Voici la minute internet de la journée ! Vous pensez si la taulière se jette dessus... Pendant les travaux, les affaires continuent donc un peu.

La taulière rédige depuis plusieurs années un "journal des rêves", avec pour principe de sauter sur le clavier les yeux à peine ouverts, à ce moment où l'on choit de son rêve pour entrer dans la réalité. Elle insère dans ce court sas temporel la rédaction du rêve à peine fini, au plus près de la fantasmagorie nocturne qui l'a transportée ici ou là. A condition qu'à l'éveil l'on se souvienne de quelque chose. Bien sûr, ce n'est pas tous les matins que l'on gagne.

Or, en s'apprêtant à coucher sur le papier (ou plutôt, comme on devrait dire aujourd'hui, à hisser sur l'écran) le rêve de cette nuit, elle est amenée à réfléchir sur son cadre et intègre dans le Journal des rêves ce "Passage" :

Passage

Je voudrais bien savoir pourquoi, parmi les rêves récurrents que chacun-e de nous fait au long de ses nuits, il y en a un qui revient dans les miennes assez régulièrement, quoi que non fréquemment, et qui se déroule toujours dans une station de métro/tram/train ( ?) située à Villeurbanne. Mais un Villeurbanne fictif, une sorte d’Est symbolique de la ville, très limitrophe, presque à la campagne (plutôt Mions que Villeurbanne, donc). Et ceci, bien que dans la réalité je n'aie habité que très brièvement à Villeurbanne, dans une période il est vrai pas très joyeuse de ma jeunesse.

La « station » de mon rêve est un vaste centre d’échanges souterrain, une sorte de terminus-ventre de la terre, mais elle est protéiforme et change constamment de chemins, de tunnels, de quais. De telle sorte que j’y suis toujours paumée, et que j’y rate plus de trains que je n’en prends. Sans compter que j’erre aussi au-dehors, et que là ça ne se passe pas mieux, la ville étant – comme dans la réalité – quadrillée un peu à l’américaine avec des carrés, des angles droits et de larges avenues parallèles qui se ressemblent, sans repère géographique ou architectural, sauf si vous êtes sur le cours Emile Zola (on voit Fourvière à l’Ouest, ce qui décide du reste), sans autre moyen de se repérer que le soleil. Encore celui-ci ne donne-t-il que les points cardinaux mais ne dit pas si l'on retourne vers Lyon où si l'on s'en éloigne en direction de la « grande » banlieue, puisque Villeurbanne, ensemble aux côtés incertains quoique dûment bornés d’un point de vue cadastral – ce n’est pas là le moindre de ses charmes paradoxaux – regarde depuis son centre absolument tous les points de la rose des vents : nord nord-est, nord, nord-ouest, ouest, etc.

Villeurbanne dans la réalité est bien une telle ville, avec des endroits surprenants, en particulier la vieille ligne de l’Est aujourd’hui détruite, qui ménageait plusieurs passages à niveaux désuets mais encore en fonctionnement jusqu’à la fin des années 90 et de belles portions de ligne enherbées, envahies de végétation, bordant des jardinets de villas dites "d'ingénieurs". Villeurbanne est un assemblage serré de zones très cheap, les mêmes entrées de ville miteuses que partout ailleurs, de grands ensembles vétustes, au béton hors d’âge ou au contraire hissés à la dignité de patrimoine, comme les Gratte-ciel de Môrice Leroux au centre de la ville sur l'avenue Henri Barbusse qui doit bien faire cinquante mètres de long, et de zones pavillonnaires portant encore des noms de rue se référant au tissu industriel qui « cousait » tout cela ensemble : rue de l'Espoir, rue de la Coopérative, impasse du Progrès... sans compter un hippodrome, une université et un canal où doivent bien séjourner quelques ratons-laveurs.

L’habitat : achélèmes, maisons ouvrières et maisons de cadres, va de pair avec la ceinture industrielle qui fut assez lourde : métallurgie, tréfilerie de câbles, forges, automobile et divers autres engins ; un peu de caoutchouc aussi, du plastique… Tout a disparu ou presque, y compris le tristement célèbre bidonville des Buers (ce n'était pas le seul !) dévolu aux familles algériennes jusqu'au milieu des années soixante (1). Reste l’habitat en dur : des maisons, des immeubles, enserrés entre plusieurs rocades, puisque Villeurbanne s’est fait bouffer par une autre ceinture, périphérique celle-là, au point d’en être coupée en deux. Et sous les rocades, bien sûr, le bidonville actuel, souvent évacué et toujours reconstruit, des Roms. La partie Est de Villeurbanne, située vers le Canal de Jonage, est rejetée au flanc de Vaulx-en-Velin, derrière le plus gros périph’ de l’agglomération lyonnaise, alors que le Nord-Ouest de la ville flirte avec le sélect Parc de la Tête d’Or sans toutefois y pénétrer, et se fane aux abords d’un autre nœud routier, celui qui ouvre sur la plaine de l’Ain via Rillieux, Caluire : tempo résidentiel puis agricole, richesse voisine des Dombistes.

Quant aux autres côtés du polygone villeurbannais, ils s’interpénètrent étroitement avec la partie réellement huppée de Lyon, celle du commerce vivace côté Part-Dieu et sixième arrondissement d’un côté, de l’autre le quartier hyper-boboïsé de Montchat, véritable réserve d’indiens à hauts revenus et prétentions vert-socialisantes – mais entre nous, hein – qui ne veulent pas du tout cohabiter (2) avec des « sans-dents » (où l’on voit que la malheureuse expression de François Hollande – de seconde main tout de même, puisque citée par son ex-compagne vindicative Trierweiler – va sans doute lui survivre).

Ainsi Villeurbanne existe-t-elle un peu comme dans mes rêves : on n’est jamais sûr d’y être, lorsqu’on y est on ne sait plus où l’on est. Encore sa géographie, déjà passablement intrigante, n’est-elle rien à côté de son histoire ! Mais c’est une autre histoire.

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(1) Sauf erreur de la taulière, cadre du roman d'Azouz Begag : Le gone du Chaâba

(2) Ce n'est pas par hasard ni gratuitement que la taulière décoche cette flèche : elle se rappelle avoir campé, pendant son mandat d'élue, avec les associations qui se défoncent aux côtés des exclus de la société, devant la mairie du 8e arrondissement de Lyon, pour qu'un foyer d'accueil d'urgence saturé puisse investir une ancienne clinique et y déployer un habitat mixte neuf et intelligent, beau projet porté et bien borné à la fois par les élus et les associations concernées, des poids lourds très sérieux qui savaient de quoi ils causaient. Le projet fut mis en échec pour plusieurs raisons mais en particulier du fait de la pression, auprès du maire du 8e, des habitants de Montchat, quartier à la fois inclus dans le 8e et frontalier de Villeurbanne, donc, au motif de la dévalorisation du quartier par ce voisinage, et que dans l'arrondissement on avait déjà un quota d'habitat social etc. (oui, certes, mais à plusieurs centaines de mètres). Socialistes, donc.