Vous savez, c'est ce qui se passe quand on a fait un bout de chemin ensemble, et soudain, on s'aperçoit que nos routes se séparent...

Le chapitre consacré aux conflits de classes se termine ainsi :

"Pour finir sur une image facile : on peut estimer que les porte-conteneurs transportent également les luttes et les révoltes des prolos du monde entier".

Jusque là, difficile de n'être pas d'accord.

Mais cette phrase renvoie à une note en bas de page qui commence par rappeler :

"(...) qu'il n'y a pas de production sans exploitation. Sur mer comme sur terre. La fragmentation du prolétariat ne masque plus cette évidence. Pas question ici de brandir les sirènes de "l'unité" ou de "la convergence des luttes", qui ne servent qu'à étouffer toute révolte en promettant une révolution pour après-demain. La nécessité, que ce soit pour un moment de révolution ou simplement pour notre propre survie, n'est pas dans la conscience de classe, finalement elle est déjà là, palpable, ni dans l'élaboration de discours qui toucheraient juste, ou de réseaux qui prépareraient déjà l'après. Mais dans l'anéantissement du rapport social capitaliste, c'est-à-dire dans l'incapacité, forcée, de ce rapport à se reproduire. Qu'il ne puisse plus y avoir de marché, de temps, de travail. Ce que d'autres ont pu appeler le mouvement communiste.
(les italiques sont des auteurs).

C'est là qu'on se dit : bon les filles-les gars, contente de vous avoir connus, mais moi je vais par là alors salut ! On se re-croisera peut-être, on aura l'occasion - du moins je le souhaite - d'échanger là-dessus, mais sur ce terrain-là, je ne peux pas vous suivre. Du moins, il existe des points d'achoppement rédhibitoires. Alors bonne route !

Bien sûr on nage dans la métaphore. En réalité, je ne lâche pas le bouquin et je vais bel et bien le finir. Mais dans l'idée, justement, la Taulière ne voit pas les choses comme ça. Elle pense plutôt que "l'anéantissement du rapport social capitaliste" passe par "courage fuyons", du moins : tournons le dos et allons voir ailleurs si on y est. Qu'imaginer empêcher le mouvement capitaliste de se reproduire via la réalisation, si j'ai bien compris, immédiate et en bloc, de son anéantissement, eh ben : bon courage !

Quant au "mouvement communiste", s'il n'avait pas été honteusement et constamment dévoyé par tout ce que la planète compte de théoriciens, de militaires, d'agents du pouvoir, de gens au service de tous ceux-là, ça se saurait. Et depuis le début, hein. Citez-moi un "mouvement communiste" qui, une fois mis en oeuvre, une fois la "dictature du prolétariat" installée, n'ait pas abouti à une structure super-étatique pourrie jusqu'à la moëlle.

Désolée, mais la maison ne fait plus crédit. Y a d'ailleurs un type qui a écrit là-dessus ; il parlait de dialectique.

Dans le "jardin planétaire" selon Gilles Clément, l'homme est LE super-prédateur incapable de se mettre au même niveau que les autres espèces (animales, végétales). Tant qu'il prétendra occuper cette place prépondérante plutôt que de se considérer comme "un parmi les autres", il n'y aura pas d'écologie qui tienne, mais se reproduiront ad nauseam : prédation, exploitation, marchandisation. Je résume vite fait. Ce que dit Clément (il y en a déjà eu des échos ici), c'est que dans ce cas, la fin du règne humain va se produire à brève échéance, lui-même précipitant sa fin. Et qui le regrettera ? Le vent solaire sur la terre arasée...

