Chères lectrices, chers lecteurs,

Une semaine de coupure avec tout ce qui ressemble à des "actualités", en particulier celles disséminées dans nos esprits vulnérables par l'Interné, permet, lors de la reprise de contact avec lesdites actualités, de s'ébaubir des titres offerts à nos regards lavés et de se gondoler d'encore meilleur coeur. J'm'explique :

"Bébé : pas de lait de vache avant l'âge d'un an"

Le Point.fr - Publié le 18/08/2014 à 16:11

"Une nouvelle étude indique que ce breuvage, mal adapté aux besoins des nourissons, pourrait en outre nuire à la sociabilisation ultérieure des très jeunes enfants."

Sous ce titre épastrouillant, une photo de nourrisson tétant un biberon en plastoc rempli de lait industriel (poudres dans la composition desquelles, notez bien, entrent un certain nombre de molécules dont on ne sait quasiment rien à l'heure actuelle).

Ecoutez : la personne qui vous parle a été, comme l'ensemble de ses contemporains, élevée au lait de vache. Le biberon se préparait avec ledit lait (non pasteurisé, non écrémé) qu'on faisait bouillir 20 minutes dans de grandes casseroles, sur le fond desquelles on avait déposé un petit ustensile aujourd'hui disparu et appelé "anti-monte-lait", un machin qui se met à faire du tintamarre au fond de la gamelle à peine le lait frémit, épargnant ainsi les gazinières de débordements toujours chiatiques et fastidieux à nettoyer.

Le lait bouilli était ensuite refroidi puis écrémé par le dessus : on enlevait la grosse, épaisse et jaune peau, qu'on réservait dans un bol (*). Du lait ainsi approximativement délesté à la fois de bactéries (on en laissait un peu pour que les bébés fabriquent leurs propres anticorps) et de gras (faut-il rappeler qu'on ne voyait pas beaucoup d'obèses dans les années cinquante/soixante ? Scrutez les anciennes photos d'écoles maternelles de l'époque et comparez avec aujourd'hui), on prélevait la moitié du contenu du biberon, qu'on coupait avec la moitié d'eau bouillie ou minérale. On y ajoutait un sucre. Et voili, voilà. (Calculez le prix de revient du bib et comparez-le à la note mensuelle des jeunes parents qui rapportent à la maison leurs énormes boîtes de lait "maternisé" !!!).

Voilà. Le lait bouilli était ensuite refroidi puis réfrigéré, et pour les tétées suivantes on refaisait bouillir si nécessaire (à partir de 24 heures).

Cela, ce que je vous décris, c'est ce qui se faisait dans une époque intermédiaire entre avant-guerre, où l'allaitement maternel était sans doute prédominant, mais où tout de même nombre de femmes n'avaient pas forcément le goût à se faire tirer sur les nichons six à huit fois par jour sans pour autant détester leurs bambins, et l'époque post-guerre, où la pénurie alimentaire a peut-être joué un rôle dans la popularité du bib 50/50 (50 lait, 50 eau). Peut-être que les surplus Mendès-France ont aussi favorisé ce mode d'alimentation infantile. Peut-être aussi que ce que je décris là se pratiquait davantage en milieu rural ? Bof, j'en sais rien mais voilà.

C'est là que Messieurs Guiglé et Nestoz se sont réveillés.

Malgré tout, rien que pour la génération de la taulière, sans parler de nos enfants aînés que nous avons élevés, nous aussi, dans les années soixante-dix, avec ces mêmes pratiques parfois héritées de nos mères et jusqu'à ce qu'une clinique, une maternité, un service hospitalier, bombardés d'échantillons gratuits de poudres Nesgoz ou Guitlé, les glissent dans nos valisettes de jeunes mamans, jusqu'à ce que les personnels de ces établissements, le crâne bourré par de pseudo-blouses blanches à la solde de Guiloz ou Nestgé, ne commencent à transmettre oralement la Grande Légende des Laits Industriels bons pour nos enfants, eh bien il y avait une majorité de mouflets alimentés comme j'ai décrit ci-dessus.

Que je sache, nous ne souffrons pas particulièrement d'une sociabilisation diminuée par le lait de la vache ? Non mais pour quel genre de perdreaux de l'année nous prend-on à la fin ?

Demandons, que dis-je : exigeons, l'élaboration d'un test de sociabilité, ou d'habileté sociale, ou de ce que vous voudrez, que nous demanderons tous à passer, nous, les nourris au 50/50 et les autres, le groupe-témoin des enfants Nestloz et Guigé. Faisons créer un Observatoire de la Sociabilité des Humains Elevés au Lait de Vache, chargé d'analyser ces tests hautement scientifiques et gondolons-nous en choeur à la publication des résultats. Ca vaut mieux que d'aller faire sauter avec une boulette de C4 les sièges sociaux scandaleusement élégants des boîtes qui distillent ce genre de conneries, et aussi les sièges sociaux non moins luxueux des fabricants, tiens.

C'est le moins que nous puissions faire pour contrer cette offensive "de rentrée" car, oui, ne vous y trompez pas, citoyennes, citoyens : il s'agit bien de la grande reprise de la conso annuelle, légèrement en berne en raison des congés payés.

On a eu la Légende des Quatre verres de Vin contre Alzheimer, hu hu hu... Celle de L'eau en bouteille plastique meilleure que la Municipale sortant de votre robinet (et cinq cents à deux mille fois plus chère), pfff pfff hin hin hin. La Légende des Biscottes (farine + gras + sucre) qui empêchent de prendre du poids alors que le pain (farine + eau + sel), homphph, je sens le fou-rire qui me gagne !!! La Légende de l'Huile aux ha ha ha arrêtez je me tords, Oméga 3. La Légende, pitié, arrêtez je me fais pipi dessus, de l'Intérêt Majeur du chocolat dans le traitement de la Dépression, et n'oubliez pas la Force Musculaire Incroyable des Epinards en boîte, la Pureté Bactériologique des Gels-douche, hou hou hou pouf poufff l'huile d'argan pour la peau, les rayures rouges du dentrifrice qui soignaient les gencives, etc. etc.

Bientôt, on va lire des dépêches sur le Grand Bénéfice thérapeutique du Sucre Raffiné dans la Prévention des Caries, et sur la Disparition de l'Infarctus endémique chez les Gros Consommateurs de Hamburgers, et tiens, allez : la Lutte contre le Virus de la Grippe à l'aide du Cassoulet d'Origine Contrôlée, prout, prout, ho ho ho, ha ha ha arrêtez vous dis-je !!

Bah, faut bien rigoler un peu.

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(*) Avec la grosse, épaisse et jaune peau du lait réservée au frigo, après deux ou trois jours de prélèvements, on obtient un bol plein de cet aliment aussi riche que totalement déconseillé par la Faculté.
Déposer cette peau de lait dans un saladier et écrasez-la à la fourchette avec le même volume de sucre en poudre (écrasez bien).
Ajoutez le même volume d'oeufs battus et de farine à laquelle vous aurez incorporé une pincée de sel et une cuiller à café de bicarbonate de soude (= environ 1 sachet de levure chimique)).
Mélangez bien, versez dans un moule beurré, enfournez à 180 et retirez du four lorsque c'est doré dessus et qu'une pointe de couteau plongée au coeur du gâteau ressort humide.
Laissez refroidir et servez avec le thé. Ca s'appelle une tuerie intégrale.

Vous avez remarqué ? C'est un genre de quatre-quarts mais le goût est incomparablement plus délicat.