Pourquoi la gauche est-elle comme ça, un peu con ? Oui oui, je suis dedans, je me compte au nombre de ces gentils cons, comme mathématiquement un ensemble est inclus partiellement dans un autre ensemble (je me souviens des crobars avec des patates qui se recoupent sur le tableau en maths). La patate dans laquelle je me range (et que je serais bien en peine de nommer car elle est diverse et colorée) recoupe en effet - tout de même assez largement - la patate de "la gauche".

Donc, nous sommes un peu cons. Et amnésiques.

Pour ne citer que quelques exemples d'un passé récent, en 1973 au Chili la droite dure avait utilisé les camionneurs pour mettre le pays à feu et à sang. Dans les années 2000, les "autonomistes" du croissant, en Bolivie, tentaient de faire sauter Morales. Aux Etats-Unis, pareil à diverses occasions : chaque fois que les "communists" (quelle que soit la définition, très vague selon Hoover, de cette mouvance : écrivains afro-américains, défenseurs des droits civiques, homosexuels, amateurs de protest-songs...) semblaient menacer les coffres de Fort Knox ou les juteuses affaires militaires, hop : on organisait la rue avec l'aide - rémunérée en espèces ou en certificats d'impunité - de la crapule recyclée pour l'occasion en flics contractuels ou en provos. Les "camionneurs" de Jimmy Hoffa (dont un certain nombre n'avaient jamais tenu le volant d'un gros-cul) ne furent jamais les derniers.

La pensée "de gauche" est-elle donc si insupportable aux tenants d'un conservatisme radical (*), qu'ils aient pris ce pli de faire "donner" tous azimuts chaque fois que l'ordre établi est menacé ? Par exemple, par une élection au suffrage universel ; ou le virage par trop "droitdel'hommiste" d'un gouvernement, ou l'idée que les indigènes pourraient être rétablis dans leurs droits fonciers ; qu'on pourrait se retirer du Viet-Nam ; ou l'idée vraiment extrême-gauchiste de "l'Obamacare", etc. Plus près de chez nous dans le temps et dans l'espace, chaque fois qu'il est question d'impôt, de "dépense publique", de droits identiques pour tous ; du corps des femmes (achtung !! Gros réceptacle de révoltes ultra-gaucho, le corps des femmes)...

De quoi donc est fait ce réservoir sans fond que possèdent les conservateurs pour mettre le feu à la rue ? Syndicats (!) de camionneurs ici ; camorra là ; paramilitaires ailleurs ; milices de tous ordres, nervis recrutés sur les docks et les marchés ; petits commerçants fauchés à qui on désigne "le juif" comme cause de leur déconfiture ; défenseurs d'un petit lopin qu'on leur fait croire menacé ; petits blancs ; religieux (**) du plus humble au plus important dans la hiérarchie, qui relaient activement la politique par l'intox dans les églises...

Qui encore ? Printemps français ; Manif pour tous ; GUD ; bonnets rouges ; fachos en tout genre, identitaires, "paysans" qui ne sont que de très gros exploitants fanatiques des rendements, gros consommateurs de la P.A.C., pourrisseurs de sols et esclavagistes de saisonniers sous-payés ; pourfendeurs de l'écotaxe (***), quoi donc encore ? Ah oui, nos amis de Civitas, qui ont le même sourire carnassier et réversible que Bergoglio...

La droite française, qui fait sa rosière par devant (cf Christian Jacob ce matin sur France Inter), met tous ses fers au feu par derrière et ça marche !! Je connais des smicards ou des allocataires de l'ASS pour prétendre que seul Hollande a augmenté leurs impôts ; des chômeurs persuadés que "les Arabes" ont plus de droits qu'eux et se mangent la totalité des prestations sociales du pays ; des anars pour qui le mot "fonctionnaire" est une insulte ; des Verts imbéciles qui pourfendent les élus de gauche qu'on leur a désigné comme "l'ennemi productiviste". Etc.

Oui, la gauche est un peu con. Lorsque nous manifestons contre la désagrégation du tissu social, nous écrivons sur nos panneaux des choses vraies, factuelles, sur l'hôpital public, l'éducation, les droits des demandeurs d'asile ; nous affichons honnêtement nos objectifs de lutte et nous distribuons gentiment des tracts au coin des marchés, toujours courtois (en face, en général, les ultras de LO, LCR, NPA etc. Ceux-là, on les reconnaît, ils font toujours la gueule). Nous essayons d'expliquer aux gens que le discours de droite est biaisé, pipé, qu'on les utilise pour véhiculer des idées malsaines... Bref, nous faisons de la pé-da-go-gie ! Incorrigibles niais, nous sommes incapables de démonter même devant nos troupes le contenu d'un faux syndicat de routiers qui n'est qu'une grasse organisation patronale, un mouvement des "bricoleurs" qui n'est qu'une troupe hétéroclite de va-nu-pieds payés par leurs employeurs pour porter des panneaux bricolés, ça oui.

Mes chers amis, nous nous battons "à la loyale", les deux mains bien visibles, avec nos poings et sans intention de donner la mort, juste une bonne raclée. En face, l'adversaire a plusieurs couteaux dans ses manches, dans ses bottes, et un comparse derrière prêt à nous assommer et à nous tenir au sol tandis qu'on nous achève.

Pendant ce temps, donc, la droite s'organise. Vous l'aurez remarqué, même la gauche la plus molle lui fout des boutons et l'incite à flageller ses troupes pour occuper la rue. Ses slogans sont compréhensibles par tous : "Allland'dégaj". Un projet politique concis, droit dans ses bottes. Une sorte de string malodorant qui cache mal le cul sale du fascisme ambiant, lequel, faut-il le rappeler, est toujours à vendre. Or, la droite a quelques moyens et n'hésitera pas à s'acheter une troupe nombreuse pour nous exterminer ("jusque dans les chiottes" ?).

Essayez donc, comme en 68 (oups, excusez le gros mot) d'organiser une contre-manif. Sera-t-on 160 000 (ou même 17 000) ?



(*) Conservateurs qu'on pourrait tenter de définir ainsi : observants stricts d'une religion théorisée au profit du maintien de l'ordre établi ; avides financiers, possédants parfois sans autre légitimité que l'héritage de richesses arrachées quelques siècles plus tôt par la rapine, le massacre des autochtones, l'appropriation scélérate au profit de peuples dépourvus de défiance ou l'exploitation et l'esclavage ; ajoutons-y des valeurs rigides consistant à ne jamais sortir des rails "de nos aïeux" ; patriotisme imbécile exploité pour la conquête ; détestation imbécile pour toute idée de générosité universelle, de répartition des richesses et de secours aux plus faibles

(**) A propos, vous avez vu la trombine du pape lorsqu'il a reçu Hollande ? Oubliée la bonhomie un peu cucul du "Saint Père" coiffé d'un chapeau indien, ou qui renvoie le ballon aux enfants des rues, embrasse les bébés... Hollande pourra s'enorgueillir d'avoir arraché le masque du Bergoglio, qui montre alors le même visage que devait arborer le Provincial des jésuites argentins lorsqu'on évoquait devant lui ce que l'on peut appeler, très pudiquement, un manque de solidarité envers ses propres troupes : l'oeil froid d'un merlan surgelé qui regarde au loin pendant que les généraux font prendre l'avion à ses ouailles pour un bain lointain et définitif dans le grand océan.

(***) Prochainement dans ces pages, un "démontage" de l'éco-taxe et des propos insanes de Bayrou sur le Code du Travail. Y a gras, comme disait Vautrin à Rubempré (de vrais enfants de choeur, ceux-là).