Allez savoir pourquoi, depuis quelque temps la conversation, chez les viejitos du lundi, roule sur la fin de nos jours.

Juré, c'est pas moi qui l'ai mis sur le tapis !

Couac il en soit, nous voici installés dans le bus pour nous rendre à notre départ de marche hebdomadaire. Bus au complet, y a pus de place pour les autres voyageurs, ça piaille à s'en exploser les tympans. Deux vioques, des "nouvelles" arrivées cette année et qui font les dominantes dans la meute - c'est vrai quoi, elles débarquent et veulent mettre tout le monde à l'amende - ferment d'autor' les volets qui, en haut des vitres, permettent de donner un peu d'air qu'elles appellent, elles, courants d'air. Précisons que les bus stéphanois ne comportent pas la clim', ce que nous ne saurions leur reprocher, consciente qu'il vaut mieux suer une demi-heure que participer à la grimpette planétaire des températures, gage d'une suée beaucoup plus durable, pénible, voire létale, qui guette nos arrières-petits-enfants. Et moi, à ces gens-là, je ne leur veux pas de mal !

Faut vous dire, Madame, Monsieur, qu'il fait présentement dans les 24 degrés l'après-midi en Stéphanie. Nous bénéficions de la remontée d'air chaud du Sud-Ouest, et la météo, qui persiste à nous annoncer 14 et le froid de l'automne qui arrive, ne laisse pas de nous faire sourire (jaune), bien au tiède entre nos sept collines. Que c'en est même un peu pénible, j'oserais. Le soleil donne à plein et le ciel est désespérément bleu. Si ça peut vous consoler, le taux de pollution est compris dans le taro et les jardins rétrécissent encore.

Clac clac, voilà les fenêtrons bouclés : le niveau de chaleur et le volume des voix augmentent à l'envi, bien qu'il ne devrait pas y avoir, en toute logique, corrélation. Faut vous dire, Madame, Monsieur, que les vieux sont majoritairement sourdingues à des degrés divers, mais à peu près tous avec la même allègre tendance au déni. Ca fait, ils hurlent que non non, pas de problème, "y z'y entendent bien" de même qu'y z'y voyent bien. Au cas où vous seriez pas sans l'ignorer (comme le profèrent neuf journalistes sur dix, les mêmes qui disent "je vous serai gré" et "les mesures con été mihenplace"), la province linguistique du y à toutes les sauces recouvre à peu près Lyonnais et Forez réunis.

Bien. Dans le vacarme ambiant, Maurice (pas la peine de tousser, la taulière change toujours les prénoms) met la question du défuntage à l'ordre du jour. Nous sommes un trio de ricanants postés dans le "petit salon" au fond du car, là où d'ordinaire les lascars s'essuient les baskets. Josette parle de je ne sais quoi qui aura lieu dans une dizaine d'années. Bof, dit Maurice, dans dix ans on s'en foutra, on sera en train de prendre l'air au jardin du souvenir.

Parle pour toi, que je me rétorque à part moi, affichant mon sourire bonasse de quand je veux pas polémiquer.

Faut dire que Momo, c'est un de mes préférés dans la bande. Il est vaillant, il rapetisse de mois en mois, il parle de ses chimios comme moi de mon cachet d'aspirine et la liste des associations dans lesquelles il fait du bénévolat ne tiendrait pas dans cette page. Sa modestie n'a d'égale que son humeur, toujours égale elle aussi. Et c'est lui, notre spécialiste des spots à suicide dont au sujet duquel je vous entretenais dans mes premières stéphano-chroniques. M'étonnerait pas qu'il garde le meilleur pour lui, comme on ne "donne" pas son coin à champignons...

Josette prend un air concerné et se rengorge en affirmant qu'elle a déjà tout prévu. Momo et moi nous esclaffons de concert : fichtre, nous on n'a rien prévu du tout, "y" se démerderont (vague désignation). De toute façon, dit Momo, les conventions Zobsec c'est du pipeau, "y" font travailler notre argent, vaut bien mieux qu'on en profite nous, pendant le même temps.

- Oui mais, dit Josette, ça augmente et dans dix ans, avec ce que t'as mis de côté, tu pourras pas te payer le même enterrement.

- 4000 euros, dit Momo d'un air définitif en claquant sa casquette sur le genou.

- Oui, 4000 euros pour le moment mais dans dix ans... (Josette cultive le pessimisme au quotidien. Par exemple, elle affirme que pas une voiture neuve ne peut pénétrer dans Armeville sans que son propriétaire ne la trouve désossée en rejoignant le parking. Qu'en marchant dans la rue il convient de se retourner régulièrement pour ne pas se faire "faire" le sac à main, que tout ce qu'on mange nous empoisonne und so weiter).

Momo a un petit rire et se penche : "Vous avez pas entendu, aux infos, celle de la mémé qu'avait pas de ronds et quand sa soeur est morte elle l'a mise dans la brouette et elle est allée l'enterrer au fond du champ ?".

- Chiche, que dit la taulière : on se groupe à plusieurs, on s'achète une bonne brouette et on se promet mutuellement d'intervenir quand c'est le moment ?

Et de rire, rire...

Josette raconte que quand elle bossait à la mairie, un jour au téléphone : "Bonjour madame, j'ai ma belle-mère qu'est décédée, je sais pas quoi en faire, je vous l'amène".

- Ah mais dites, que je lui fais, vous ne pouvez pas faire ça monsieur !

- J'ai pas de sous, repartit le quidam, ce qui, à Ex-houille City, est une réplique d'une banalité confondante.

- Donnez-moi votre nom et votre adresse, on va voir ce qu'on peut faire, avance Josette avant de courir voir le maire.

- J'étais bien embêtée, dit-elle. Je regardais par la fenêtre, je guettais. Après j'ai dit au maire : "je vous préviens, si vous voyez arriver une voiture avec un macchabée allongé dedans moi je m'en vais, je veux pas voir ça, je vous laisse avec eux."

Entre temps elle avait envoyé voir quelqu'un qu'elle connaissait (ce qui, ici, est d'une banalité confondante vu qu'en un an à peine de résidence je salue presque déjà 20 % des citoyens dans la rue) et qui connaissait lui-même quelqu'un dans l'immeuble en question. Bon, y avait personne de ce nom-là, c'était une blague. Mais des fois, ajoute-t-elle, y en a qui téléphonent pour dire "mon chat est mort, qu'est-ce que j'en fais ?" et là, c'est vrai.

- Civet, que je dis sans sourciller, moi qui ai été la mère-à-chats la plus dévouée qui soit pendant plus de trente ans et qui assure encore les vacances des chats des autres quand ça se présente. Moi qui ai enterré mes minettes dans de belles caisses en bois et toujours dans un coin de nature, y en a même une qu'est pas loin du jardin du Curé d'Ars, dans sa propriété de Dardilly...

- Y a mon voisin, reprend Momo qui aime bien avoir la meilleure histoire du carré, y s'est acheté une concession à Crêt-de-Roc (un cimetière classé, me demandez pas classé où et comment mais classé) et il y va toutes les semaines pour se reposer...

Momo sait laisser planer le court silence qui permet d'interloquer ou de s'esclaffer. Nous interloquons, certaines qu'il y a une suite.

- Oui, il a fait faire comme un petit banc encastré dans le marbre, pour s'asseoir, et il monte là-haut pour se reposer et aussi pour s'habituer.

- Le dos au frais, les pieds au soleil, commente Josette qui prend l'air affranchi. Combien, la concession ?

- J'sais pas, trente ans...

- Oui, parce que, précise la groupie des PF municipales, y a plus de perpète, maintenant. C'est dix ou vingt ou trente ans. Cinquante, je sais pas... (on se croirait dans un dialogue de Boudard).

- Oui, alors il a fait faire son petit banc et sur la pierre, il a fait des économies parce qu'il a déjà fait mettre : son nom, çui de sa femme, leurs dates de naissance et "20..", comme ça y a plus qu'à compléter les dates. Deux chiffres à mettre et le tour est joué, annonce Momo triomphalement. Vu qu'on est en 14, c'est obligé que ça marche.

C'est clair. On a pas encore vu de doyen de l'humanité à 170, voire 990 ans (et des brouettes). Remarque, ça se trouve on y travaille.

- Oh, ça c'est banal, dit Josette qui lui suce la roue. Des "20.." "20.." y en plein les cimetières.

Dire que l'Office des Personnes Agées nous recommande la marche pour combattre la déprime et garder bon moral.