(Stefano-cronica otra vez)
Quand la taulière glisse la clé de l'Appentis sous une tuile cassée posée debout à côté du seuil où court un limaçon (hu hu), si l'on n'est pas le lundi, ousqu'elle va faire la revue des cavernes souterraines et des spots à suicides stéphanois avec sa bande de potes âgés, c'est qu'on est vendredi ou samedi et qu'elle monte "à Tardy" pour chanter.
Oui, lectrices-teurs, la taulière ajoute à son arc déjà multicordes, elle qui a toujours rêvé de savoir en gratter six sans jamais y parvenir, le chant ! Le chant choral. Enfin, on essaie d'être choral(s), mais on ne part pas toujours ensemble et on arrive souvent dans le désordre, au désespoir de Madjid, notre chef de choeur patient et bienveillant, un as de la litote ("oui, c'était bien là... On va la refaire" à la fin de chaque chanson).
Et comme elle ne fait rien à moitié, la taulière, après le vendredi soir chez "Chorale éphémère" (Madjid, t'as raison on va la refaire), le samedi c'est "Les rubans de Janette" avec Djamila qui nous fait contorsionner avec un tas de gym avant de commencer, qu'on est déjà à moitié crevées sans avoir seulement poussé deux ré dièses. Ah ben, vous me les copierez les rubans ! Qu'est-ce que n'apprends-je-t-il pas tout à l'instant d'ailleurs ? Que ces rubans sont des plantes vertes !!
Bon. J'ai pas choisi le nom des chorales, moi. Résoudons-nous y donc, à fredonner au milieu des insectes et autres plantes vertes, moi qui ai toujours rêvé d'être une mouche sur un apidistra...
Bon, vous voyez le surmenage tout de même : Ephémère, Rubans. Rubans, Ephémères. L'enfer des répètes et des tournées à venir. Le burnous des stars me point...
Ai-je dit que chanter est un vrai bonheur ? Ah, j'aurais oublié ? Alors "je te le dis, et je te le re-redis..."
Aujourd'hui, la ré-com-pen-se plus plus : si l'on avait dit à la taulière, voici seulement deux semaines, qu'un samedi midi elle serait en train de pousser la goualante dans un micro avec ses co-choristes FMR au bar de l'Orca (à Tardy, donc) ! Si on le lui avait dit, elle se fût contentée d'hausser les épaules. Seulement voilà, c'était samedi midi justement tout à l'heure, et elle y était ! De tout son coeur, qu'était bien ouvert suite à l'absorption de rouge qui tache et d'un chili kabyle cuisiné par Madjid, lequel, lorsqu'il ne règle pas son ampli, baisse le gaz sous la cocotte où il mijote des trucs, bref, de tout son coeur la taulière chantait "... Que l'on est bête / Mais comme on est heureux ! / La la la li, l'esprit est une enclume / Et c'est lourd / Quand on est fait de plume..."
A sa gauche, donc, une copine de choeur qu'arrête pas de marcher sur les fils et que je te coupe le son !... Madjid à la gratte... Et j'te remets le son... Devant, le micro réglé un poil trop haut qui nous appuie sur la narine gauche. Collé-e-s contre la taulière, d'autres choristes surchauffés. Notez bien qu'on est huit sur deux mètres carrés encombrés de câbles. "Besame, besame mucho / Como si fue esta noche la ultima vez..." L'ampli nous chauffe les mollets ; entre nos pieds, un projo de couleur rose nous fait de belles joues enluminées et nous aveugle totalement. La fièvre de la scène ! Les feux de la rampe ! Gloire amour et beauté ! Sylvie, la présidente des "Amis de Ferdinand" (Buisson) vocalise à l'envi.
A notre droite, le zinc auquel s'accoudent plusieurs habitués avec de bien pittoresques bonnes têtes, dont un, les yeux clairs noyés (dans le pastis) et ourlés du rouge des sans-sommeil, qui cramponne rêveusement son verre en soupirant d'un air éperdu "ah celle-là c'est ma préférée" chaque fois qu'on en entonne une autre. En face, ceux qui mangent, ceux qui ont mangé, ceux qui saucent la sauce avec les galettes de Myriam (tu dois me donner la recette au fait), ceux qui repoussent leur assiette, celle qui vide son deuxième canon de rosé (salut Claude !) reprennent en choeur. C'est plus la chorale éphémère, c'est le total song planétaire à l'Orca, rue de Tardy.