Donc, si l'homme - et en tant que femme je me permets d'ajouter : l'homme-le vrai, continue de faire tourner le "logiciel", pour parler comme les politiques, qui lui sert de cerveau, tant qu'il n'aura pas fait la paix avec sa testostérone, l'homme (boulot éducatif à très, très long terme...), eh bien il y aura toujours un mecton plus malin que les autres chez les primates qui essaiera d'obtenir ce que les autres ont, et qu'il n'a pas. Et qui s'arrangera pour s'en emparer par : la force, la ruse, l'association bien comprise (99,9/0,1), l'asservissement de l'autre partie de l'humanité qui n'est pas lui.

Alors vous voyez, "l'anéantissement du rapport social capitaliste", selon moi c'est pas pour après-demain, c'est pour jamais. Autrement dit, si les gens qui réfléchissent à ces questions ne changent pas d'angle de vue (le bon vieux réflexe macho qui induit un vocabulaire extrêmement beaucoup masculin : luttes, conflits, classes, anéantissement, etc. Bref : prenons nos massues à clous les gars, et pas de quartier !), s'ils demeurent incapables d'abandonner carrément la vieille matrice, d'en faire leur deuil, aussi longtemps qu'ils ne voudront pas sortir du rapport de force, pour parler clair, on n'est pas sortiEs de l'auberge.

Par ailleurs - et là, je pense qu'on est bien d'accord avec les auteur-e-s - aller "éduquer" (informer mais en tentant de convaincre) les masses laborieuses des autres continents, les "syndiquer" pour ensuite les laisser se démerder avec les flics locaux (cf billet 201 du 13/12/14), c'est une autre forme de colonialisme, pensons-nous. Comme celles qui veulent enlever à toutes forces la burqa de leurs "soeurs" musulmanes. Faire le bien des autres du malgré eux.

Et donc, sur le temps que mettra l'humanité qui vit encore dans ce rapport social capitaliste - voire, qui le souhaite ardemment, ce rapport, histoire de pouvoir goûter un peu de ce sur quoi nous sommes assis pour penser autrement, nouzaut' ici (luttes comprises), eh bien nous ne parierions pas un kopeck.

Enfin, la Taulière pense fortement et depuis longtemps, pour fréquenter un peu (à la frange) les milieux anars, libertaires, féministes, etc. que justement, les "réseaux qui préparent déjà l'après" sont en plein boulot. Et qu'ils sont le LA-BO-RA-TOI-RE de demain.

Maintenant, savoir ce que ces gens, qui ont entre 15 et 40 ans, plus un certain nombre de has been dans mon genre qui ont tenté de survivre à la Gross Normalisazion lobotomisante post-68 (*), préparent comme planète pour nos petits-enfants, ben franchement dans le détail j'en sais rien mais je sais qu'ellils y travaillent et je sais que ça commence à ressembler à quelque chose.

Or, pendant que "ces réseaux préparent l'après" - ou, pour le dire autrement, pendant que des initiatives locales innombrables, qui sont d'ailleurs plutôt internationales et qui, pour sortir précisément du rapport social capitaliste, s'organisent, se structurent, se relient (réseau aussi planétaire que le jardin de Clément) etc. Eh bien, pendant ce temps-là, ceux qui détiennent les clés du pouvoir, du fric, des ressources, de la connaissance, de l'information, etc. (et du transport maritime !!), ils s'organisent aussi. Pensez-vous sérieusement qu'ils vont se laisser "anéantir" ?

Et quel serait donc le prix à payer pour ça ? Juste pour savoir. En tant que femme.

Le premier qui me dit "ah oui, et qu'est-ce que tu proposes ?", je le prends au mot.

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(*) Nous voulons signifier par là une fois de plus, car c'est un peu le dada de la Taulière, le tsunami réactionnaire qui a recouvert, à peine les rues repavées, ce mouvement qu'on a réduit à une gesticulation d'étudiants petits-bourgeois parisiens et au sujet duquel un négationnisme opiniâtre continue d'oeuvrer pour en occulter les dimensions intellectuelles, artistiques (rien que dans le domaine musical ça devrait inspirer le respect), philosophiques, politiques, et ce, bien au-delà des frontières du Boul'Mich.