... ou plutôt avec un respectueux clin d'oeil à Jean Rolin, dont je viens de lire La Clôture et Terminal Frigo, tous deux chez P.O.L. respectivement en 2002 et 2005.

Lecture urgente, si l'on ne s'est pas encore saisi-e de ces deux bouquins puisant au même projet littéraire passionnant, intrigant et totalement novateur, qui consiste à épuiser un lieu par sa description minutieuse et le rattachement à son histoire, par des liens très fins, d'autres histoires : vagabondage au long du périph' parisien et de la rue de la Clôture pour l'un, et même jusqu'à l'intérieur de ses piliers ! Tour épique des grands sites portuaires, pour l'autre, dont le magistral St-Nazaire

Ecriture impeccable, rythme, maîtrise du sujet, tempo romanesque, vision sociale à large impact, rencontres humaines grandioses, topographie poétique, inventaire impitoyable mais empreint d'une empathie communicative... Je ne vous en dis pas plus : Rolin est un maître, à découvrir sans faute.

* * *

Aperçu d'une gare et de ses environs

Lorsque je suis sortie du train à Châteaucreux cet après-midi, en me retournant j'ai constaté que l'horloge au fronton de la gare avait été remise à l'heure après des mois pendant lesquels elle a marqué "4 heures 5" à tout moment du jour et de la nuit.

J'ai traversé les deux voies du tram, quasi indécelables tellement elles sont intégrées au pavage de l'Esplanade de France, et surtout dépourvues de toute signalisation sur une portion d'environ cinquante mètres. Ce matin, en les franchissant dans l'autre sens, j'ai été témoin de la scène habituelle : un tram arrive, silencieux et rapide, et manque faucher un groupe de voyageurs (non indigènes), qui s'égaillent avec leurs bagages comme des poules sur une route vicinale, hypnotisés par le TGV déjà visible à quai, inconscients du danger auquel ils viennent d'échapper.

Le tram est d'autant plus surprenant qu'il s'élance, sans que le conducteur agite la moindre cloche, d'un bâtiment signalé comme parking et qui en présente toutes les caractéristiques. Celui-ci revêt en effet l'aspect classique d'une petite tour ronde et trapue de trois étages où les voitures se déplacent sur un accès "en escargot". L'espèce de ruse consistant à faire déboucher un tram, comme d'une pochette surprise, d'un endroit d'où l'on s'attend à voir surgir des voitures (ce qui ne se produit pas, puisque la sortie voitures se fait du côté opposé à la gare), devrait avoir causé de nombreux accidents. Si ce n'est le cas, c'est que le dispositif, malgré son apparente dangerosité, a fait ses preuves. Ou que le facteur chance a joué à plein, jusqu'à maintenant.

En traversant, j'ai donc jeté un coup d'oeil aux voies du tram des deux côtés et, par conséquent, à ma gauche, aux chevaux bleus d'Assan Smati, qui arrivent au pas, frontalement, de l'autre extrémité de l'esplanade, après avoir longé l'épouvantable siège du Groupe Casino, natif du coin. En réalité les chevaux bleus, suspendus à trois mètres du sol, ne bougent pas. Mais leur mouvement est si dynamique, tellement inscrit dans leur forme sculptée de résine bleu dur, qu'on ne serait pas autrement étonné de les voir avancer, têtus, charriant du fond de l'horizon l'immeuble Casino, celui de la STAS, office des transports, la gare et tout le cirque.

J'ai ensuite remonté l'avenue Denfert-Rochereau, laquelle monte en effet depuis la gare pour rejoindre la place Fourneyron avec son étrange et désolant monument aux morts stalinien.

L'avenue Denfert-Rochereau se signale comme une "avenue de la gare" par la présence, sur son côté droit montant, des habituels établissements riverains du chemin de fer : Brasserie Kanter, Hôtel Ibis, Les Trois B (?). Un grand bar-restaurant porte l'enseigne, quasi sacrée ici, des "Poteaux Carrés". Il s'agit d'une allusion aux cages du stade de Hampden Park à Glasgow, lieu de la défaite ulcérante des Verts en coupe d'Europe des clubs champions par le Bayern Münich en 76. Sur la pelouse où couraient les légendes : Bathenay, Santini, Curkovic, Larqué, Révelli, Rocheteau l'Ange Vert et autres Beckenbauer et Rumenigge côté allemand, le match aurait été différent (dixit les Stéphanois), si les poteaux avaient été ronds et pas carrés, renvoyant, diaboliques, plusieurs frappes stéphanoises espérées définitives.

