtes dans la ferme Humbert dont la porte de l'étable donne à voir depuis la rue, le claquement de nos pas sur la terre gelée, la promesse de retrouver des intérieurs chauds, les odeurs de nourritures un peu exceptionnelles qui seront mitonnées demain... Voilà où souffle l'esprit.
A venir demain la liesse tranquille de la messe de minuit où l'on gèle tout debout dans l'église en attendant d'aller admirer, sous la flamme des cierges, une grande et robuste crèche aux personnages convenus, tout droit sortis d'un folklore catholique dix-neuviémiste : un christ blondinet de taille 10-12 ans, couché dans de la vraie paille ; une marie à l'air enamouré dans sa robe turquoise, un joseph frisotté, barbe bien taillée et dégaine d'honnête cocu. Ni âne ni boeuf, les bêtes n'ont pas droit de cité à l'église.
A venir plus tard, de retour dans la chaleur du foyer, le parfum des peaux d'orange disposées sur le fourneau, les loupiotes fabriquées avec une mandarine évidée, coupée en deux, où l'on verse un peu d'huile et dont on enflamme la mèche. Le vin chaud offert aux clients, les châtaignes, des friandises. Puis la nuit noire étoilée à travers les fentes des volets disjoints, le sommeil qui s'en vient avec les derniers pétillements de la bûche qui se défait et s'écroule dans le tout petit poêle de la chambre, rouge et noire lueur dansant derrière la minuscule vitre de mica fendillé. Sur cet écran de cinq pouces s'inscrivent nos contes d'hiver.