Ca braille, ça sonne la pression et le perco ; le patron, impavide, essuie et ressuie le comptoir, sa dame encaisse, Myriam passe haut les corbeilles à pain. La guitare sonne suffisamment pour couvrir les approx de la chorale non seulement éphémère mais encore débutante et diminuée de moitié (y a des dégonflés qui sont pas venus). Le groupy du comptoir les préfère toutes, décidément, et commence à zyeuter la taulière d'un air entre deux airs. C'est le moment de chanter "avec du sentiment", allons-y Alonzo. On termine en virtuosité sur les p'tits trous de notre chanson-vedette, l'inoxydable Poinçonneur à Gainsbarre. Au plafond, ce sont les dalles isolantes qui se barrent en sucette ; d'anciens dégâts des eaux laissent de mélancoliques auréoles. Les tables sont serrées, dans le miroir les bouteilles reluisent, il fait un peu trop chaud et aussi un peu froid, manière aux vents coulis qui s'engouffrent ici ou là. Madjid, un homme de décision, baisse carrément le rideau de fer devant la fenêtre pour ne pas perdre sa main gauche.
Et oui, c'est comme ça, à Tardy ! Un peu plus bas dans la rue, vous trouverez M'sieur Gadi, le garage (sa boutique est moins large que la scène de l'Orca). Chez M'sieur Gadi, si tu passes dans la rue et que tu as une petite panne d'auto, tu vas le voir et en attendant la réparation tu vas acheter le pain et les gâteaux chez son épouse, tout à côté ("va donc faire un tour chez ma femme pendant que je regarde ta voiture").
Voilà comment les hasards des déménagements vous font jeter l'ancre dans un quartier qui vous tape au coeur et qu'on n'échangerait pas, maintenant, pour un autre. Bien que, je te le dis, monter à Tardy, c'est pas une litote : de chez la taulière faut presque s'y rendre à plat-ventre. Mais y a du progrès : elle ne fait plus que trois pauses dans la rue : une devant la maison funéraire, l'autre devant un Midas, la troisième sur la place Ferdinand (Buisson).
Un dernier détail qui a son importance. Vous cherchez une île dans le désert de la loi Evin ? Montez donc à Tardy et entrez à l'Orca, le rade où l'on fume au zinc, peut-être le dernier de France.
Ah, rentrer chez soi en sifflotant et sentir partout sur ses fringues la bonne vieille sentimentale odeur de clope... "Cou-leur ca-fé / Que j'ai-me ta cou-leur ca-fé..."
Fersen, Lasso, Gainsbourg, éclectique la sélection dirait rebecca !
vous êtes l'idylle des zincs,et il en est même qui vous envient ..." l' air entre deux airs"...typique de celui qui connait la chanson ;-)
Vous nous raconterez la suite ?
Sans aucun doute ! Et surtout, dites-vous bien que si la taulière le fait, c'est que c'est à la portée de tout le monde !
Un écho des coulisses le prouve : les "Rubans de Jeannette" est un groupe de femmes qui avaient envie de chanter ensemble. Elles ont donc "embauché" la chef de choeur qui est payée par vacations d'une demi-journée pour les répétitions (on partage son salaire entre nous), et pour mettre en scène le concert donné par la chorale en mai de chaque année. La demi-journée de répète, c'est le prix d'une place de cinoche pour chacune.
Quant à la "Chorale éphémère", il s'agit d'une amicale de quartier qui a eu envie de chanter, etc.