Les poteaux carrés de Glasgow viennent d'être acquis pour 20 000 euros par le Musée des Verts, lequel en revanche ne semble pas intéressé par les oeuvres de Pierre Zellmeyer, fantasque enfant du pays, peintre illustrateur au talent protéiforme et totalement méconnu, qui a pourtant abondamment dessiné pour le club de foot de sa ville natale. Pour faire la connaissance de Zellmeyer ce beau film. On a parfois baissé le son pendant les chansons, insupportablement mal chantées.

Pour ne laisser aucun doute sur la foi et la passion de son propriétaire, le bar "Aux Poteaux Carrés" porte en façade, au-dessus de la terrasse couverte, une longue et large banderole proclamant en grosses lettres blanches : "ici c'est les Verts", sur fond de cette couleur fortement emblématique de la ville, un vert cru, franc, qu'on ne voit qu'ici !

Le côté gauche de l'avenue Denfert-Rochereau, face aux brasseries, est occupé sur un tiers environ par un tènement destiné sans doute à une future implantation d'immeubles commerciaux. Mais depuis deux ans, le remblai, récemment aplani, est en chargement, ce qui est une durée raisonnable pour une telle opération, surtout sur un sous-sol houiller troué comme un gruyère. A moins que, la crise aidant, le projet immobilier ait du plomb dans l'aile, ce qui serait une bonne nouvelle pour la perspective et la vue environnante. Sur l'emplacement de ce tènement se trouvait au siècle dernier le puits Neyron.

Si l'on monte en ville par ce côté du trottoir, on longe donc d'abord un grillage. Ensuite arrive une portion garnie d'immeubles, aux rez-de-chaussées occupés, en guise de commerces, par deux sex-shops : Sexy Love et, quelques numéros plus loin, Vidéo Zapping (s'autoproclamant, avec une certaine enflure, "multiplexe"). De l'autre côté de l'avenue, formant avec elles un triangle (amoureux ?), on trouve la boutique Paul, qui n'est pas une des succursales de la boulangerie industrielle du même nom, mais un magasin très professionnel de matériel et vêtements de protection, dont l'enseigne explicite son activité avec ce slogan, un peu équivoque dans le contexte : "la maison du caoutchouc". Le voisinage de cette information avec les sex-shops amène habituellement un sourire aux lèvres des voyageurs qui descendent l'avenue en direction de la gare.

Après la succession des hôtels, restaurants, kebab, bar-tabacs et pizzerias, on trouve sur ce côté de l'avenue quelques petits immeubles anciens d'habitation, un ex-établissement industriel reconverti en lofts, mitoyen du "Trois B" et dont on a conservé l'entrée avec sa conciergerie, ou poste de garde, qu'on pourrait attribuer sans grand risque de se tromper, n'était la modestie du bâti, à Joanny Morin.

On aborde enfin à la place Fourneyron d'où je venais ce matin, ce qui m'a permis de repérer, à la descente, une inscription mauve soutenu sur un mur pignon : "Sainté vieux mort". Prophétique affirmation que je n'ai pas su retrouver ce soir... Mais je n'ai pas cherché avec ténacité, occupée que j'étais à supputer les chances que rouvre le grand snack-bar "Le Corner", à la terrasse duquel je n'ai pas vu, l'été dernier, plus d'un consommateur très occasionnel, qui a fermé cet automne bien qu'il occupe un emplacement de choix, au sortir de la place, à deux pas du grand Lycée Fauriel et sur un axe en cours de réhabilitation.

Ici s'arrête la prospection de cette partie du quartier, plutôt dépourvu d'intérêt dans son ensemble mais qui, pour peu qu'on essaie de s'inspirer de la "méthode Rolin" - ou plutôt de sa démarche d'infatigable promeneur des confins de ville, se révèle à coup sûr riche d'histoire(s).

Avant de quitter le quartier, il me faut évoquer un coup de coeur très mélancolique : celui qui me saisit chaque fois que mes pas me mènent à droite en sortant de la gare, au lieu de monter Denfert-Rochereau, et que je me dirige vers le fameux parking-à-trams.

