L'accent tonique sudiste, c'est pour la rime. Vous allez voir.

Connaissez-vous Rendez-vous avec X ? Cette intrigante émission de France-Inter tient en haleine, chaque samedi vers 13 heures 20 et sans faiblir depuis 1997 : les flâneurs de la couette, les mémères occupées à la cuisine, les ceusses qui se livrent à des occupations silencieuses, domestiques ou intellectuelles et les bricoleurs qui posent le poste sur l'étagère dans le garage, à l'abri des copeaux. Elle est cause de décalages dans l'heure du déjeuner ou d'expédition sans formalités de celui-ci, de renonciation à l'essorage du linge pour ne pas couvrir les dialogues, ou de lâchage des copines qui partent bêtement faire du sport le samedi à midi. Elle fait avaler la corvée de repassage sans douleur...

"Dix-sept ans ! etc." (*) Les accros de "Rendez-vous avec X" se perdent en conjectures : l'émission, qui "aborde plus particulièrement les affaires liées à l'espionnage sous la forme d'une interview entre le journaliste Patrick Pesnot et un invité mystérieux racontant les événements historiques du point de vue des services secrets" (**), ne va pas tarder à fêter sa 900ème et l'on n'est pas plus avancé.

Mais qui donc est Mr X ?

Bien que Patrick PESNOT, producteur et animateur de l'émission, conduise peinardement sa petite mystification sans jamais déroger à sa ligne discrète, plusieurs tentatives d'explication courent sur la toile. La taulière s'enorgueillit d'avoir élaboré dès le début la seule hypothèse tenable : Patrick PESNOT est Mr X. C'est la seule raison possible à la fidélité de ce mystérieux invité (dix-sept ans !!), dont la voix, toujours identique, a mûri et même, au fil des années, pris cette tonalité particulière aux organes vieillissants, exactement en même temps que celle de Patrick PESNOT... Pendant toute la durée de l'émission-interview, Mr X et l'animateur ne parlent jamais en même temps : ils se passent la parole avec une courtoisie parfois mâtinée d'ironie mais selon un tempo un peu "métronomique", ponctué d'infimes micro-silences qui n'ont pas de raison d'être.

Il s'agit, de toute évidence, d'un fin travail radiophonique : juxtaposition de répliques pré-enregistrées et bidouillage destiné à rendre très basse la supposée voix de Mr X. On gagerait même que celle du journaliste est, pour parfaire le contraste, légèrement remontée vers les aigus. L'ami PESNOT réalise là une prestation de comédien plus qu'honorable en interprétant les deux personnages et en intercalant ses répliques dans les espaces ainsi ménagés. Les magiciens du son de notre bonne vieille radio de service public font le reste.

Oui, cette bonne vieille radio de service public... On râle, on critique, on regrette certaines "évolutions", mais tout de même, faut pas trop cracher dans la soupe. Nous autres solitaires, que deviendrions-nous sans elle ?

Et puis le matin, parfois, elle vous fait rire aux éclats. Aujourd'hui, tiens : Jean-Michel Baylet, président du Parti Radical de Gauche, était le Grand Invité de Patricia Martin (distribution gratuite de majuscules le samedi sous l'Appentis). Voilà un mec qui se positionne à la gauche de la gauche, si j'ai bien compris, et qui va voter un plan d'austérité que les socialistes à la gauche de Manuel Valls (vous suivez ?), eux, ne voteront pas. Ou peut-être que si.

En écoutant Baylet et son vigoureux accent toulousain, lequel fait beaucoup pour asseoir sa conviction, on acquiescerait presque sans réserve à l'idée qu'en effet, les Français doivent absolument comprendre (com'prren'dr) qu'ils doivent se rédimer - un mauvais moment (momang') à passer. C'est poétique, ces accents nougariens. Baylet martelle qu'il faut voter le plan Valls et que seuls "quelques parlementaires de la majorité" le refuseront, et que ça ne fait qu'ajouter "au trouble des Français qui est déjà suffisamment important" (on confirme !!). Il ne faut pas, dit Baylet, "déviller de notre ligne de con'duite". Il nous gratifie, pour finir, d'une envolée magnifique mais toutefois entachée, nous semble-t-il, d'une certaine confusion dans les idées. Baylet rappelle en effet d'une part que, pendant le quinquennat Sarkozy, "La Dette" - on y reviendra une autre fois, à celle-là - est passée de 75 % à 90 % du PIB et d'autre part, tente d'inculquer aux Français (qui l'écoutent) l'idée qu'il faudra bien en passer par là pour la rembourser (gel du RSA, etc.).

Quant à expliquer aux millions de gens qui se la serrent déjà grave (environ 9 millions de pauvres, quelle que soit la définition correspondante et sans doute plus de 20 millions de citoyens pour qui, sans être dramatique, c'est pas facile, facile), pourquoi c'est à eux de payer alors qu'ils ne sont pas responsables de la dette en question, ou dans une partie si infime qu'on ne saurait la leur comptabiliser mesquinement, alors qu'il faudrait chiffrer la manne de cadeaux offerts par l'équipe Sarkozy, et en identifier les bénéficiaires... Eh bien Baylet passe là-dessus pudiquement et se range d'autant plus aisément sous la bannière vallsienne que, comme pour beaucoup de ses collègues élus de la Nation-Ta-dadin, ta-dadin, ça ne changera pas un iota à son propre train de vie.

