LA VILLE SUR LE DIVAN
Introduction à la psychanalyse urbaine du monde entier
Laurent Petit - (Editions) La Contre Allée

A peine refermée la dernière page de La ville sur le divan, la démangeaison est intense de le partager. On ne se tient pas de se gratter jusqu'au sang, qui bout, et d'ouvrir son blog avec précipitation, jubilance et enthousiasmitude.

Ruez-vous donc sur votre libraire, commandez cet OLNI en prenant au besoin le libraire au colback, éventuellement s'il fait mine de lambiner sortez une arme (factice bien entendu), ou encore séquestrez-le jusqu'à ce qu'il ait validé la commande. Non seulement vous ne serez pas déçu-e-s mais ce livre indispensable vous ouvrira grandes les fenêtres d'un large que vous ne soupçonnez même pas. Même pas.

Si vous voulez voir la trombine de l'artiste en pleine performance et vous faire une idée du sujet, allez donc sur YouTube et payez-vous une tranche de marrade en suivant l'implacable démo de notre psychanalyste urbain (ben...) aux prises avec "La LosAngelisation de Saint-Brieuc". Implacable.

"La ville...", c'est Rabelais au pays des merveilles, Jabberwock à tous les étages, le Rhinocéros n'est jamais loin, et le commissaire San-A. n'aurait pas détesté enquêter aux côtés de L. Sans parler de Béru. Dialogues bellettiens, rencontres quenelliennes (de Queneau, pas de ce gros type barbu, là), épopée insensée... Tout est dans tout et réciproquement dans La ville sur le divan. Le pire c'est que Laurent Petit, en fait, psychanalyse bel et bien urbainement parlant les villes dont il parle de manière savante, et je ne vous dis rien des crobars délirants qui émaillent le bouquin.

C'est un livre où l'on rit à s'en tenir les côtes dès la première page, mais où, dans chaque page truffée de blagues se glissent des paroles de vérité sur le devenir des villes et les méfaits de l'urbanisme à travers les siècles ; où la colère vous empoigne, entre autres à la page 283 (Alger, interview d'Adlène Messihiladi - journaliste à El Tatan week-end, par Aliosha Isacovitch). Pas la colère contre l'auteur, non mais ça va pas !! L'auteur, on a plutôt envie de le serrer dans ses bras façon Gros-Câlin. La colère, saine et vaste en son objet, elle vous remonte au pif dont elle n'aurait jamais dû redescendre, car ce chapitre fait le point, dans un réquisitoire saignant contre la colonisation, sur la situation algérienne. Performance de ballerine sur pointes, Laurent Petit, sans jamais quitter le ton déconneur, réveille tout ce qui vous étouffait tranquillement la glotte depuis quelques décennies. Et vous le présente sans fioritures, dans un moment du livre où soudain, en plein milieu d'une rigolerie aux dimensions planétaires, le propos se fait incisif et cogne au plexus. Voyez le style.

Le style de Laurent Petit, tiens justement, invite à l'imitation. Grande est mon envie de le pasticher ici mais je m'en garde bien car je ne saurais qu'échouer dans une tentative insane de pomper son style foisonnant, flamboyant et fulminant, quitte à vous plonger dans "un enchantement sans bornes qui chercherait en vain depuis des siècles son équivalent dans la réalité...".

Entrez donc dans ce bouquin, entrez entrez et vous verrez, outre le compte rendu scrupuleux des opérations de psychanalyse des villes de Vierzon, Tours (Tours, mérite le détour), Roubaix-Tourcoing-Wattrelos, Marseille, Alger... Vous verrez des personnages incroyables (mais il faut les croire), depuis La Corbusière qui guide notre psychanalyste dans les villes rivales de Tours et St-Pierre-des-Corps ; en passant par de mystérieux comparses qui, conduisant L. de beuverie en cuites comateuses, sans jamais perdre le fil notez bien, jusqu'au délicieux Bozzone en son atelier de réparation de vélos, sans compter les punks à chiens de Tours adoptés par les mémés du coin, etc. Faites connaissance avec l'ANPU (Agence nationale de psychanalyse urbaine), les Z.O.B. (zones d'occupation bucoliques), les PNSU, l'AAAAH, etc.

Le problème, c'est que si je continue cette note de lecture je vais finir par recopier le bouquin, vu que je n'arrive même pas à isoler une citation, car chaque phrase qui me fait tomber de la chaise est suivie par une autre qui me propulse pendue au lustre, etc.

