Entendre Latifa Ibn Ziaten à l'IREIS de Firminy (1), fut une expérience rare.

Madame Ibn Ziaten est la mère d'Imad Ibn Ziaten, sous-officier au 1er régiment du train parachutiste de Toulouse, assassiné par Mohamed Merah le 11 mars 2012.

Aucune des lignes lues ici ou là, aucune de celles que la Taulière aurait voulu écrire (et qu'elle n'est pas parvenue à rédiger) pour rendre compte de ce que nous avons vécu pendant deux heures dans l'amphi de l'IREIS, ne convient. On lira plutôt, sur le site de l'Association Imad Ibn Ziaten pour la Jeunesse et pour la Paix), les quelques mots qu'a prononcés en conclusion Ahmed Nordine Touil, sociologue et formateur à l'IREIS, instigateur de cette rencontre, qu'il en soit remercié.

Tentons de résumer ici l'intervention de Latifa Ibn Ziaten : intervention au sens le plus aigu du terme, comme : activisme de la parole au service de la paix, une intervention parfaitement maîtrisée, une heure de récit-manifeste, de témoignage et d'engagement, sans que la voix de Latifa Ibn Ziaten, fragile et ténue parfois au point de rupture, ne perde de sa force. Une heure de réponses directes et carrées aux questions de la salle.

Que dit, en substance, Latifa Ibn Ziaten ?

Pour que des enfants, des jeunes - en un mot, des adultes en cours de construction - n'entreprennent pas le terrible voyage (2) vers ce qu'on leur dit être "le djihad" (il n'est pas interdit de s'informer sur le dévoiement de ce mot, de ce concept) il faut :

- un, que leurs parents les éduquent,

- deux, que l'école les accompagne, les forme, leur donne en toute équité la connaissance et les moyens de la réussite (3),

- trois : pour qu'en dehors de l'école ils ne soient pas livrés à une propagande aux relents sectaires, destinée à marquer leurs esprits fragiles et à les embarquer vers les extrêmes, mais trouvent nourriture pour leurs corps et leurs esprits, il est nécessaire qu'un travail de terrain au tissu serré : sport, culture, loisirs, éducation populaire, appelons cela comme on veut - leur offre un large espace de développement personnel.

Le corollaire qui vient à l'esprit de quiconque a travaillé dans les domaines de l'éducation ou du travail social de terrain, c'est l'accompagnement des parents qui ne parviennent pas à être ces premiers éducateurs de leurs enfants. C'est aussi ce que répète avec force Madame Ibn Ziaten : aidez les parents, ne leur tournez pas le dos. Aidez-les parents !

A propos : une UPP (Université Populaire des Parents) d'une commune du Grand Lyon avait choisi, comme thème de recherche-action : "parents démissionnaires, parents démissionnés". Une autre, constituée de parents d'enfants faisant l'objet d'une mesure de placement - parents les mieux placés, précisément, pour occuper le ban de la société - a eu pour projet que ces parents puissent faire partager leur "expertise" en la matière. Gonflé ? Non, réaliste.

Ne pas "donner la parole" comme faire la charité mais leur offrir les moyens de s'en emparer, qu'ils témoignent, partagent, deviennent acteurs et non "public-cible" ou sujets "d'aide à la parentalité" (quelle grossièreté sous l'apparente bien-pensance !), voici brièvement tracé l'objectif que s'étaient fixé les UPP. Que sont les UPP devenues ? Où en est ce grand mouvement citoyen dont le site semble n'avoir pas évolué depuis 2010 ? Il y aurait matière ici à rapprochement pourtant !

Quoi qu'il en soit, et la presse s'en est largement fait l'écho, Latifa Ibn Ziaten poursuit sa marche à travers le pays pour apporter sa pierre à ce combat. Qu'elle soit accueillie, entendue, que son travail soit relayé (4). Pour la Jeunesse. Et pour la Paix.

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1) IREIS : Institut Régional & Européen des métiers de l'Intervention Sociale Rhône-Alpes

(2) A propos de dérive sectaire, quand rapprochera-t-on le combat contre ce que l'on appellera, faute de mieux, "le départ au djihad", de celui qu'on ne mène pas tellement, contre l'embrigadement dans les groupuscules néo-nazis d'autres jeunes (les mêmes parfois, n'étant pas à une contradiction près) ?

3) Il faudrait revenir aux textes fondamentaux du droit français pour répéter, répéter encore, dans l'interminable procès qu'on fait à l'Ecole, que celle-ci, de même qu'un médecin avec son malade, qu'un avocat avec son client, est tenue à une obligation de moyens, et non de résultat, comme c'est le cas pour les fournisseurs d'une chose physique tels qu'un garagiste, un maçon, un commerçant qui vous vend un lave-linge, etc. Ces professionnels sont en effet aux prises avec la matière. Ils peuvent donc lui assigner, de manière à peu près définitive ou en tout cas durable, une forme, un comportement, exactement adéquats à ce qu'en attend leur propriétaire, et ont les moyens matériels de le faire dans un délai supportable pour le client.

Autant que votre voiture ne roule pas de manière satisfaisante, aussi longtemps que votre maison n'est pas solide, conforme à votre commande et aux règles de l'art ou la machine attendue, livrée, vous pouvez exiger du professionnel qu'il continue ses efforts pour remplir cette obligation de résultat (en théorie ! Dans la pratique, quiconque a essayé de dialoguer avec un garagiste a touché du doigt les limites de l'application de la loi).

