"Aux yeux du Tao, le zénith n'est pas en haut, ni le nadir
en bas ; nul point dans le temps ne fut il y a longtemps,
ni avec l'écoulement des âges n'est devenu vieux."

fleurs_2015.jpg Chouang-Tseu

Bonne année à toutes et tous ! Que 2015 vous soit la plus douce possible et pleine de promesses réalisées...

Pourquoi le cacher plus longtemps ? La Taulière a passé la fin de l'année et le début de la suivante en compagnie d'un super-pote vraiment cool, et pendant ces cinq jours ils se sont éclatés.

Mon invité ? Que pourrais-je en dire ?

D'ordinaire un type gai, du genre heureux de vivre, primesautier et même joueur, qui a tendance à dire sans fard ce qui lui passe par la tête. La taulière apprécie sa franchise sans détours, même lorsqu'il critique ses efforts ou ses propositions gastronomiques : "tu sais bien que j'aime pas les frites" - "on voit des grains de poivre, là." En vérité, il a des goûts simples qui tournent autour des spaghettis, avec des variantes subtiles : avec ou sans ketchup. Un soupçon de ketchup. Un arrosage conséquent de ketchup. Une mare de ketchup. En revanche, ce mec déteste le sucre sous toutes (autres) ses formes : un extra-terrestre !

C'est pourquoi nous avons passé un réveillon d'une sobriété qui a dû compenser, à elle seule, les excès de la totalité de la ville. Pour me venger de l'absence de bûche et autres marrons glacés, je lui ai collé un morceau de brocoli nature dans son assiette le 1er janvier à midi. Il l'a boulotté sans sourciller mais je pense que le message est passé.

Je disais "joueur". Dire qu'il aspire à vivre dans un tripot serait plus exact. Je me suis fait mettre la pâtée aux dames dès le premier jour (mais pas que : jeu de l'oie, petits chevaux, etc.). L'effet de surprise, sans doute, car ce soir je l'ai laminé : certes il m'a pris quatre pions d'un coup dans les dix premières minutes, mais ce sont les seuls sur lesquels il a pu mettre la main. Il a reconnu qu'il était inutile de continuer quand ses trois malheureux blancs se sont retrouvés en face de quatre dames et huit noirs encore en jeu, tous prêts à lui bouffer les siens et la première phalange. Ah mais. Il n'est pas exclus qu'il fasse carrière en politique, car il a déjà compris qu'on peut changer la règle du jeu en cours de partie sans que les foules se soulèvent, voire ajouter une règle inventée sous la pression de la nécessité. Voilà un gaillard qui serait mûr pour voter le grand traité transatlantique, mais heureusement, il est bien entouré et ses spin-doctors sauront le remettre sur le droit chemin citoyen avant qu'il démarre sa première campagne.

Parfois il arrive qu'on se "frite" un peu, mais vraiment rien de grave. En outre, il est impossible de lui en vouloir longtemps. Ce quidam cultive en effet l'art de réduire à néant toute velléité de colère, de rancune ou même de simple agacement. Il joue tantôt de son sourire de vieille fripouille, tantôt de son franc regard clair (marron clair) assorti, au besoin, d'une mimique d'étonnement très convaincante ; de ses sourcils froncés (et là en général la taulière explose de rire et lui crie qu'il est le portrait de sa mère - vous savez combien les hommes apprécient de se voir comparer à leur génitrice, pour laquelle ils conservent tout au long de leur vie un petit autel domestique assez garni devant lequel ils font leurs dévotions plusieurs fois par jour).

Mon hôte du réveillon, pour le reste, est un homme d'habitudes. Il dort très bien ses dix heures, pourvu qu'on lui laisse à portée de main une petite torche électrique et que la porte reste légèrement entr'ouverte. Au fil des matins je l'aurai vu passer ponctuellement la porte de la chambre à huit heures pétantes, le regard en bataille et le pyjama encore chaud, et se diriger vers les toilettes en jetant au passage un "salut" un peu rogue. Il surveille sa santé et s'accorde des "temps d'écran" qu'il comptabilise avec honnêteté, mesure avec précision son cacao et ses céréales. Bref, la taulière a reçu pendant cette mini-semaine quelques leçons de tempérance qui lui ont fait le plus grand bien.

