Des réparations en vue dans l’Appentis – du moins, rangement sur les étagères. On devrait pouvoir reprendre un fonctionnement NORMAL ("Moi, taulière… Moi, taulière… C’est pas facile… C’est pas facile…).

Excusez cette crise d’anaphores, c’est l’euphorie.

Quoi d’neuf Docteur ?

Bof, que du vieux. Des vieux, précisément, mes potes âgés de la balade du lundi, vous vous souvenez ?

Le croiriez-vous, comme ça fait chaud au cœur quand je les aperçois, lundi dernier, my dear old fellows, comme une bande de moineaux fatigués des ailes mais encore prêts à un p’tit vol sur Steph Hills ? Et qu’ils lèvent leurs petits bras en me voyant arriver et qu'ils s’écrient « ah, la revoilà, ça fait plaisir ! ». Eh ben, mes vieux gars et mes chères mémés, moi zaussi. Moi zaussi. Très émue.

Et nous revoilà en train de marcher dans les sentiers.

Mais d’abord, lundi dernier, c’était les tests de pole-position, vous vous souvenez : 50 mètres, une allumette. La taulière a fait 5 allumettes, c’est moins bien que l’année passée mais toute la troupe a le même score, faut croire que l’an dernier, 9 allumettes c’était avant le passage de la commission anti-dopage. Cette année, on roule à l’eau, et peinards. Forcément on va moins vite.

Hier, très joli circuit entre Le Pertuiset, bords de Loire, et Saint-Victor-sur-Loire qu'il serait plus juste d'appeler "Très-au-dessus-de-la-Loire", perchée qu'elle est là-haut avec ses maisons médiévales, son château, son église romane et ses deux auberges, sur un éperon rocheux dominant les méandres de la capricieuse, en face d’une presqu’île.

Promenade mystérieuse en longeant les rives à nu (la rivière est très basse, vidée, réduite à un ru en raison de manœuvres compliquées que font les gens qui s’occupent de barrages et autres retenues) puis plus haut, à flanc de colline.

Etrange paysage : une Loire toute noire au fond d’un lit rocheux dévoilant non seulement des strates ondulées de pierres plates et de limon desséché jusqu’à une profondeur assez impressionnante, mais aussi divers ouvrages d’origine humaine, ordinairement ennoyés (la Loire s’ennoie copieusement depuis quelques temps ;-)) en particulier une ligne de chemin de fer et un muret qui devait border l’ancienne route.

Tous ces quais, petits tunnels, chemins pierreux et voûtes enjambant d’autres voies vicinales perdues, sont intacts au fond de l'eau. La pierre, déjointée mais soigneusement appareillée comme on savait seulement le faire autrefois, tient très bien debout et supporte encore vaillamment les ponts, vides il est vrai. Elle est presque blanche, lavée. De blêmes souches de bois pétrifiées par l’eau jalonnent cet ancien parcours. De notre sente surplombant le tout, on rêve à ce passé pas si lointain (quelques-uns des plus âgés évoquent le train) : un paysage riant, une route à platanes ombreuse, un train tchou-tchou sur son mini-viaduc… Toute une vie remuante, industrieuse, occupée, entre ces villages et la grande cité minière où l’on allait vendre sa force de travail (1) à pied, à cheval, en voiture… Et aujourd’hui, ce grand silence forestier, les pentes plongeant abruptement dans l’eau sombre (quand le niveau est haut), les feuillus de plus en plus remplacés par de noirs Douglas…

Il faut ensuite se taper une rude grimpette par le sentier à flanc, tantôt sous les châtaigneraies, tantôt à découvert, chaque virage dévoilant davantage de paysage. Bientôt le château d'Essalois se découpe à contre-jour sur la crête de l’autre rive, petit mais orgueilleux, faisant la pige à celui de St-Victor, en face, contre lequel nous montons à l’assaut (la prise est au ralenti) mais sans masses ni armures, juste nos sacs à dos et nos bâtons.