C'est là qu'en face, au pied de la colline du Crêt-de-Roc, au 19 rue Cugnot c'est-à-dire à l'endroit où celle-ci vient mourir dans la rue Ferdinand, juste avant le pont du chemin de fer (qui n'est jamais un voisinage de bon augure pour le commerce), une enseigne défunte me serre le coeur tant elle résume l'abandon de cette ville par ses forces vives.

Il s'agit d'abord, dans une perspective globale, d'un ancien hôtel gris de mur, à dix fenêtres aux persiennes rouillées, encore "dans son jus" comme disent les antiquaires. Le bâtiment est surmonté d'une horloge encastrée sous une voûte courbe et qui doit, elle aussi, marquer 4 heures 5 depuis plusieurs décennies. L'hôtel porte fièrement à son fronton, pourtant cocu de l'histoire industrielle stéphanoise, le nom de "Café et Hôtel de la Gare de Châteaucreux", ce qui sonne un peu comme un patronyme de grand d'Espagne à plusieurs "y", du moins avec la même fierté.

Au rez-de-chaussée de cet établissement depuis longtemps éteint, un minuscule café lui aussi fermé, mais bien postérieurement au premier, la façade claire couverte de plusieurs épaisseurs d'affiches de spectacles, porte sur son store en paupière l'inscription "Le Châteaucreux", avec autant de panache qu'un café parisien de trente mètres de terrasse, situé en face d'une gare de la capitale, qui s'appellerait "Café de Lyon", "Le Saint-Lazare" ou "Brasserie de l'Est" (et qui peut-être existent). La peinture claire, qui marque le territoire du sursaut rénovateur, s'étend à droite du café jusqu'à une porte surmontée de l'obsolète indication "Entrée de l'hôtel".

Le comble de la tristesse est atteint à la lecture d'une phrase joliment calligraphiée en rouge par un peintre d'enseignes, qui semble y avoir mis tout son coeur, sur le fond ivoire de la devanture du Châteaucreux : "De la gare ça sentait le chocolat". Il y a eu d'autres inscriptions à visée historiographique, mais on ne les déchiffre pas aisément, du moins je ne m'y suis pas arrêtée assez longtemps.

Ce pauvre libellé raconte cruellement une histoire d'espérances avortées ; celle de gens sans doute jeunes, qui ont voulu redonner une vie commerciale à un ancien café et s'y sont cassé les dents par inexpérience (il fallait être fou pour ouvrir à deux pas du viaduc), ou ont été victimes de la déconfiture générale. Cette tentative publicitaire évoque sans le moindre doute la décennie 80 à 90, un air du temps où l'on donnait aux films des titres longs : "Il ne faut pas prendre les enfants du Bon Dieu pour des canards sauvages" ou "La vie est un long fleuve tranquille"... Les tailles et retailles de la voirie à cet endroit, la création d'aménagements utilitaires comme la dépose minute et le parking, ont achevé de désoler ce bout de quartier.

Le petit café qui voulait faire sentir le chocolat, rejeté aux confins par l'élargissement des rues, est mort.

Saint-Etienne est pleine de ces signes indéchiffrables à qui n'a pas pénétré, tant soit peu, l'histoire de la ville. Le chocolat en question est peut-être celui, célèbre, de Weiss... Ou de Barralon à La Giletière, ou encore du Val Janon, de Mon Plaisir de St-Priest-en-Jarez, commune limitrophe... Il en existait plusieurs dans le coin, odorante industrie glissée entre la mine, la passementerie, les fusils et les fabriques de carton. Weiss est le plus visible. Il possède une orgueilleuse boutique dans la Grand Rue. Quelques tablettes acquises chez eux ont révélé un produit farineux et sans caractère. Il ne m'a pas conquise. Je n'ai pas (encore) goûté aux autres.

Mais il fallait que le petit café "Le Châteaucreux" et son parfum de chocolat chaud trouvent une place dans un récit, quelque part, fût-ce dans un endroit aussi oublié qu'eux-mêmes... Je les sens moins seuls.

* * *

Voyager

Pour en revenir à Châteaucreux-gare (une des cinq de la ville et la principale) ou plutôt pour y arriver tout à l'heure, il avait d'abord fallu quitter Lyon par le train régional (TER), ce qui peut s'apparenter, en particulier si vous partez de la Part-Dieu un vendredi aux heures de pointe, à un trajet excessivement éprouvant dans un métro bondé, avec la certitude de voyager au mieux sur un strapontin près de la porte, au pire sur les marches de l'escalier qui conduit à la partie haute du wagon.