L'obligation de moyens, en revanche, attachée à quiconque fait profession de traiter l'humain, voire le vivant au sens le plus large, est plus subtile dans sa définition et dans son appréciation : le médecin a-t-il déployé cent pour cent des efforts attendus pour guérir son patient ? C'est dans cette nébuleuse quasi-philosophique que s'engouffre la vague de judiciarisation venue d'Outre-Atlantique. Donnez à un homme de loi un concept aux contours légèrement indéfinis, aux limites fluctuantes, il en fait la plaidoirie de sa carrière et le chiffre d'affaires de son cabinet.

L'Ecole a-t-elle mis cent pour cent de ses moyens au service de chacun des élèves qui lui sont présentés, et ce depuis leur entrée en maternelle à l'âge de deux ans si l'on veut, jusqu'à leur sortie du "système", hypothétiquement située entre seize et vingt ans si l'on veut ?

Situer cet "espace de durée" - près d'un quart de la vie du citoyen, le quart le plus sensible ! - c'est déjà tenter d'embrasser l'ampleur ou l'impossibilité de la mission éducative et toucher du doigt l'herculéenne tâche, pour l'Ecole, si forte, si excellente soit-elle, d'y suffire sans que de solides relais ne l'accompagnent - et plus la société se complexifie, plus il faudra que ces relais soient adéquats, nombreux, cohérents, efficaces.

Rappeler aussi que l'Ecole accueille de petits citoyens dont la première éducation se fait par le milieu familial, lui-même durement impacté par la question sociale et ses déterminismes (oui oui, je sais, approche marxiste. Mais pas que).

Maintenant, si vous me demandez si cent pour cent des moyens, etc. je vous répondrai que l'Ecole, comme toute organisation gigantesque, engendre sa propre confusion de par ses chiffres même et que, plus énorme est l'organisation en question, plus lourd est le risque de déperdition, d'échec de son action.

D'autant plus que l'Ecole n'a jamais, au fond, accepté de se réformer (ce qu'on a appelé "réformes" dans les ministères successifs n'est tout au plus qu'une succession de ces "trains de mesures" dont on ne sait jamais s'ils arrivent à une gare quelconque mais ont l'avantage, pour le ministre qui les promeut, d'y attacher son nom). Pour cela, il faudrait que l'entreprennent les premiers de ses acteurs : les enseignants, qui ne sont pas prêts, pas prêts du tout. Le seront-ils jamais ? L'Ecole formant ses propres formateurs, on peut hélas douter que cette culture, repliée sur elle-même et s'auto-alimentant, le permette. (En relisant ces lignes la Taulière aimerait reprendre, nuancer, promouvoir l'exception en parlant de tou-te-s les enseignant-e-s extraordinaires qu'elle a rencontré-e-s et avec qui elle a travaillé, mais il y faudrait des pages. C'est ici manière de repentir mais pas au point de biffer le paragraphe entier : les justes se reconnaîtront).

En parler davantage désespère davantage, il faut donc admettre que cette imparfaite institution satisfait à son obligation de moyens dans une proportion qu'on ne se risquera pas à chiffrer ici. Revenons donc aux "moyens" de l'Ecole. En chiffres par exemple.

Pour environ douze millions de scolaires dans le primaire et le secondaire, dont 84 % dans l'enseignement public :

- un gros million de personnels, dont environ 850 000 enseignants (les autres sont les personnels d'éducation, d'encadrement, de soin, d'économat...), million géré par quelques 24000 personnels d'administration centrale ;

- dans les arcanes techniques de l'administration centrale en question, celle qui possède la calculette, on évalue l'effort produit par les personnels en direction des élèves, en "H/E" (heure-élève). Cette évaluation comptable et restrictive peut choquer, il en faut bien une.

- la Dépense Intérieure d'Education (ensemble du territoire français, métropole et Outre-Mer) se monterait à 145 milliards d'euros, soit 6% et quelques du PIB contre 7,6 % en 1995, cherchez déjà l'erreur.

... Bizarre impossibilité de trouver en ligne une représentation claire de ce que représente la part de l'Education dans le budget actuel de l'Etat. On peut voir par exemple un graphique où la "mission" éducative représente un peu moins de 23 % , qu'on peut comparer à la part réservée au "travail et emploi" : 2,6 %. Ou 3,4 % à la "solidarité et insertion" (cherchez l'autre erreur) ou la Culture 0,7 % (pfff...) ou à la Défense (10 %), à la fameuse "Dette" : 11,4 % ou encore... aux "autres missions", non précisées : 43 % du budget national. Ce "fourre-tout" est en soi éclairant. Qu'on ne puisse nous indiquer où passe près de la moitié de notre fric, c'est tout de même pas rien...

Qu'est-ce que cette indigeste note de bas de page, un article à elle seule, aurait donc à voir avec le combat de Madame Ibn Ziaten ? Je vous laisse le soin d'en tirer vos conclusions.

4) Relayé voire précédé, ou concomitant, celui de Dounia Bouzar qu'on a pu voir et entendre dans un récent "Envoyé Spécial" sauf erreur (la Taulière n'a pas la télé et n'a pu retrouver trace de l'émission sur France 2).