On peut tout dire et son contraire (cf ce billet, recommandé par une copine, merci à elle). Les lignes de Patric Jean sur Mediapart, ainsi que les nombreux commentaires y afférents, comme on dit dans les bonnes maisons, ont au moins le mérite de tailler dans une grand-messe consensuelle qui sent de plus en plus fort la récupération, et d'ouvrir le débat.

La Taulière se souvient des premières caricatures qui avaient valu à Charlie le début des emmerdements (Jylland Posten, ça doit être 2005 de mémoire) et qui, peut-être, pouvaient laisser prévoir la suite. Puis de l'affaire de 2012, faisant naître un autre son de con...sensus autour de l'idée "d'exagération" et autres "domaines à sanctuariser"... L'occasion de re- et re-citer Desproges à propos de rire de n'importe quoi mais pas avec n'importe qui. Les voix de Charlie qui s'élèvent aujourd'hui - comme elles le peuvent - dans ce concert médiatique, dénoncent ces périodes où ils étaient moins soutenus, celles des procès tous azimuts, CFCM et autres en tête.

A ce propos, un peu d'histoire : vers la mi-novembre 1970 parut brièvement dans les kiosques le fameux numéro titré "Bal tragique à Colombey : un mort". La dernière "une" de Hara-kiri Hebdo ("Mensuel ?") saluait ainsi d'une ironie ravageuse, pas tant la mort d'une de leurs cibles favorites, Charles de Gaulle, survenue quelques jours plus tôt dans sa propriété de Haute-Marne, que la façon dont la presse de l'époque évoquait l'incendie ayant causé la mort de 146 jeunes brûlés vifs dans une discothèque, drame survenu le 1er du même mois à Saint-Laurent-du-Pont (Isère).

Avec ce titre devenu culte, H-K mettait en lumière le marronnier médiatique poussé tout droit, à l'époque, dans les cendres de la discothèque. Les "une" intitulées "Bal tragique" ou autres billevesées avaient fleuri en effet dans la presse, piètre cache-sexe posé sur une vérité dérangeante : l'absence totale de dispositifs de sécurité au "5-7" (nom de la boîte de nuit), au profit de mesures d'enfermement destinées à éviter... la resquille, scandale qui ne fut pas dénoncé d'emblée.

Quoi qu'il en soit, on connaît la suite réservée à la "une" iconoclaste (le Général !!!) de Hara-Kiri : le journal fut aussitôt interdit par son ennemi juré, le ministre de l'intérieur Marcellin, et Charlie Hebdo naquit de cette interdiction. Je ne pense pas apprendre grand-chose aux gens de ma génération mais pour les plus jeunes, okazou... Et la presse la plus frileuse ("pas si vite, devant - poussez pas, derrière !") d'emboîter prudemment le pas à Hara-Kiri/Charlie pour investiguer sur les vraies causes du drame de St-Laurent-du-Pont.

C'était ainsi, dans la France gaullienne : conservatisme, immobilisme, tiédeur, consensus compassionnel au détriment d'une utile dénonciation, le mot d'ordre : "ne pas faire de vagues". Et "mai 68" venait juste de s'éteindre, autre incendie, mais présumé salutaire celui-là ! Précision d'une souvent agacée par la pink repeinture du passé.

Histoire de contextualiser un peu, n'est-ce pas, et d'accompagner le billet de Patric Jean et d'autres, qui commencent à élever leurs voix au-dessus de ce climat de funérailles nationales qui, en effet, aurait bien fait rigoler plus d'un dessino parmi les assassinés, car ils n'étaient pas gens de consensus ni de béni-oui-oui, c'est le moins qu'on puisse dire.

Ceci dit, belle abbesse, la Taulière, qui avait arrêté de lire Charlie voici quelques années en raison du climat souvent trop machiste à son goût de ce canard, serait allée marcher tout de même ce matin à Saint-Etienne, si une méga-bronchite ne la tenait ici clouée. Elle a fait, comme tout le monde, sa petite affichette "Tous Charlie" et deux bougies ont brûlé sur sa fenêtre mercredi soir, cf billet précédent.

Emotion, réflexion... Le bruit des mitraillettes n'est pas près de s'éteindre, mais on ne devrait jamais oublier d'historiciser un peu les événements : quid de l'Europe coloniale et de ses dégâts post-coloniaux qui, tels une conflagration nucléaire, n'en finissent pas de faire des petits ? Et au fait, depuis quand trouve-t-on des armes à vendre à tous les coins de rue ? Et pourquoi s'en fabrique-t-il autant, depuis les usines étatisées ou réputées telles, jusqu'aux ateliers clandestins de remilitarisation des butins de guerre ?

Tout cela vous paraît très éloigné du sujet ? Alors pour demain en huit :

En quarante lignes, vous établirez le lien entre ces différents phénomènes au moyen d'une uchronie résumée qui décrira ce qu'aurait été le monde :

1°) si l'humanité n'avait pas été constituée majoritairement de prédateurs cupides
2°) si la prolifération des armes conventionnelles avait été contrée, disons, dès le début du vingtième siècle par une réglementation mondiale totalement contraignante et unanimement respectée (vous imaginerez pour cela un genre de SDN efficace)
3°) si la participation des femmes dans les instances de gouvernement, et dans les sociétés humaines en général, avait été ce qu'elle aurait dû être.



Post-scriptum, dix-neuf heures : les foules inouïes qui ont déferlé aujourd'hui dans toutes les villes - et même certains villages - de France montrent qu'au-delà des soupçons de récupération, il a bel et bien existé un immense mouvement d'indignation quant aux événements de ces derniers jours. On peut penser raisonnablement que la majeure partie des manifestants n'admettent tout simplement pas qu'on puisse assassiner des gens en vertu du fait qu'ils travaillent dans un hebdo satirique, ou sont policier-ères, ou fréquentent un supermarché casher. Qu'ils aient eu envie de le dire ensemble et de rendre hommage aux victimes, il y a là quelque chose qui transcende tout le reste.