Il existerait donc plusieurs univers clos et concomitants qui léviteraient, chacun à son niveau et chacun selon ses lois internes, un peu comme des avions empruntent leurs couloirs de vol respectifs en se croisant, sauf accident, à des altitudes tellement différentes qu'un avion n'en distingue pas un autre. En somme, des sortes de bulles.
Nous aurions ainsi la bulle médiatique, la bulle financière et ses copines : la bulle économique et la bulle immobilière... Les adolescents vivraient chacun-e dans leur propre bulle, de même qu'un certain nombre de dirigeants d'entreprises, d'administrations, dont les collaborateurs disent volontiers : "oh, Untel, il vit dans sa bulle, il ne se rend ab-so-lu-ment pas compte des réalités du terrain...". De temps en temps, une de ces bulles en tangenterait une autre et, tel un vaisseau malveillant, s'y accolerait bord sur bord pour s'en nourrir, pomper sa substance, la piller au besoin. Cela créerait parfois de petites bulles nouvelles, comme la fameuse bulle informatique des années 90 à l'existence éphémère, bientôt avalée d'ailleurs sans autre forme de procès par le loup de service, la bulle internet, mais ceci est une autre histoire.
Ou bien, comme c'est le cas en ce moment au-dessus du territoire français, deux bulles fatalement attirées l'une par l'autre s'ajointeraient par leur embouchure. De ce coït incongru en naîtrait une plus grosse, distendue, à l'enveloppe jaune pisse : la bulle politico-médiatique...
Tout ça, notez bien, complètement en dehors de l'existence bien réelle de nos corps physiques, solides et parfois souffrants, à nous autres les habitants du territoire. Non pas sans lien avec nous, mais avec un lien univoque et de drastique subordination. Nous n'aurions en effet d'autres raisons d'exister que de produire les éléments nécessaires à la subsistance, au développement même, de toutes ces bulles : agents économiques nolens volens, nous consommons lorsqu'on nous dit de le faire, ne nous inquiétant que fort tardivement de ce geste compulsif qu'on nous a, en quelque sorte, implanté dans le cortex. Nous échangeons gaiement notre force de travail, comme le disait Pierre Rabhi ce matin, contre la gamelle ; nous achetons des objets que nous rejetons bientôt pour satisfaire une autre fausse-envie. Nous nous ligotons la vie durant pour acquérir des biens immobiliers que nous revendrons, participant ainsi à la spéculation immobilière d'autant plus qu'on revendra tôt pour de plus grands, plus standing, plus beaux (on a même inventé un mot pour nous définir dans ce cas : primo-accédants - on dirait le nom d'une affection cutanée).
Ou bien nous ne les revendrons pas, et si nos descendants les dédaignent ils tomberont en déshérence. Les immeubles cheap laisseront choir leurs panneaux de béton rongé ; les bagnoles périmées encombreront les casses, les pyramides de bouffe non mangée envahiront les stocks, les pyramides de merde fabriquée et/ou chiée satureront les stations d'épuration, tandis que l'humanité crèvera, selon la latitude à laquelle elle végète, de trop-plein ou d'inanition.
Au-dessus de tout ça vogueraient donc, indolentes, ectoplasmiques, heureuses (voire), les bulles ? Quel est donc le mystère de cette fable aux termes de laquelle nous nous agiterions au niveau du sol sans rime ni raison comme des fourmis soûles tandis que les affaires du monde, encloses dans les fameuses bulles, prospéreraient dans une pure atmosphère étanche à la nôtre (irrespirable, notez-le, à force de particules dites fines mais encore bien trop grossières pour nos tissus pulmonaires) ?
Comment les crânes d'oeufs qui ont inventé le concept de "bulle" (sans doute élaboré à l'image de leur propre désert mental) ont-ils pu imaginer qu'on la goberait, la bulle ?
Qu'on pourrait impunément, au-dessus de nos têtes, nous en toucher une, comme disait si élégamment Chirac qui croyait que les deux sexes en avaient, sans faire bouger l'autre ? Que dans ces bulles stupides on pourrait continuer à spéculer jusqu'aux tréfonds de la cupidité ; à faire des profits obscènes sur le dos de populations spoliées ; à fabriquer les machines les plus mortifères pour s'engraisser ; à raconter enfin n'importe quoi pourvu que ce soit en couvrant la voix des autres et s'étriper pour le pouvoir à des fins sempiternellement vendues comme altruistes alors qu'elles ne sont que personnelles, sans qu'en bas nous parvienne d'autre écho que des commandes impératives ?
