Stéphano-chronique chantante, suite.

A la Maison des Associations, qui est l'ancienne école Tardy - du moins une aile désaffectée de l'école Tardy, conçue à l'origine pour une population nombreuse et dont la réduction de moitié illustre le drame de cette ville - à la Maison des Associations, donc, nous chantons dans les anciennes salles de classe.

Si l'on voulait faire un peu de poésie à bon compte, on pourrait dire que ces lieux, aujourd'hui vides d'enfants, résonnent encore de leurs rires et de leurs cris.

Il n'en est rien. Nulle mémoire de bruits enfantins, nulle farandole de dessins aux murs, pas d'écharpes oubliées aux patères : le silence, une odeur de poussière qui n'est déjà plus celle de la poussière scolaire mais une autre, faite de travaux bricolés, de ciment balayé, de peinture. De longs et larges couloirs déserts ouvrent ici ou là sur l'une des associations locataires.

Dans la salle de la chorale, la semaine dernière, un dessin était pourtant punaisé sur une armoire, sans doute exhumé in memoriam, étant donné que le Rital venait de nous quitter : il s'agissait, sur le papier à entête jauni d'une société pour la diffusion de l'espéranto, d'une caricature autographe. Le râleur intemporel aux sourcils en bataille et à la crinière indomptée vociférait dans la bulle, au-dessus de son ample signature : "Vous avez pas voulu de l'espéranto ? Vous avez l'anglais. Bien fait pour vos gueules ! Amicalement, François Cavanna".

Au premier étage, le couloir est une vaste jungle d'immenses plantes vertes bien soignées : les feuilles lustrées de philodendrons capricieux enrobés de leurs racines aériennes et les larges pales, comme plastifiées, de caoutchoucs vigoureux, longent paresseusement les vasistas ; des yuccas de trois mètres de haut commencent à se courber sous les plafonds ; misères, papyrus et dracaena mêlent leurs vrilles et leurs flèches, posées ici et là sur un rebord de mur, un tabouret, une table bancale... On dirait le décor à la Gondry d'une révolution géologique localisée qui aurait chassé l'humain au profit du végétal.

Samedi dernier, arrivée trop tôt, j'ai parcouru les étages endormis. Au premier, dans ce drôle de jardin intérieur qui m'avait tant surprise à ma première visite, se trouve la réponse à une question sous-jacente : qui entretient les plantes ? J'ai vu ce matin-là, sortant d'une des salles dévolues aux associations, un type maigre aux dents abîmées qui procédait en sifflotant à l'arrosage des innombrables pots et bacs, à l'aide d'un petit récipient qu'il remplissait au robinet, peu pratique, des toilettes. Le tout, très méthodiquement, dans une navette affairée et pleine de sollicitude pour ses parentes aux bras verts, lesquelles prolifèrent tout autant à l'intérieur de la salle que dans le couloir. Une odeur de café frais régnait sur cette paisible scène domestique.

Plus tard, j'ai pu observer que dans ces toilettes, sur le boîtier de l'interrupteur de lumière, trône un minuscule dinosaure en plastique rouge. Debout sur ses deux pattes minuscules, fièrement adossé au mur, il semble assurer ici une veille immémoriale pour nous rappeler qu'auparavant, ces lieux étaient peuplés d'écoliers.