Le sentier se termine de manière très abrupte, on escalade des marches de géant dans ce qui ressemble plutôt à un lit de torrent à sec (beaucoup de choses à sec dans le coin), et nous voilà d’un coup en bord de route et sur le replat devant l’auberge, laquelle nous offre une majestueuse terrasse en surplomb au-dessus de la « presqu’île » (un des plus beaux méandres du coin) et le plaisir mitigé de payer 3 euros 30 une canette de boisson gazeuse marron ou une tasse d’infusion. Ça renaude pas mal dans les vieux porte-monnaie.

Nous sommes arrivés en nage (d’être mariés ou non), nous repartons transis par le vent de l’automne arrivé cette fois non du Sud mais de son voisin d’en face. Ça souffle raide contre le ciel bleu turquoise. La vaste terrasse panoramique est une proie de choix pour ce courant glacial. On se rapatrie dans le bistrot puis on finit en « sardine » (2) à vingt-six dans l’abribus en bois posé en contrebas le long de la route. Pour se réchauffer on crie et on se masse le dos mutuellement.

Une des choses les plus drôles pendant ces balades c’est la trombine des chauffeurs de bus qui, habitués à foncer dans un car vide en coupant les virages dans ces zones péri-urbaines désertes en dehors des heures de « pointe » (pointes toutes relatives par ici), surtout quand leur ligne les emmène dans la verte campagne où, cette fois, pas un citoyen ne se risque jamais sous les chalets en bois émaillant la route forestière, et là, surprise : deux douzaines de vieux excités comme des puces qui ricanent à n’en plus pouvoir, embusqués à l’arrêt, il en sort et il en monte dans le bus comme on peut pas imaginer, le chauffeur se frotte les yeux. Ils se poussent et chahutent comme des collégiens en goguette, ne tiennent pas debout et s’affalent bruyamment sur tous les sièges disponibles… Deux vrais collégiens, écoeurés, se rabattent sur l’espace dévolu aux poussettes et voyagent debout, alors qu’ils escomptaient se vautrer sur quatre places, les oreilles occupées par leurs écouteurs et les baskets posées sur le siège d’en face. Ben, les gars, sorry mais la chance tourne parfois.

Semaine faste pour le troisième âge ! Leonard Cohen sort un album, en voilà un qui marcherait en tête sur les sentiers ligériens avec ses 80 bougies ! D’autant plus navrée d’entendre sur France Inter, pendant l’émission de « divertissement » (très exagéré, comme qualification) de Nagui (à contre-emploi et n’ayant pu, depuis trois semaines qu’il est aux manettes, trouver ni sa place ni sa partition, faut dire qu'il est définitivement pas bon en radio, que l’émission est morte, archi-morte, le concept n’ayant fait que dégringoler depuis l’irremplaçable tribunal des flags et la relative impertinence de « Rien à cirer », je parle là du haut Moyen-âge), entendu, donc, Bertignac lui aussi invité, massacrer « Hallelujah » en essayant de copier la tonalité rauque et sensuelle du viejo… Complètement raté. Vous savez ce que c’est, quand on s’emmerde à mourir pendant une chanson ? Bertignac brame « Hhhalllllelûûûillaaaay » pendant d’interminables secondes et rien ne se passe, rien ne passe. C’était couru d’avance, quelle idée de s’attaquer à la face nord, ce petit promeneur de montagne à vaches ? Alors que, quand Leonard le fait, c’est simplement mystérieux, prenant, sublime. Vous comprenez, c’est la différence entre un artiste et … je sais pas, moi : un chanteur. Le leader de Téléphone avoue, en plus, juste avant de se lancer, qu’il l’a testée… au téléphone avec sa copine. Imaginer le pas tout jeune non plus Bertignac chanter Hhhalllllllelûûû etc. dans son portable depuis sa salle de bains, ça laisse perplexe, non ? La vérité c’est que Bertignac n’a jamais été une voix, mais un rocker (relatif lui aussi).

