Roland jouant du cor en vain pour appeler au secours son oncle qui ne l’entend pas, cet abruti – le traître Ganelon ricane dans l’ombre d’un rocher, sûr de sa victoire. Roland toujours armuré de pied en cap agonise au pied d'un arbre maigre, la dextre sur le coeur. Le sang rougit la ferraille. L'autre main posée au sol s'ouvre lentement, laissant échapper sa fidèle Durandal, brisée. Tiens... ? Il était donc gaucher ?

Vercingétorix arrivant à pleine course, sapé sur son trente-et-un, les braies bien lacées, la tunique bleu ciel ouverte. Géant blond à l'opulente chevelure, au brushing impeccable, néanmoins la mèche sur l’œil (à cause du vent de la course), il pénètre d'un pas assuré dans la grande salle du palais et balance ses armes, d'un air de défi et dans un vacarme de batterie de cuisine, quasiment sur les sandales de César vachement renfrogné.

Blandine offerte aux lions dans une arène sableuse entourée de collines rocheuses plantées de cèdres, et les bêtes se couchant, vaincues par sa grande gentillesse. Ils lui lèchent les pieds qu’elle a petits, blancs et fins, de vrais petits ventres de vairons.

Louis XI, pour son air d'en avoir deux, son austère petit chapeau orné de médailles, pour sa ruse et sa cruauté (ah, les cages de fer suspendues avec les ennemis tout pliés dedans...). Pour sa simplicité d'homme ordinaire coiffé de feutre au lieu d'une couronne clinquante, ce qui laissait deviner un stratège avisé et un grand roi.

Napoléon !! J'ai tout aimé de Napoléon : le gars qui monte à l'assaut du pont d'Arcole enrubanné de machins drapés ; l'autocrate gonflé qui pose lui-même sa couronne sur sa tête en n'hésitant pas à mortifier un pape réduit à la figuration ; le chef corse aux fines bottes de peau sur son cheval cambré par 2500 mètres d'altitude au Grand Saint-Bernard... L'empereur hautain croulant sous le velours et l'hermine, coiffé de ses deux anachroniques lauriers. L'homme bedonnant, la main dans le gilet, qui résiste encore à l'Anglais, Napoléon est mort à Sainte-Hélène. "Lampe au néon, émaux, acétylène"... Cette charade irrévérencieuse qu'on me raconta l'année de mes dix-sept ans, détrôna bel et bien le bonhomme vénéré.

Le cow-boy universel : il a l'assiette de John Wayne, le grand dos mince de Clint, la dégaine décontract' de Lucky Luke (Luquiluc). Il chevauche vers le soleil couchant, sa ceinture de cartouches lui bat les hanches. Il rencontrera une belle Indienne qu'il aimera et enlèvera aux braves de la tribu, après de grands et fraternels combats dans lesquels chacun reconnaîtra la valeur de l'adversaire. Ils fument ensemble le calumet de sureau, que nous tentions sans succès d'allumer pour nous mettre dans l'ambiance.

Richelieu ! Son prestige découle directement de l'immense manteau pourpre qu'on voit dans la fameuse toile de Champaigne, mais il est aussi question de bottes et d'éperons, pièces de vêtement qui ne figurent assurément pas dans le tableau. Sans doute un hiatus avec les Trois Mousquetaires.

Ah.. Eh oui, d'Artagnan bien sûr ! Les éperons sonnants, la moustache horizontale barrant un visage pâle encadré de plats cheveux noirs, un regard de braise, un poignet qui ne frémit pas, posé sur la garde de sa redoutable épée et recouvert d'une manchette délicate de dentelle. Très déçue récemment, en relisant Dumas, de constater que le fameux Gascon a fait son entrée dans Paris sur un hideux cheval jaune.

Les fellaghas. Nous organisions des variantes de gendarmes et voleurs dans lesquelles les Fellaghas arrivaient en tractions avant. Les portières s'ouvraient, des rafales de mitraillette en partaient, dans une imagerie qui empruntait davantage aux règlements de comptes entre familles mafieuses pendant la prohibition, qu'à la réalité des actions du FLN. Comme nous n'avions pas connaissance, à cet âge-là, de l'histoire américaine, il faut croire à la déjà redoutable influence des médias. Les Fellaghas étaient victorieux, car pour nous, au-delà de la politique et de l'Algérie française contre laquelle ils se battaient pour libérer leur pays, ils avaient en face d'eux l'armée et la gendarmerie. Ils étaient donc les héros pouchassés, eussent-ils appartenu au grand banditisme que cela n'eût pas refroidi notre enthousiasme. A la fin de la guerre ils rentraient en Algérie pour épouser l'une d'entre nous qui devait se dévouer pour accrocher sous ses yeux un torchon et faire la princesse voilée.

Arsène Lupin, planqué sous le niveau de l'eau dans une mare ou un bassin quelconque et respirant de manière très futée à l'aide d'un chalumeau de paille qui seul dépassait de l'eau, anonyme parmi les roseaux et les herbes aquatiques. Nous étions très agacées de n'y réussir point : toutes les pailles que nous trouvions dans les champs, après les moissons, comportaient des noeuds qui interdisaient d'y faire circuler l'air. Où donc ce farceur avait-il dégotté une aussi longue paille si totalement et si parfaitement creuse ? La triche !

Mais le plus bath de tous : Jésus himself !! Son incroyable histoire (en effet !) égrenée, dimanche après dimanche, au fil des pages du missel. Voilà un type qui commence par naître sur la paille, d'une femme enceinte du Saint-Esprit. Tout petit déjà, il tient tête aux docteurs de l'Eglise (pour nous, tenir tête au docteur c'était l'assurance de recevoir une taloche en plus de la piquouse qui martyrisait les fesses). Ce Jésus, il défie les Romains, se balade partout en semant les miracles les plus farfelus : de l'eau changée en vin, profusion de petits pains !! Bel homme simple au teint de cire, les cheveux sages, l'oeil clair, il marche sur l'eau, guérit tous les affligés, ressuscite un macchabée, devine sa propre mort, subit le baiser du traître et, après un moment de faiblesse nocturne bien compréhensible dans le Jardin des Oliviers (Elie, Elie, lama sabacthani), chemine sans hésitation, couronné d'épines sanglantes, pour finir en beauté sur la croix après une longue agonie en distribuant de bonnes paroles à ses voisins de supplice. Comme on haïssait le Romain qui lui balançait, en guise de rafraîchissement, une éponge imbibée de vinaigre, le salaud !

Mais coup de théâtre ! Voilà-t-il pas que trois jours après, il sort de son tombeau, impeccable dans sa robe blanche brodée, et en pleine forme, le gaillard ! Et qu'il continue sa marche triomphale. La fin de l'histoire est à la hauteur du scénario global : Jésus monte dans les airs devant ses apôtres ébahis, et n'hésite pas, dans les semaines qui suivent, à redescendre faire un petit coucou sous la forme de flammèches voletant sur la tête de ses anciens potes.

Trop fort.