... En guise de stéphano-chronique light

La voisine d'en face (fenêtre sur cour) étend son linge à l'ancienne, sur une grille métallique posée en débord. Sa lessive s'agite doucement dans le vent du soir : un assez joli vêtement, une chemise de nuit peut-être, couleur ivoire, manches longues, une bande mordorée au niveau de l'ourlet. On dirait un vêtement liturgique de luxe. Les bras vides de cette chose brassent l'air tandis que la robe dessine une danse vaporeuse, un ectoplasme de curé qui pendouille le long du mur en chantant "Jésus reviens", sans guitare.

Un homme dans le tram : maigre, pas d'âge. Silhouette voûtée. Costume correct mais élimé, désassorti : pantalon sombre, veste plus claire. Chemise bleu-flic froissée genre "sortie-du-sèche-linge" à la laverie du coin. Cravate noire ficelée. Vieux baskets aux pieds. Petite sacoche en bandoulière. Cheveux mi-longs, emmêlés, sales. Tentative de dissimuler une calvitie en ramenant des mèches sur le crâne. Le visage : une gueule à la Sim, qu'on aurait de surcroît comprimée fortement de haut en bas entre le pouce et les quatre autres doigts. Les yeux là-dedans, enfoncés, fiévreux. Il porte de vieilles lunettes de moto, à verres jaunes, qui tiennent avec un élastique blanc plat, dit "élastique de culotte". Très usé, l'élastique. Grisâtre, plusieurs noeuds. Derrière ces verres incongrus qui lui ventousent les cernes, un regard habité. Par quoi ? Un fantôme du Momo.

La taulière se rend comme chaque lundi au rendez-vous que donne l'animatrice du groupe "marche" (les potes âgés), c'est au terminus de la ligne T1, d'où partent des cars pour les extérieurs. Le tram lambine de trop pour sortir de la ville et, lorsqu'il aborde la dernière courbe avant son terminus, la taulière et deux de ses potesses, seules dans la rame désertée, voient, à vingt mètres, démarrer "leur" bus 37...

- ... Fouillââhhh de fouillââhh (1)!!

Un coup de fil précipité à l'animatrice, qui est dedans avec le reste de la bande, pour lui demander de faire stopper le véhicule, n'aboutit à rien et les trois promeneuses, condamnées à rengainer leurs intentions marchatives, ont le plaisir amer de croiser le 37, conduit par un impavide qui a terminé son virage de départ et qui roule presque sur leurs pointes de chaussures. Comme il n'y a rien d'autre à faire dans cet endroit désolé, que d'aller éventuellement consulter à l'Hôpital Nord voisin, elles reprennent le tram dans l'autre sens, emportant la vision, derrière les vitres du bus, de douze ou quinze de leurs comparses, hilares ou figés, qui les désignent du doigt. Ca leur fera de quoi causer pendant la balade. Heureusement il se met à pleuvoir.

Les élections européennes : baste. Que les "grands" partis politiques (grands par le nombre d'adhérents, parce que pour le reste, la grandeur tu me la copieras) soient élus par 90 % de la population ou par 62 %, ou même 25, tiens, qu'est-ce que ça change ? Vous avez vu un parti "au pouvoir" réaliser son programme électoral pendant les trente dernières années, vous ? Ils ne peuvent pas, voilà tout. Essayez de changer un iota à l'ordre établi (ou au désordre qui fait à peu près consensus) : tu touches ici, ça braille comme des orfraies, ma cassette, ma cassette. Tu touches là, ça se colle des bonnets rouges sur le pif, écoquoi ? Tu essayes ailleurs, paf : la grève, j'ai mal à mon statut. Finances ? Ils se barrent. Impôts ? Barrages. Education ? Barre à mine. Discussion politique ? Bar-tabac.

Pour celleux qui n'ont pas compris que les politiques sont à la botte des "marchés", ben faut vous mettre à jour. La taulière n'a plus envie de faire semblant d'y croire en glissant un papelard dans une boîte en plexi, avec mémère en face qui colle sa réglette sur la ligne à signature. Simulacres.

De toute façon, les vaillants députés européens, trois hypothèses : soit ils sont recyclés après la branlée des municipales, donc autant ne pas voter pour des planqués. Soit ils sont nouveaux dans le Gross Zirkus, et ils vont se faire bouffer (= pas moyen de passer une loi entre l'affiche et le mur). Soit ils sont FN.

Trois bonnes raisons pour aller se pieuter. Bonne nuit.

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(1) Parler gaga (de Saint-Etienne). Avec "beausseigne", cette expression tient le haut du pavé depuis toujours à Sainté. "Fouilla !" peut vouloir dire, selon le contexte : "ah là là !!" ou "Merde alors", ou encore "incroyable !!!".