Dans un encart intitulé « Grèce générale », les auteur-e-s de "Soudain, un inconnu vous offre un conteneur" s’intéressaient au devenir du port du Pirée.

Sans doute rédigée entre 2011 et 2012, cette double page nous apprend que fin 2008 le groupe chinois COSCO (China Ocean Shipping Company), cinquième transporteur mondial de conteneurs, s’était porté acquéreur pour plus de 3 milliards d’euros d’un « des deux terminaux du port du Pirée, principal port grec mais aussi de la Méditerranée occidentale et situé idéalement sur la route de la Mer noire, vers la Russie et l’Asie centrale. ».

Les ambitions chinoises sur Le Pirée sont alors clairement annoncées par les auteur-e-s : acquisition totale. La note « Grèce générale » ne fait pas que présenter les enjeux macro-économiques de cette question. Elle parle aussi des conditions de travail locales :

« Pour avoir une petite idée, rien de tel que de retourner sur les docks du Pirée passé sous gestion chinoise, où 750 personnes bossent, dont 8 Chinois (chiffres de 2011) : de rares témoignages de travailleurs licenciés et les incursions (encore plus rares) de l’inspection du travail rapportent des journées de huit heures sans aucune pause (pour uriner : dans la mer), des heures supplémentaires non payées, du travail non déclaré les jours de repos, un salaire horaire deux fois moins élevé que celui du docker voisin sur le quai grec (pourtant déjà bien diminué par les différentes mesures de rigueur depuis 2009), l’emploi massif d’intérimaires et de sans-papiers sans aucune formation (…) ».

Mais, soulignent les auteur-e-s, dans un contexte où le taux de chômage est de 25 %, il n’est pas étonnant que les candidats au sous-emploi affluent et qu’une partie de population approuve la privatisation.

La Taulière vous épargne la lecture, qu’elle vient de se fader, d’un article du « Monde Economie » de l'année dernière, en forme de panégyrique du terminal chinois du Pirée : bourdonnement de ruche, grues ultra modernes, activité portuaire florissante, etc. Le journaliste présente par opposition - et à charge - celui resté sous administration grecque : quais déserts, activité réduite aux bureaux, pas de bateaux… Ah ces Grecs, quelle bande de feignants (c’est pas écrit dans l’article mais c’est chuchoté de manière assourdissante).

Début 2015, SYRIZA arrive au pouvoir. Rappelons au passage que leur acronyme signifie « coalition de la gauche radicale ».

Le nouveau gouvernement grec, présenté en janvier dans la presse libérale comme une bande de bolcheviks le couteau entre les dents, commence par bloquer la procédure de privatisation de ce port ô combien stratégique. C’est l’époque ou Varoufakis se fait traiter de voyou qui ne respecte même pas le dress-code européen !

Eh bien, les pucelles effarouchées de Bruxelles peuvent rajuster leur modestie. Aujourd’hui, une information confirme la reprise de la procédure et même une cession de parts plus importantes, puisque le gouvernement grec restera certes actionnaire majoritaire mais à 51 % au lieu des 67 % proposés dans le projet des prédécesseurs (coalition droite-socialistes, en fait les bolcheviks c'étaient eux, on ne sait plus à qui se fier ma bonne dame). Varoufakis va pouvoir se payer une cravate et se pendre avec s’il a le moral en berne.

« L’Etat grec cédera sa participation majoritaire dans les semaines à venir, a déclaré, lors d’une visite de ministres grecs en Chine, le vice-premier ministre, Yannis Dragasakis, cité par l’agence de presse Chine nouvelle.

Il s’agit d’un revirement du gouvernement d’Alexis Tsipras. Car, à peine élu, celui-ci avait annoncé qu’il annulait une série de privatisations lancées par le précédent gouvernement, dont celle de ses deux plus grands ports, au Pirée et à Thessalonique. »

http://www.lemonde.fr/economie/article/2015/03/30/le-gouvernement-grec-devrait-finalement-privatiser-le-port-du-piree_4605454_3234.html#UWLcdL8JO5RzGv10.99

« Sur le dossier grec, signalons (pour une fois!) une très bonne nouvelle. Athènes a en effet débloqué la procédure de cession du port du Pirée, le plus grand port du pays, et demandé à trois candidats de présenter des offres contraignantes d'ici septembre pour le rachat d'une participation majoritaire dans son capital. Pour mémoire, le pays avait retenu l'an dernier le chinois Cosco Group et quatre autres candidats pour une participation de 67% mais la vente avait été suspendue par Alexis Tsipras à son arrivée au pouvoir cette année.

Quand on connaît cependant la détermination et la puissance des syndicats portuaires en Grèce, l’on doute de voir une issue proche. Mais c’est déjà un premier pas très positif. »

http://www.agefi.com/quotidien-agefi/une/detail/edition/online/article/aujourdhui-nous-surveillerons-avec-attention-levolution-du-dollar-face-a-leuro-et-certaines-statistiques-economiques-signalons-finalement-quaujourdhui-est-une-echeance-importante-398548.html

(Agefi.com est le site de l’Agence économique et Financière à Genève. Une officine bien utile, allez…)

Yanis, n’achète pas de cravate : barre-toi !

La Taulière, d’humeur joueuse, parie que dans l’année à venir, une fois que Tsipras et associés auront bien discuté le coup avec les syndicats de dockers, l’état grec va brader le reste. Faudra bien, parce qu’ils ont cruellement besoin de fric.

Au risque de lasser le lectorat de l’Appentis avec ce troisième billet maritime, la Taulière souhaite modestement contribuer à ce que nous réfléchissions sur la manière dont nous sommes concernés (et cernés de toute part), en fait, par les conteneurs traversant les océans pour être manutentionnés à quai, chez nous ou ailleurs.

Car ce qui mine le moral des sexagénaires et plus (qui ont connu autre chose et assisté, impuissants, au dézingue de cet « autre chose ») : c’est qu’un mouvement mondial, une lame de fond de recul des droits sociaux les plus élémentaires, ne cesse de produire ses effets, la plupart du temps à bas bruit, et qu’on y va, mais alors tout droit. Et en klaxonnant. Qu'aucun modèle ne vaut plus. Pas davantage en termes de gouvernance d'entreprise que de nations. Que le modèle étatique est failli, comme on parle des "états faillis" dans la littérature onusienne.

Là, on parlait des dockers grecs. Mais la brochure cite, dans un autre chapitre, le salaire de 2,88 euros de l’heure payé (en France !) aux soudeurs bulgares bossant pour un sous-traitant lituanien agissant lui-même pour le compte de STX-France (suivez bien), filiale de STX, patron sud-coréen de chantiers navals qui s’est offert les Chantiers de l’Atlantique à Saint-Nazaire, dernier site de construction navale civile en France, dans lequel l’état restait actionnaire à 33 %. En 2008 ! Faudrait actualiser, on est sans doute encore meilleurs aujourd’hui.

Ces grandes manœuvres, qui semblent toujours se dérouler dans un monde parallèle auquel nous n’aurions pas accès et surtout, sur lequel nous n’aurions pas de prise, affectent en réalité chacun de nous au plus près. Mais de quel anesthésique sommes-nous donc enfumés ?