Que Môssieu Baylet, "patron de presse et homme politique français. Président-directeur général du groupe La Dépêche, il est sénateur RDSE de Tarn-et-Garonne, président du conseil général de Tarn-et-Garonne, président de la communauté de communes des Deux Rives et président du Parti radical de gauche (PRG)" (***), que Môssieu Baylet, gros cumulard, vienne nous faire la leçon avec son très vendeur accent du Sud-Ouest, terre virile et travailleuse, voilà qui augure d'un week-end pliés en deux.

Quelques chiffres, pour mettre en perspective l'envolée fiscalo-citoyenne de M. Baylet sur le thème de l'effort national :

Les dividendes versés par les sociétés non financières à leurs actionnaires (c'est la taulière qui souligne, ça veut dire qu'on parle non pas de la grande finance internationale mais d'entreprises de production de biens et de services, des trucs dans lesquels vous et moi, ou notre belle-soeur, bossent ou ont bossé), ces dividendes représentent une part croissante de leurs profits :

- 18 % de l'excédent brut d'exploitation (= bénéfice avant impôt, pour faire court) en 1996
- 26,7 % en 2011
- 29,2 % en 2012

"Or, sur la période 1999/2011, la contribution des actions au financement des investissements est quasi nulle. Et elle baisse même en ce qui concerne le financement de l'encours de capital. Admettons même que cette contribution soit restée constante : la part des dividendes dans le profit aurait dû le rester aussi.
Le surplus est donc une ponction pure et simple, évaluée à 33 milliards d'euros en 2012, soit 25 % de l'épargne brute des entreprises ou 3,2 % de leur valeur ajoutée. En fait, les actionnaires sont rémunérés à proportion de l'inflation boursière et exercent un droit de tirage sur la valeur créée qui ne dépend pas de leur contribution au financement du capital, mais de l'évaluation 'fictive' qu'en fait la Bourse."(****)

Pour vous la faire simplicissime et dans la mesure où la taulière garde quelques traces de cours d'économie (mais datant d'une période protohistorique où l'on vous enseignait le cercle vertueux - ha ha, arrêtez, j'ai mal aux côtes) et de gestion, il semble qu'une entreprise, une fois dégagé son bénéfice, a le choix de l'affecter dans diverses directions : elle peut en réinvestir une partie (pour renouveler ou moderniser son outil de production, embaucher et/ou former ses salariés, faire de la recherche & développement, etc. Elle peut aussi - elle doit, si elle veut les conserver - rémunérer ses actionnaires, lesquels ont risqué leur fric pour aider ladite entreprise à monter son capital.

Toute la délicatesse est dans le terme "rémunérer". A quelle hauteur ? Selon quelles dispositions légales, selon quels critères moraux ? Si elle a affaire à des actionnaires cupides et très "court terme", l'entreprise en question devra les rémunérer très fort. Et si, de surcroît, ceux-ci n'ont aucun principe, ils ne remettront pas un kopeck dans la babasse.

Dites-moi, au fait, j'ai un léger trou de mémoire : de quoi donc est faite la valeur ajoutée des produits vendus par l'entreprise, laquelle fonde le bénéfice ? Ne serait-ce pas de cette bonne vieille force de travail que les cocus de l'histoire louent moyennant salaire à l'entreprise en question ? Et alors, ce sont bien ces mêmes salariés qui vont payer le plan d'austérité de Mr Valls et Pr Draghi ? Et les actionnaires, alors ?

"Ah, on ne sait pas", comme disait le baron Charlus, etc. je vous l'ai déjà faite, celle-là.

Revenons donc à nos moutonsses de Haute-Garonne : M. Baylet nous parlait d'effort, donc. Et de volontarisme. C'est même par ce dernier mot que s'est conclue l'interview.

Ce mot lourd de sens, il l'a prononcé en soignant particulièrement son accent de camelot qui veut vous emballer avec de grosses ficelles du terroir :

VO-LON-TA-RISSE.

Vous voyez bien que ça rime.

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(*) Arthur Rimbaud, Roman - in Oeuvres de Arthur Rimbaud, Aux quais de Paris, Librairie Mireille Ceni, Paris, 1958, imprimerie Habauzit, Aubenas. Oui, parfois il faut savoir citer brièvement, hi hi. En fait, il s'agit d'un très joli poème sur les amours adolescentes : "Nuits de juin ! Dix-sept ans ! On se laisse griser..."

(**) Notice Wikipédia de l'émission

(***) Notice Wikipédia de M. Baylet

(****) Le résumé de cette analyse financière, les chiffres et les citations proviennent de l'Humanité-Dimanche du 21au 27 novembre 2013 qui résumait elle-même Michel Husson, économiste, membre d'ATTAC et de la Fondation Copernic : "Un essai de mesure de la ponction actionnariale" - Note Hussonnet n° 63, hussonet.free.fr