L'affectio societatis est prépondérant dans cette ville qui n'oublie pas son passé minier et vibre comme un seul homme en clamant "Je voudrais travailler encore - travailler encore / Forger l'acier rouge avec mes mains d'or"... (Lavilliers, enfant du pays, ici vénéré). Les Stéphanois chantent. Ellils chantent au quotidien, car la taulière cette semaine par deux fois, attendant le tram, était encadrée de deux personnes qui fredonnaient (pas la même chose, mais sans se gêner). Dans ce pays de silicose, les médecins recommandaient de faire travailler beaucoup les poumons pour évacuer un peu de la poussière mortelle. Alors ils chantaient et jouaient de la sarbacane http://fr.wikipedia.org/wiki/Sarbacane_de_la_Loire, étonnante pratique encore vigoureuse aujourd'hui.
Mais, sauf erreur de la taulière, point de Gloria Lasso dans notre répertoire : Besame mucho aurait été chanté (source Wiki) par une dame Velasquez sur une aria de Granados en 1941, et la kitchissime Gloria semble bien être la seule à ne l'avoir jamais susurrée ! Les sources des chansons populaires se perdent dans les méandres des mémoires collectives. Témoin la célèbre musique qui demeura longtemps, hélas, celle d'une pub pour café soluble avant qu'on s'aperçoive qu'elle avait été composée (peut-être) par Rodolfo y su Tipica. On aurait sans doute pu la pister jusqu'aux premiers vallenatos colombiens, dont l'apparition est (peut-être) attestée dans le Valledupar ou la Cienaga Sta Marta. Dvorak, Rimsky-Korsakov, Tchaïkovski, Grieg (la liste serait trop longue) ont exploité sans vergogne (et avec raison) leurs racines folkloriques. Et que dire de Llorando se fue, des Boliviens Kjarkas, massacrée sous le nom putassier de Lambada et balancée sur tous les pelvis de tous les dance-floors des 90's !
Assez d'étalage. Plutôt que de se laisser aller à sa marotte personnelle, la taulière devrait bien plutôt renvoyer à "En avant la zizique", de notre cher Bison Ravi, un digest inégalé de la variétoche et de ses arcanes.
Beau billet, tout y est palpable, et ça donne envie.
Les amis de Ferdinand Buisson ne sauraient être tout-à-fait mauvais ;-)
Vénérer Lavilliers, on ne peut décemment leur en vouloir, et cette chanson-là, en plus... Ah...
Le chili kabyle, je le sens bien aussi !
Quant à chanter, une chorale, j'ai pratiqué il y a bien longtemps... De quoi redonner des idées, peut-être...
Le billet était encore bien moins beau que l'ambiance ! A propos d'ambiance, samedi 22 février à Lyon, une "zadifestation" en soutien au mvt contre NDDL - il y aura une chorale (chants de lutte). On peut envoyer l'affiche sur vos mails sur demande.
Comme quoi, chanter, hein...
Dans tous les cas, chanter est salutaire. Une personne rencontrée récemment, s'est guérie de ses apnées du sommeil en chantant (régulièrement) ; elle a pu être "désappareillée", ce qui, pour ceux qui connaissent, est une véritable délivrance.
Trois bonnes raisons pour y retourner. Une 4e, Mr K ? Le mouvement choral en France manque cruellement... de voix d'hommes !
ben oui, Gloria m'a perdue! je l'ai confondue avec Arielle D.
je ne reviendrai donc pas en deuxième semaine :-(
Ha ha ha ! Gloria L. n'aurait même pas regardé Arielle D. si elle l'avait rencontrée au BHL - pardon, au BHV.
Mais foin de beuglantes, l'avantage à l'Appentis c'est qu'on a toujours une deuxième chance au grattage !
Allez, tou-te-s en choeur : "Le chat noir pris dans le vent / Passe son âme, passe son âme
Le chat noir pris dans le vent / Passe sa vie en cabriolant..." (*)
(*) JL Murat, sans doute une des plus jolies comptines de notre époque
PS - Pour de la chanson plus consistante, ne pas hésiter à écouter Loïc Lantoine, le plus talentueux mal rasé de la décennie, un fils naturel d'Arno qui en a une belle paire (d'yeux bleus). Mes must : "Je cours", "Je ferme" et "Mauvais ouvrier"... A découvrir son dernier album "J'ai changé" (c'est pas vrai heureusement). Ceux qui sont plus chevronnés pilotes de blogs pourront mettre des extraits sur leur page. Autrement y a les sites de zik en ligne.