Terminons, à propos de rockers, par une petite revue de la « senior stéphanoise moda » automne 2014. Toujours, je voulais vous raconter quelques éléments de nos vêtures, je n’y repense que tout soudain. Précisons d’emblée que la taulière, en matière de mode, est de loin la plus fashionista, avec ses vêtements datant, pour les plus récents, de cinq ans, autrement dit l’avant-garde textile et tendances couleurs, n’hésitant pas à revêtir ce qui n’est pas encore vintage mais déjà totalement dépassé, vu qu’elle s’en fout d’une force et n’a pas voté de budget pour ça de toute façon, la priorité étant de n'être point serrée ni gênée aux vous savez quoi ? Entournures.

Voici donc, côté marcheuses, quelques liquettes imprimé panthère sur pantalons côtelés pur polyester bordeaux, ou alors le jean, mais brodé. D’audacieux petits hauts imprimés choucroute sur fond de paella, les moins sobres arborant en sus des gilets à pivoines. La polaire abonde, et l’on ne rechigne ni sur le mauve, ni sur le rose layette. Mon sweat crème-de-laitue vient compléter ce festival. Côté mecs, c’est la loose complète : chemisette rayée sur bermuda à carreaux, ou l’inverse.

Je dois dire qu’hier, en voyant débarquer un sexa mal rasé à rouflaquettes, arborant un treillis militaire et un magnifique tee-shirt bleu canard qui portait la sobre inscription : « rock it, McKinlay », ce qui laissait quelque espoir d’avoir affaire à un authentique moderne et peut-être artiste, j’ai déchanté rapidement, le monsieur ayant une conversation plus réduite que le lit de la Loire en son état actuel. Mais j’ai été tenue au courant de sa santé par le menu, sa dernière opération par le détail, c’était pas drôle du tout. D’ailleurs, sur la terrasse, après la balade, il a tenu à se déchausser pour nous montrer ses cicatrices (horrible). Le pauvre gars, en fait, en a bien bavé mais non, je ne vous le raconterai pas. J’aurais l’impression de le faire re-souffrir.

Côté salle de gym (oui, la taulière a des potes âgés à trois endroits différents), c’est une autre affaire. On touche au brûlant, au sensuel. Nous avons là trois papys qui se déshabillent entièrement !!! (par pièces, je vous rassure) pour se changer avant et, bien sûr, après le cours. Double et émouvant strip-tease !

Ces petits grands-pères bedonnants accrochent d’abord leurs vestes au porte-manteau. Puis, dans un bel ensemble, ils débouclent la ceinture et tombent le pantalon en gardant chaussettes et chaussures (un travers qui poursuit la gent masculine tout de même assez souvent, non ?) et ainsi, en panets et slips Eminence à rayures, prennent en devisant le temps de plier proprement leur grimpant et de le déposer soigneusement sur le banc. On enfile ensuite le bas de survêtement, puis on tom-be-la-che-mi-se et le tricot de peau. Panorama sans pitié sur des torses qui gagneraient à rester un peu emballés. Enfin, ils déplient posément le tee-shirt de gym où Mémère a fait le pli au rasoir, le revêtent avec la componction d’un curé passant le surplis, arrangent le reste du costard, s’assoient enfin et font entrer leurs vieux porte-cors dans des chaussons. Les voilà prêts.

Vous savez quoi ? Ils sont ridicules et attendrissants. Ils se dévêtent naïvement, comme dans la chambre, chez eux, là où Mémère leur enjoint d’être soigneux avec leurs habits, ou comme ils l’ont fait, plus jeunes, dans des vestiaires de stade, (quand ils en étaient encore les dieux locaux ?), ou de l'usine. Bref : ils se dévêtent et se livrent, avec leurs caleçons bien emboîtants, archi-datés mais bien entretenus (il se trouve encore des marchands pour ce genre d’article ?). Ils se dévêtent comme de vieux écoliers pour la visite médicale. Leur voix chevrote, leurs gestes sont lents, leur marche peu assurée. Mais ils sont là.