Laurent Petit est un grand modeste. Un grand malade. Un grand prophète. Un grand farceur. Et un grand psychanalyste du monde entier, de la race des Bailly ou des... des... des Laurent Petit, tiens. Laurent Petit est grand.

Et c'est donc confiante en la possibilité de commander une psychanalyse de Saint-Etienne, que je vais me rendre le 21 février prochain, "La ville..." sous le bras, à un "Café-Géo" organisé par la Khâgne Fauriel dans un café où je n'aurais pas mis les pieds même sans les mains, car mon style à moi, vous le savez maintenant, c'est plutôt le bar "L'Orca" que le "Brussels Corner" où va se dérouler ce café-géo, et moi, là, j'arrive avec le livre de Laurent Petit, et ça va dézinguer sec, c'est moi qui vous le dis, à la fin du débat tous les khâgneux seront planqués derrière une barricade de chaises érigée à la hâte, moi je serai debout sur le zinc et je lirai d'une voix tonitruante des passages de la psychanalyse urbaine du monde entier, en lançant des bouteilles pleines en direction de ces fayots du système, et je viserai particulièrement les intervenants, lesquels essaieront de sortir leur portable mais paf !!! Un siphon d'eau de Seltz traversant la salle à toute vapeur brisera net leur élan et leurs 28 dents, la pression coulera dru des tonneaux éventrés par tant de bonne littérature jusque dans la rue et par la porte brisée menu menu la géographie s'en ira, toute nue et triomphante, et remontera le cours Victor Hugo habillée en Liberté guidant les peuples, et je m'assoirai sur le cadavre du professeur émérite conférencier et j'enverrai un sms à Laurent Petit "tu peux venir j'ai tué tous les affreux".

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Morceaux choisis :

"(...) ce qui aurait supposé que nous soyons déjà de très grands experts en psychanalyse urbaine, alors qu'en définitive, quand nous nous sommes penchés sur votre ville, vous pouvez comparer notre situation à celle de quelqu'un qui prétendrait être un grand chirurgien alors qu'il n'aurait même pas entamé ses études de médecine et qui se retrouverait en train d'effectuer un triple pontage sur un patient en grande difficulté alors qu'il n'aurait même pas de lit pour y poser son patient, qu'il n'aurait même pas de bistouri pour dégager l'aorte supérieure de l'omoplate gauche, ni même de bobine de fil pour recoudre les plaies et les intestins qu'il aurait arrachés par erreur et je ne vous parle même pas des infirmières qui auraient été recrutées à la hâte à la sortie d'une boîte de nuit en échange de je ne sais quels tickets boissons ou pilules d'ecstasy frelatée..." (lettre au maire de Vierzon, page 24).

"Comme c'est souvent le destin des villes entourées de remparts, Tours, la ville enceinte, s'est fait défoncer l'arrière-train par un train qui est venu la prendre par le Sud, ce qui l'amènera tout naturellement à accoucher de nouveaux faubourgs, en se développant ainsi dans cette direction, et donc elle passe d'un axe Sud-Nord à un axe Nord-Sud... Tours fait donc un demi-tour sur elle-même ?... C'est bien ça." (p. 123).

"Au niveau morphocartographique cette fois-ci, science qui permet quant à elle de mettre en évidence des formes inconscientes dans le tracé des cartes des territoires étudiés, on s'est vite aperçu que le plan de Wattrelos laissait apparaître une forme de lapin !" (p. 193). (NDLR : page suivante, un plan de Wattrelos avère cette information à première vue loufoque !).

"(...) première longue dépression de Marseille, qui va alors sombrer dans la misère pendant plus de huit cents ans, tout ça parce qu'elle avait choisi le camp des légitimistes, celui de Pompée... et maintenant, pour n'importe quel Marseillais, être légitime, être dans la légalité, lacaniquement parlant, ça veut dire se faire pomper !" (Hugo L., gardien de but interviewé à l'occasion de la psychanalyse urbaine de Marseille.)

"(...) à l'avènement du FIS, les militaires (avec le soutien des intellectuels et de l'Etat français en sous-main) interrompant le processus électoral qui lui aurait permis d'accéder au pouvoir, comme si une bonne partie de la société algérienne n'avait pas eu envie de voir grandir ce FIS parce que devenu adulte, il serait sans doute venu mettre son nez dans les comptes de ses parents militaires, vous savez comment sont les enfants, ils sont tellement épris de justice..." (Adlène Messihiladi, p. 295).