Un démontage est plus facile lorsque le système à désosser a un peu refroidi. Profitons-en donc. Aujourd'hui sur l'établi : L'ECOTAXE.

1 - Origine : 2007. Le Grenelle de l'Environnement est lancé par Jean-Louis Borloo, Ministre de l'Ecologie et du Développement Durable. Le principe d'une fiscalité écologique (pollueur-payeur) sur les transports routiers est retenu : c'est "l'écotaxe", déjà perçue dans plusieurs pays européens.
N.B. - raison pour laquelle, depuis sa mise en place en Allemagne, les routiers sympa et allemands déboulent à fond la caisse de Mulhouse à Strasbourg et retour, moyennant un détour négligeable le long de la französische A35, au lieu de cheminer sur leur propre E35, de leur côté de la frontière.

2 - Principe fiscal : l’écotaxe est payée par les transporteurs routiers, mais sera répercutée sur les chargeurs, c'est-à-dire ceux qui commandent la prestation de transports. En effet, les transporteurs routiers reporteront l’écotaxe sur leurs clients en augmentant leurs tarifs.

3 - Mise en oeuvre - Mars 2009 : un appel d'offres est lancé par le gouvernement français pour le marché de la collecte de l'écotaxe. Le choix du gouvernement Fillon est en effet un PPP (partenariat public privé). L'opérateur privé retenu percevra la taxe et la reversera au Ministère du Budget en prélevant au passage le prix de son service.

4 - Qui est retenu au terme de l'appel d'offre ? Un "autoroutier" italien, "Autostrade per l'Italia". Ce qui suscite quelques remous...

5 - Et qui donc est "Ecomouv" ? La société, créée par Autostrade per l'Italia et chargée de la collecte de l'écotaxe.

6 - Le "PPP" est officiel ! Signé en 2011 par les ministres Kosciusko-Morizet pour l'Ecologie et Bussereau pour les Transports, le contrat prévoit qu'Ecomouv retiendra 250 millions d'euros sur les 1,15 milliard attendus de l'écotaxe (plus de 22 % des recettes). Une clause du "PPP" stipule aussi qu'en cas de renonciation à ce marché, l'Etat français payerait à Ecomouv une dédite de 800 millions d'euros.

7 - Déplacement des lignes... Un principe républicain gravé dans le marbre depuis la Révolution veut que seul, l'Etat soit habilité à percevoir l'impôt. Lorsque le gouvernement français choisit en 2009 de confier cette tâche à un privé, ce que les ministères de l'époque appellent pudiquement "l'externalisation de la collecte", ils le justifient par la cherté des investissements qu'il aurait fallu engager pour installer l'infrastructure et en assurer la gestion complexe, à l'heure où l'État cherche à réduire la dépense publique. En revanche, les syndicats tels que CGT Finances Publiques ou Solidaires Douanes, voient dans ce montage le retour des "fermiers généraux", ces intermédiaires qui collectaient l'impôt pour la Couronne et se rémunéraient au passage.
N.B. - le prix de la collecte de l'impôt par les services de l'Etat en France est estimé actuellement par l'OCDE à 1 % des recettes, un des meilleurs taux du monde. A mettre en perspective avec le prélèvement de 22 % des recettes de l'écotaxe (si elle devait voir le jour) par Ecomouv.

8 - 2012 : Et hop !! Le 6 mai 2012, avant de fermer sa boîte à trombones, Thierry Mariani, successeur de Bussereau, signe le décret d'application, laissant à Flanby-coeur-de-granit, qui pénètre ce jour-là à l'Elysée, le soin de refiler ce dossier glissant à Jean-Marc Ayrault, diacre de Notre-Dame-des-Landes. Ce n'est plus un caca, que glisse Mariani sous le tapis en partant : c'est une escadrille de merdes volantes prêtes à décoller, et auxquelles sont accrochées des guirlandes de pétards C4.

9 - 2013 - The times they're a changin'... Ayrault lance le navire Ecomouv sur l'océan déchaîné de la contestation routière. Armor Lux vend des bonnets rouges par centaines et les livre (sans payer l'écotaxe). Plusieurs portiques à 500 000 euros pièce sont déjà détruits par les insurgés de la route.

10 - "R.I.P." ou "dormez, je le veux" ? Le 29 octobre 2013 Ayrault enterre (pas très profond) l'écotaxe. Quelques mois plus tard il lâchera sur l'antenne de France Inter une phrase très brève et un peu marmonnée, où il est question de "procédure en cours". Personne ne relève ni ne questionne. Dénonciation du PPP ? Relance de l'enquête sur l'attribution du marché public ? Recherche d'une solution pour relancer le truc avant que ça ne coûte trop cher ? Chi lo sé ?

Sourire + n° 1 : sur le site du ministère de l'écologie la présentation de l'écotaxe... date d'avant le mouvement de protestation dit des "bonnets rouges". Le ministère annonce ainsi l'entrée en vigueur de l'écotaxe pour le... 1er janvier 2014. Hem hem.

Sourire + n° 2 : OTRE, le "syndicat de routiers", comme l'appelaient les médias, qui s'agite, la tête près du bonnet (rouge) n'est pas un syndicat de chauffeurs routiers mais, comme son sigle l'indique, une organisation patronale. A l'origine de sa création, "un conflit entre transporteurs routiers et gouvernement sur le prix du carburant en 2000" (site de l'OTRE).
2000. Tiens, tiens... Qui donc qu'était premier ministre à l'époque ? Aucun lien avec le § du billet 130 (quand les camionneurs sont utilisés pour contrer un gouvernement trop social-iste). Un pur hasard.