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Après, question animation des soirées, on est limités : il est toujours couché longtemps avant moi et en général de bonne heure. C'est aussi un rituel-obsessionnel : je suis devenue lectrice attitrée, et j'ai dû partager l'oreiller à cette occasion avec cet espèce d'animal là.

Mais une fois levé, voilà quelqu'un de sportif, d'actif et de très autonome. Au besoin serviable. On s'est tapé quelques vaisselles ensemble, je dois dire que ce rara avis a empoigné le torchon très spontanément après avoir proposé son aide, et qu'il a su ranger comme s'il vivait là le reste du temps. On apprécie toujours, nous autres femmes, qu'un homme sache prendre sa part des travaux ménagers. De surcroît, divine surprise, ce contempteur du sucre aime préparer de la pâtisserie. Ses amandins étaient parfaits.

En revanche, nos biorythmes ne sont pas forcément accordés car il est parfois difficile de répondre à une sollicitation toutes les dix secondes, alors qu'on a déjà pris du retard sur les cinq demandes précédentes, qu'on a un torchon coincé sous l'aisselle, la boîte de feutres dans une main et la balayette des WC dans l'autre, deux casseroles sur le feu, les fringues par terre à ramasser (nobody's perfect) et qu'on est censée dans le même temps servir un verre d'eau, faire une recherche sur internet à propos des drapeaux du monde, finir de coller une saleté de dinosaure en carton à monter soi-même... Non, là je suis injuste :
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c'est vrai qu'on s'est amusés comme des gamins à confectionner des bestiaux protohistoriques en carton à coller (qui ne collait pas), mais en fin de séance, je me suis vu offrir avec une spontanéité carrément craquante, ce magnifique ptéranodon



Question météo, les dieux étaient avec nous car le gars, là, il est fondu de sports de glisse, alors vous pensez si c'est facile de l'appâter ! On en a eu cinq centimètres, de poudreuse, cette semaine, qui ont bien tenu et lui ont suffi pour dévaler un grand champ, avec une copine de 58 balais que je lui ai présenté et qui possède une luge... Du coup, nous guettons les prochaines chutes (de flocons) et nous promettons de nous contacter, le cas échéant, pour organiser d'autres séjours.

Toutes les bonnes choses ont une fin, dit la sagesse populaire, que je déteste. Lorsque j'ai accompagné mon Jules de cette semaine au train ce matin (oui, Monsieur voyage seul ou presque, sa frangine le retrouve à la gare et ils rentrent ensemble, vu qu'ils reprennent le turbin lundi), lorsque j'ai réintégré mon chez moi désert, résonnaient encore son rire, sa voix tendre même lorsqu'il rouspète et surtout, les chansonnettes qu'il fredonne à longueur de journée. Car ce vrai musicien en herbe, qui est près d'avoir l'oreille absolue, a une petite spécialité qui m'enchante : il change les paroles des chansons en fonction de ses occupations du moment et, sur l'air de "Petit Papa Noël", on peut tout à fait entendre "Faut met-treu de la col-leu / et maint'nant j'vais agra-fer / mes di-nosaureuparmilliers, etc.". Et ça, c'est la version soft. Il y en a une autre que je ne peux reproduire ici, du genre "Petit pépère-le-prout" et autres "pet'pet"...

Mais durant ces quelques jours, le vrai tube du moment c'était "Tam, tam flipounette..." (variante : "tatam, tatam, la flipoupou, la flipounette"), un sample chantonné à longueur de journée sur une gamme descendante avec une légère mais indéniable syncope, et qu'il m'a avoué avoir composée sur l'instant, mais sans parvenir à se rappeler comment ni pouvoir dépasser, au niveau du texte, les trois premières paroles. Je lui ai dit que moi, à six ans, j'étais bien incapable d'en faire autant et l'ai complimenté sans mesure.

D'ailleurs, la Taulière sent que ça conviendra parfaitement à son humeur du moment, demain : "Tam, tam, flipounette..."

POST SCRIPTUM Me suis fait reprendre de volée par l'artiste tout récemment : "c'est pas flipounette" que je chantais, mais FRIpounette" - Ah bon, mais pourtant j'entendais... - Ben, c'est tes oreilles...