Le pire du pire est atteint lorsque nulle place n'est disponible dans ces deux lieux de dernier recours. On est bon, dans ce cas, pour 45 minutes debout, ce qui demeure assez périlleux dans ce train dont la pendularité déjà conséquente s'augmente, entre Givors et Rive-de-Gier, d'un mouvement de cavalcade désordonnée provenant non d'un quelconque emballement des machines, mais de l'état désastreux des voies, toujours en mauvais état malgré les réclamations des usagers via leur association, l'ADULST, et toujours en travaux comme si, de Lyon à Saint-Etienne, un Sisyphe malheureux rejointait les traverses et rechargeait le ballast chaque matin pour les voir dévastés chaque soir par les trains se succédant toutes les quinze minutes sur cet axe surexploité.

Dans le wagon rêvent, téléphonent ou bavardent les habitués qui ont pu atteindre un siège dès le placement du train à quai. Il est plutôt courant qu'on nous informe qu' "en raison d'une difficulté dans la mise en place, ce train est retardé, etc", l'annonce se soldant par une attente excédentaire de cinq à quinze minutes. Les voyageurs assis sont, par l'effet d'une espèce de sélection darwinienne, ceux qui ont été assez véloces ou costauds pour se jeter dans la mêlée lorsque le train est enfin arrivé, et assez gonflés pour se faufiler ou bousculer les autres. Autrement dit, s'il fallait catégoriser : sont assis les mâles âgés de dix-huit à trente ans, puis les femelles de la même tranche d'âge. Plus le voyageur est âgé (ou empêché par d'énormes bagages, ou nanti d'une poussette avec bébé), plus il-elle a de chances de voyager sur l'escalier.

Une acceptation tacite des usagers de la ligne veut que chaque passager occupe deux sièges : le sien, et le siège voisin pour y pose ses impedimenta. La minceur de l'espace autrefois dénommé "filet", l'exiguïté des places et l'extrême étroitesse de l'endroit où on loge ses genoux, rendent impossible de faire autrement. Un voyageur = deux sièges, telle est la loi du TER.

Il existe aussi une hiérarchie des trois strapontins de l'entrée : celui qui est placé à contrevoie est le plus peinard, il ne sera pas dérangé pendant le voyage. Celui qui est en face, s'il est arrivé après, est gêné aux genoux par ceux du premier. Quant à l'occupant assis de l'autre côté du couloir, sur le strap du côté gauche de la voie, il sera contraint de se lever à chaque arrêt, son siège se rabattant, lui-même contraint d'adopter un profil de limande pour permettre l'échange entre descendants et montants.

Si en revanche on a pu prendre le train à la gare de Perrache et à condition d'avoir découvert la voie J, non fléchée en gare, excentrée de celle-ci d'au moins deux cents mètres, et atteinte au terme d'un périple sur une passerelle couverte longeant d'abord les voies "historiques" et surplombant la rue Dugas-Montbel (1776-1834) puis s'en écartant franchement pour s'orienter nord/sud, voie qui s'apparente au quai 9 trois quarts du départ pour Poudlard, si donc on est arrivé à bon quai, le voyage se déroulera dans l'ambiance cosy et feutrée d'un salon privé, impression augmentée par la présence de banquettes semi-circulaires, de nombreux sièges "solo" et par la relative vacuité de la rame qui fait d'ailleurs craindre, à brève échéance, la suppression de ces trains partant pour le moment à peu près toutes les heures.

La ligne Lyon - Sainté (la première ligne voyageurs de France, à quelques tranches près terminées un peu plus tôt, ouverte en 1832) fut d'abord hippo-tractée. Elle dessert aujourd'hui, si l'on part de la Part-Dieu, trois gares sans grâce (si tant est qu'une gare puisse présenter de l'attrait) : Givors-ville, Rive-de-Gier, Saint-Chamond, pour arriver enfin à Saint-Etienne Châteaucreux qui est, faut-il le répéter, une très jolie gare (architecture 19e, brique et pierre), très joliment restaurée et à l'intérieur extrêmement convivial. Avant d'en arriver là, le passage par la vallée du Gier montre une industrie en ruine. Les hangars d'Arcelor Mittal sont particulièrement fantômatiques et tout au long de cette portion du trajet, l'emprise SNCF laisse voir sans vergogne des voies de garage jamais nettoyées, encombrées de déchets aux empilements désordonnés, câbles fourbus, vieilles bennes oubliées. Tout cela à mettre au crédit de Réseau Ferré de France, soit dit en passant. De l'autre côté des grillages, l'arrière des usines n'est guère mieux loti, question esthétique : tout y est rouillé, finissant, crevé.