Ne croyez pas que la taulière les mate (les pauvres !) ou se moque. Du moins se moque-t-elle avec beaucoup d’affection. Elle les voit, elle note ces détails parce qu’ils ont une valeur à ses yeux. Elle enregistre tout cela : leur tenue vestimentaire qui a de la tenue. Leur bavardage de bon aloi, leur contentement d’être encore actifs, leur souci de ne pas circuler, dans la rue, dans le même costume que celui de la gym (alors que les femmes s’en contrefichent et veulent juste être rapidement opérationnelles), leur bonne humeur et leur courtoisie, leur volonté de se maintenir… Tandis que résonne, en fond sonore, pour eux et pour moi, la pendule qui dit oui, qui dit non…

Frères humains !

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(1) A propos de force de travail : « - L’argent provenant d’un salaire, ce n’est pas pareil que la même somme provenant d’un vol. L’argent volé est plus pur. Il n’y a pas de servitude engendrée par un contrat, pas de soumission à la volonté d’un tiers, pas d’obédience. Il ne t’appartient pas parce que tu l’as troqué contre ton temps et ta peine, il t’appartient parce que tu l’as pris. »
John Dortmunder, grand voleur devant l’Eternel, héros récurrent de Donald Westlake, dans « Top Réalité », 2009 chez Payot & Rivages.

Si vous voulez, vous, prendre du bon temps et vous claquer les cuisses en lisant de l’excellent polar comique, voyez la série de cet auteur consacrée à la même bande de bras cassés emmenés par le taciturne Dortmunder (la déclaration ci-dessus est sans doute sa plus longue prise de parole sur l’ensemble des titres) dans des coups plus foireux les uns que les autres, en particulier le savoureux « Dégât des eaux » par lequel il est urgent de commencer, puis « Surveille tes arrières », « Comment voler une banque » publié aussi sous le titre « Le Paquet », « Bonne conduite » etc., tous chez Rivages/noir. « Top réalité » que je viens de refermer est de la même veine, c’est inénarrable, inutile de déflorer le sujet.

Attention : Westlake, auteur prolixe à nombreux pseudos, écrit dans plusieurs cadres différents. Il a produit quelques navets dont « Monstre sacré », à éviter. Un autre de ses héros récurrents, Parker, œuvre dans des polars brutaux signés Richard Stark, un autre de ses alias. Efficace, sans bavures mais on y rit peu. Parker n’a pas d’humour mais il réussit ses coups. Dortmunder est irrésistible mais tout ce qu’il entreprend prend l’eau. Toutefois, ce n’est jamais à cause de lui mais uniquement la malchance, car c’est un redoutable préparateur de bracos, et sa bande constitue un cluster de compétences dont rêverait plus d’un entrepreneur soucieux de performance : Tiny (en anglais : « le minuscule »), monstrueuse montagne de chair humaine qui peut porter une commode entre les dents ; Andy qui tutoie les serrures, Stan le chauffeur dont la maman est taxi… sans compter quelques seconds couteaux comme Arnie le receleur misanthrope ou un perceur de coffres dont j’ai oublié le nom mais non le talent.

(2) Le jeu de la « sardine » se pratique à la fin de la grosse fiesta nocturne en forme d’auberge espagnole qui conclut Pirouésie (Festival de poésie en Cotentin), après le grand feu allumé dans le Courtil, aux Miellettes. La nuit reprenant ses droits, on s’égaille dans les lieux et quelqu’un (la sardine ?) se planque dans un appentis exigu. D’autres le rejoignent s’ils ont la chance de le trouver, et tout le monde s’agglomère les uns aux autres (attention : ça reste correct mais très potache). Plus la sardine grossit, plus les chuchotements et les rires augmentent, plus les quelques désoeuvrés qui errent dans les champs à la recherche de la sardine se sentent désemparés. Je crois que la sardine est terminée lorsque tout le monde sont là, les uns sur les autres (la sardine de démarrage doit être une personne assez costaude, non claustrophobe, et toutes les tricheries sont permises). Sauf erreur, le jeu a été lancé là par Jacques Jouet en 2007.