Lorsqu'une bulle explose dans la vie réelle, qu'on l'ait envoyée dans l'air, rose et bleue, soufflée d'une pipette à savon, ou qu'elle coule en chapelets joyeux au mitan d'un torrent, elle ne révèle que sa vacuité et ne fait aucun bruit : à peine quelques gouttelettes irisées et puis plop ! La bulle a l'existence et la disparition fantomatiques ; elle naît et meurt en un temps record et sa fin n'a aucune incidence sur ce qui l'entoure.
Quel vent printanier un peu costaud pourrait enfin faire exploser ces bulles dégueulasses qui obstruent notre ciel ? A condition bien sûr qu'il n'en retombe pas de malsains éclats sur nos pauvres tronches ? Au fond, peut-être la métaphore est-elle sensée et à l'intérieur des bulles, si ça se trouve : rien. Nada.
pas si étanches que ça les univers...
Quand les bulles explosent, plop, beaucoup de dégâts ( cf la bulle financière et ses cohortes de braves gens ruinés),même la bulle médiatique, prout, quand elle éclate détruit l'image des politiques et la confiance des braves gens...
ça ne fait peut-être pas de bruit une bulle quand ça éclate , mais ça ne sent pas bon ...
si bien que "bulle" est encore une image bien trop poétique d'une réalité qui s'apparente plus à une vesse .( celle qu'on veut nous faire prendre pour une lanterne).
comme le disait déjà le grand Dante Alighieri dans sa divine comédie ( "scusez du peu!)
« Ed elli avea del cul fatto trombetta »
( trad:Et il avait du cul fait trompette)
Bien vu !
Post, script, homme à l'attention de Paul(A):
Le billet sur les bulles, à la relecture, me semble mal foutu et propre à être mal compris
Mais sans doute notâtes-vous l'utilisation du conditionnel à des fins rhétoriques (faire semblant de poser la question). Qui, en effet, peut croire à l'existence indépendante des bulles ("Dieu est un pur esprit, infiniment parfait...)? Ou, pour reprendre une meilleure appellation soufflée dans votre commentaire : à l'étanchéité des vesses ? C'est bien une fadaise qu'il s'agissait de dénoncer. Non, on ne peut pas croire à la séparation des mondes, et nous savons bien que les bulles en question n'existent que dans l'esprit de ceux qui ont intérêt à nous persuader de leur existence. C'était là tout le propos - sans doute peu clair - de ce billet : dire et redire que les bulles, comme la fatalité, n'existent pas mais sont des concepts dé-responsabilisants. Qu'il y a des causes et des effets, des prédateurs et des proies, des doctrines économiques et des conséquences sur l'humanité, et que les "bulles", comme "les marchés", sont bien pratiques pour prétendre à ne rien faire.
La main invisible du marché. Le marché. Un autre genre de dieu finalement. Quant aux bulles...celles-ci m'enchantent :
J'ai plongé dans la vie
Comme dans l'eau de la mer
Et depuis me voilà
Le bouillon sur le dos
Et buvant, c'est amer
Buvant ici et là
Trois grandes tasses d'eau
Pour un petit bol d'air
Il y a des sirènes
Quelquefois elles m'entraînent
Vers des fonds irisés
Dans leurs bras je bascule
Mais pareils à des bulles
S'envolent nos baisers
que j'eusse noté..certes!
ce n'est pas votre billet qui est mal foutu, c'est juste qu'aux aurores, ma lecture reste lecture de surface et mon commentaire à chaud ;-)
et j'ai bloqué sur "Nada", or ce n'est pas rien une bulle...
un lecteur, c'est cabot, hein?
Pas tant cabot-e que fidèle ! Merci en tout cas pour ces commentaires attentifs.
Et à propos de bulle, elle est bien sale, celle qui coiffe nos villes... Même la verte Loire n'y échappe point et, ironie, les trams d'habitude bondés affichent "gratuit" et... déserts...
Bagnole, quand tu nous tiens !
Mr K :
Des bulles que je ne connaissais pas, non plus que le titre de la chanson... Faut dire que depuis que je fréquente les "Interférences", j'ai considérablement enrichi mon corpus nougaresque !
Merci pour ces bulles bien plus sympathiques que celles dont je parlais !