Si l'on additionne, comme deux et deux font quatre : la fréquence des trains Lyon/St-Etienne, leur surcharge pondérale du matin et du soir, la traversée de ce vieux pays minier déserté ; le fait que ces trains partent, aussi bien de la Part-Dieu que de Perrache, sur des voies ultimes, quasi reléguées (J ou K), on comprend vite le drame de Saint-Etienne, réduite au rôle de ville-dortoir réservoir de salariés du tertiaires et autres employés de commerce qui vont louer leur force de travail à la capitale régionale, laquelle agit comme une boule d'antimatière, absorbant les forces vives des villes de moindre importance situées en étoile autour d'elle, jusqu'à soixante kilomètres à la ronde.

On sait d'ailleurs que le maire de Lyon nourrit à ce propos de très ambitieux projets, ne craignant pas de se rêver comme un nouvel empereur métropolitain, à la tête d'une mégalopole dont les tentacules emprisonneraient la couronne des villes "satellites" telles que Bourg-en-Bresse, Bourgoin-Jallieu... Saint-Etienne fait partie de ces captives potentielles, ce qui nourrit entre les deux cités un antagonisme très vivace, dont les habitants sont bien en peine de donner l'origine mais qui semble pourtant fondé sur une rivalité footballistique ne remontant, finalement, qu'aux années soixante-dix et à la fulgurante aventure des Verts (les footeux, pas le parti).

En partant de Perrache au contraire, le train musarde d'abord dans cinq ou six petites stations : Oullins, toute nouvelle gare répondant au vocable post-moderne de "pôle multi-modal", à l'architecture triste, cubique, grise et prévue pour un contrôle social maximal. Puis Pierre-Bénite, en plein site Seveso II, qui traverse les usines Rhône-Poulenc et la raffinerie de Feyzin. Cette gare se signale, en arrivant du Sud, par une obsédante odeur jaune et piquante de médicament mâtinée d'hydrogène sulfuré. Lorqu'on l'aborde par Lyon, cette odeur n'est perceptible que par grand vent du Sud.

Le train passe ensuite par Vernaison, Grigny Sablons. Avant d'arriver à la triste Givors-Canal, ces dernières petites gares, sous une verdure foisonnante et une abondance de glycines en été, sont posées au bord du Rhône et ont des allures de guinguettes. Elles sont les seuls endroits vraiment avenants de la ligne, qui par ailleurs comporte de belles portions campagnardes entre Rive-de-Gier et Saint-Chamond.

Avec ce train de Perrache, on peut aussi, si l'on veut, ne pas s'arrêter à Châteaucreux et poursuivre en direction de Firminy, son terminus. On découvrira en passant les autres gares stéphanoises : Carnot, dont la laideur contribue à celle de la place du même nom, construction hasardeuse typique des années soixante-dix de couleur moutarde, suspendue sur un viaduc de pierre, portant la pollution des trains jusque dans le nez des riverains, une horreur. On passe ensuite au Clapier, gare du puits Couriot, un joli bâtiment qui semble aujourd'hui quasi désaffecté. Le train grimpe ensuite à Bellevue : on est aux limites sud de la ville, et en hauteur. A suivre la Ricamarie, Le Chambon-Feugerolles et enfin Firminy. La proximité de toutes ces stations qui se touchent égrène elle aussi l'histoire minière et industrielle de cette agglomération qui hésite aujourd'hui entre sinistrose définitive ou renaissance, mais on ne voit pas, là tout de suite, à quels signes.

Une chose est sûre : une seule gare suffirait. Dès lors, pour garantir l'unité de la ville et la relier efficacement, un maire qui porterait une vision un peu ambitieuse s'occuperait de compléter les liaisons rapides (trams par exemple, le ventre du parking pouvant en lâcher encore quelques-uns) entre ces anciennes gares, qui tout de même, desservaient les principaux quartiers de Sainté, ville martyrisée mais encore, grâce à l'acharnement de ses habitants, très avenante et, j'ai envie de l'écrire pour me réconforter, porteuse d'espoir.