Avant de laisser l'Appentis faire la sieste (volet mi-fermé, mi-ouvert, enfin j'sais pas encore), la Taulière signale aux amoureux de Proust un intelligent papier sur not'écrivain, sur le site de Radio Prague en français à la date du 11 juillet 2015.

Attention : si vous cliquez sur "Czesky" dans le bandeau de choix des langues, vous aurez autre chose, que la Taulière n'a pas totalement élucidé (peut-être un article sur un système électronique de radars routiers, on pardonnera mon inculture). Et si d'aventure vous visitez la page espagnole, il y sera question du "Vitkovo kvarteto", un ensemble "musical" non pas de quatre, comme semble l'indiquer son nom, mais bel et bien d'une demi-douzaine de hardeux un peu amortis dont les beuglantes, les bedaines pure Pilsner combinées avec un improbable look australien (quoique ceci doive signifier), nous ont laissée sans voix (mais eux en avaient, de la voix) et sans précipitation à attendre les premiers accords de quoi ? Guitare.

Pour en revenir à l'exclusivement francophone page sur Proust, on y voit une photo de la magnifique et inquiétante trombine du dernier biographe autorisé de Proust, Jean-Yves Tadié.

Aussitôt la Taulière, prise d'une de ses crises de curiosité proustolâtre, se tape une googlisation express du distingué professeur émérite à la Sorbonne (un de ses nombreux titres et occupations). Si Tadié n'était pas ce qu'il est, il ferait un acteur épatant pour le Juge Fulgence des romans de Vargas, sauf qu'il n'a pas l'air démoniaque mais seulement cultivé, d'une extrême lettritude qui donne envie de s'agenouiller devant lui et de se faire imposer les mains (après avoir lu toutefois quelques entretiens avec le Maître).

La Taulière s'était toujours promis, en matière de biographies de Proust, la lecture du définitif Tadié. Elle en est restée, pour le moment, à l'émouvante et ridicule hagiographie intitulée sobrement "Marcel Proust" (c'est tout ce qu'il y a de sobre dans l'ouvrage) et signée George Duncan Painter vers 1955, un travail de bénédictin aussi défricheur qu'inutile à force de paraphrase, avec généalogie et décryptage des lieux, personnages et parentèle de la Recherche si fouillés, qu'on en ressort pétri de déception comme si la Recherche n'était, au fonds, qu'un corpus préparatoire au Guide Michelin du Sud-Ouest de Paris.

Et puis, chez le timide et adorant George D., il y a nombre de choses obscures, comme par exemple la manie d'évoquer "les habitants de la Cité des Plaines" pour dire "homosexuels". On a cru pendant un temps qu'il parlait des banlieusards de St-Denis, mais les données de géolocalisation ne "cordaient" pas, comme aurait dit Mme Verdurin. Sans compter que le mot "vice" compte un tel nombre d'occurrences dans les deux tomes de Painter qu'on est tentée de courir, à l'issue de la lecture, chez l'évêque anglican le plus proche.

Bref, une fois sortie de cette somme qui en apprenait moins sur Proust que les dix premières pages de Swann, il semblait urgent de visiter Tadié. Tellement urgent qu'à ce jour ce n'est pas encore fait.

La lecture d'un entretien avec Tadié sur le site du Nouvel Obs, rubrique BibliObs « Oubliez un peu Proust » laisse tout de même perplexe (mais ne remet pas en cause le projet de lecture ci-dessus évoqué, au contraire).

Voilà un lettré, répétons-le, un scientifique de la chose littéraire respecté et respectable, qui dit, en gros et non sans ironie, qu'il n'y a plus rien à écrire sur Proust, que tant de choses déjà ont été (re)dites, qu'il conseille à ses étudiants d'aller plutôt s'occuper de Dumas Père... Tadié sauve très peu des derniers écrits sur Proust : une étude américaine, une japonaise... On serait presque, mais presque, tentée de comprendre "j'ai écrit une bonne fois pour toutes sur lui, n'y allez pas fourrer votre sale nez de plagiaire putatif" (ces deux derniers mots ajoutés gratuitement par la Taulière grinçante).

N'empêche que les entretiens sont chouettes à lire, que Tadié dit plein de choses intéressantes... Mais Compagnon et Luc Fraisse disent des trucs tout aussi passionnants dans un autre article du même site intitulé "Ils sont fous ces proustiens". Mais Tadié est le seul à sembler vouloir refermer la parenthèse (??) proustienne.

Or, le même Tadié, non seulement est crédité régulièrement du titre de seul biographe sérieux (et même unique référence) du petit Marcel (il est qualifié, dans le 2e article, de "délicieux mamamouchi de la coterie"), mais encore on peut voir, à la fin de son interview, une vidéo INA où Tadié pose (c'est peu dire)... visiblement sur la terrasse du "Grand Hôtel" (qui comme chacun sait est à Cabourg), le dos à la baie vitrée tant chantée par Proust avec son kaléidoscope de soleils couchants, de vagues bleuâtres et de mouettes chevauchant la mauve agitation des flots etc. (intertexte délirant, encore une crise, s'cusez-moi derechef).

Donc, Tadié pose. Plutôt jeune, en esthète, joliment cranté, pas encore totalement ridé, vêtu avec une élégance surannée mais pas proustienne (plutôt professeur au Collège de France), Tadié cause devant une table servie dans la grande salle à manger, et sur laquelle on peut voir... un service à thé en porcelaine anglaise et un plateau... de madeleines. Too much Mr Tadié !. Quant aux gens qui ont fabriqué le décor, qu'ils aillent se faire voir. Il aurait fallu du porto (plusieurs verres), du champagne (énormément), un quart de volaille rôtie et, sur le dossier de la chaise, plusieurs châles et plaids.

Moi, je vous le dis, pour l'élégance, n'y avait que Marcel. Les autres peuvent doivent aller se rhabiller.

Mais il est temps de laisser à Jean-Yves Tadié, qui n'en supporterait sans doute pas la lecture, la conclusion de ce billet qui commence à faire un peu "méta-méta discours über Proust et les proustiens" :

« Cet homme qui savait tellement écouter, c'est comme s'il nous écoutait encore. Il a ce génie de nous avoir compris à l'avance, de savoir mieux que nous ce que nous éprouvons. Cela explique le nombre peut-être excessif de publications. