Pour vos fêtes de fin d'année, voici deux cadeaux très originaux et à tout petit prix. Sorry mais ces cadeaux ont déjà été déballés à La Ricamarie (Loire) les 12 et 13 décembre dernier :

* A plates coutures (Carole Thibaut), vendredi 12 décembre

Spectacle théâtral par la Compagnie Nosferatu, d'après l'histoire des "Lejaby" - Bord de scène avec Sonia Jebali et Monia Dridi, ouvrières en lutte à l'usine Latelec de Tunis venues spécialement de Tunisie.

* Délocalisation et luttes ouvrières en Tunisie

Exposition photographique du 3 au 31 décembre 2014, Médiathèque Jules Verne - La Ricamarie (Loire). Rencontre le samedi 13 décembre à 10 h 30 à la médiathèque Jules Verne en présence de Claire Malen, photographe et de Sonia Jebali et Monia Dridi once more.

1 - Seventex, l'usine fantôme

Ne cherchez pas d'informations sur la toile à propos de Seventex. Silence sur cette usine textile paumée - et abandonnée - dans le grand sud tunisien, à Redeyef (Al-Rudayyif, gouvernorat de Ghafsa).

En revanche, depuis la semaine dernière, un bloguiste du coin a eu la bonne idée de me précéder avec un compte rendu très fidèle - et a fait des photos des photos, des fiches explicatives et des deux jeunes Tunisiennes. L'histoire figure donc bien, au final, sur la toile, merci Jieffebi !

Seven comme 7, chiffre fétiche du dictateur Ben Ali. Logo mauve - couleur symbole de Madame. Le patron de Seventex est un des obligés de la famille. L'usine est montée entre 2007 et 2010 (j'ai oublié la date exacte) à grands coups de subventions. C'est peu dire que la société est irriguée de fonds publics... Quand, sur fond de révolution commençante, le patron de cette usine labellisée "totalement exportatrice" met la clé sous la porte après avoir asséché, entre autres, le poste salaires. Les ouvrières ne sont pas payées depuis trois mois lorsqu'il ferme.

L'usine fonctionnait pourtant "normalement", ce qui signifie, en Tunisie, beaucoup de profit réalisé grâce à la confection à marche forcée, pour des marques connues et consommées en Europe du Nord : Zara, par exemple, mais pas que. Les horaires de travail sont 7 heures / 18 heures sans pause. On travaille le samedi et le dimanche sur demande du patron. Leila Kheirredine, chef d'atelier et syndiquée, gagne 160 dinars (80 euros) par mois, soit vingt fois moins que ses homologues français. C'est elle qui osera traiter le patron, publiquement et en face, de voleur. Voilà, ça c'est fait.

Les ouvriers de Seventex (essentiellement des ouvrières) décideront de maintenir l'usine en état de marche : propre, machines arrêtées certes, mais prêtes à redémarrer au cas où... Un jeune ingénieur courageux, obstiné, prend son bâton de pélerin et démarche les administrations régionales et étatiques avec un dossier de reprise viable. Il est reçu, il espère, rien ne se passe, le temps passe. Il voudrait créer une SCOP, ce statut n'existe pas en Tunisie. Le droit du travail n'existe pas non plus en Tunisie. Chantier en cours...

On imagine la profusion d'emplois dans le coin : une région où ne passe pas une des routes essentielles en direction des ports. On imagine la situation des gens, là-bas, leur espoir au démarrage de cette usine tombée du ciel, la catastrophe de la fermeture...

Quelques clichés modestes au premier regard mais remarquablement percutants de Claire Malen, photographe, illustrent ce désastre et cette mauvaise action du patron fuyard : salles vides, machines à la tête relevée, prêtes à piquer ; un amoncellement de pulls en finition ; des bobines, les murs. Huit ou dix photos pour une désolation. Et Leila qui pose derrière un pantalon fabriqué pour une firme allemande, un pantalon qui en contiendrait six comme elle.

En écrivant ce billet plus de huit jours après la rencontre, j'ai le regret de craindre que le nouveau président, BCE, ne fera pas beaucoup avancer ce dossier. J'espère, dans un futur proche, avoir à écrire un billet pour dire que finalement si.

2 - Latelec

Claire Malen, photographe, est donc venue nous rencontrer avec Monia Dridi et Sonia Jebali, techniciennes de LATELEC, déléguées syndicales UGTT (*). Et voici une autre histoire, tout aussi terrible, tout aussi cynique.

Vous pouvez mettre "ex" devant leurs titres. Aujourd'hui, après trois ans de luttes au pied à pied contre un patronat masculin particulièrement hérissé par le fait que la contestation soit menée par des femmes, Monia et Sonia ne sont plus rien. Du moins, au regard de LATELEC et du syndicat. Mais pour nous qui les écoutons, elles sont comme deux soldates harassées venues nous raconter leur guerre et c'est pas joli joli.

Sonia Jebali et Monia Dridi travaillaient, comme leurs quelques 400 collègues, à la fabrication de câbles pour l'aviation chez LATELEC, filiale de l'équipementier aéronautique LATECOERE France (Toulouse et d'autres villes du Sud-Ouest), usine située à Fouchana - au sud-est de Tunis. Principal client et probablement le seul (on sent le bon vieux montage financier providentiel de l'externalisation) : AIRBUS

Monia et Sonia sont donc venues en France faire une tournée pour nous donner des nouvelles de leur lutte, de la lutte des autres salariées, là-bas en Tunisie.

Les cinquante personnes assises en face de ces deux jeunes femmes aux traits tirés, fatiguées par leur voyage et par les prises de parole successives, écoutent un récit hallucinant qui nous renvoie à Germinal, à 1936, et fait apparaître le syndicalisme hexagonal comme une aimable promenade de santé. C'est le récit de deux syndicalistes déterminées jusqu'à une grève de la faim de vingt-sept jours ; de deux femmes qui ont tenu tête aux deux directions de LATELEC Tunis et de Latécoère Toulouse.

C'est le récit d'une usine paralysée par les grèves, puis vidée de ses ouvriers par des patrons scélérats qui organisent le lock-out (soustraction de 200 personnes "recasées" dans une industrie voisine) pour isoler les syndicalistes et pouvoir les saquer tranquillement, hors du regard des camarades, des médias... Tout cela, orchestré par Latécoère France, dont les dirigeants discutent sans doute, en se gobergeant au restau, des emm... que leurs causent "les troubles sociaux" là-bas, en Tunisie, et font pression sur la direction tunisienne pour que se règle, au plus vite, le "problème". Le sort de Monia et Sonia est réglé par un marchandage honteux, presque un échange d'otage : réintégration des ouvrières licenciées contre départ des meneuses. Accordé.

Entre 2011 et 2014, Monia et Sonia avaient d'abord travaillé sur les conditions de vie à l'usine pour les femmes, et obtenu le départ d'un agent de maîtrise qui harcelait sexuellement les ouvrières, puis d'une chef qui les insultait quotidiennement. Jusque là, ça a été "relativement facile". Des déléguées syndicales sérieuses, qui faisaient "avancer les choses".

Ensuite elles se sont attaquées aux conditions de travail et de rémunération, et là, vous pensez bien : ça coince.

Vous trouverez ici un récit complet, qui ne rend pas compte évidemment de la charge émotionnelle que nous avons pris en pleine gueule en ce samedi matin, mais qui donne des nouvelles récentes.

, vous pourrez entendre la Voix de son Maître, la voix de la honte. Cet article explique très bien comment Latécoère Toulouse a "puni" les Tunisiens en réorganisant sa production via le Mexique et quelques unités de production ici ou là, dans le Sud de la France.

Et par ici , vous pouvez lire ou non le plan cucul des syndicalistes, une naïveté un peu étonnante mais bon.

Nous, à La Ricamarie, on était plutôt sonnés, dans le petit espace expo, une mezzanine tranquille, intime, au-dessus de la médiathèque. Ces deux femmes épuisées parlaient doucement, on tendait l'oreille, le silence était ouaté.

Ensuite est venu le temps des questions, du dialogue :

"Vous disiez que dans l'usine SevenTex les ouvrières sont restées 3 mois sans salaires... Elles sont drôlement soumises ces femmes, dites-donc...". C'est un vieux cégétiste blanchi sous le harnois, à vue de nez, qui fait cette remarque imbécile. Claire Malen recontextualise. Elle rappelle qu'en France, une manif c'est des gens qui défilent pépères et qui chantent des trucs. En Tunisie, c'est violent, réprimé (elle cite des exemples). Ce sont des abus policiers gravissimes. Chez Latelec, Sonia et Monia sont régulièrement intimidées, menacées. Elles sont suivies dans la rue par des flics... Un journaliste qui a essayé de rendre compte a été emprisonné et torturé... Plus tard le coco-bon-teint, douché, reviendra sur ses propos.

Comment ont-elles tenu ? Elles disent ne pas s'être posé de questions sur leur sort personnel. Chaque jour elles se lèvent et font ce qu'elles ont à faire. Et les événements se sont succédé : convocations. Réunions. Procès-verbaux, recommandées, convocations, etc. jusqu'au pliage final.

Sonia et Monia ont alerté dès le début de leur lutte les syndicats côté français. L'antenne régionale de F.O. fait répondre qu'elle ne soutiendra pas "des terroristes". La CGT a répondu présent. Des comités de soutien se sont créés.

Aujourd'hui, il est impossible à Sonia, Monia de retrouver un travail où que ce soit. Marquées.

Et lorsque les camarades restées à l'usine se plaignent de quelque chose, on leur répond en rigolant "allez donc vous plaindre à Monia et à Sonia...".

3 - Deux cerises sur le gâteau

Au fil des échanges, on revient sur le cas de Seventex et de l'usine qui n'a pas été pillée, pas une bobine de fil n'a disparu, depuis le départ du patron. Monia souligne en rigolant que Redeyef est, depuis 2012, une ville sans maire et sans police. Et, dit-elle, tout fonctionne très bien là-bas, elle dit que ça donne à réfléchir... Avis aux amateurs.

Et Airbus ? Comment va Airbus ? Aujourd'hui le Qatar a pris livraison de son premier A350.

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(*) Principal syndicat tunisien, proche de la CGT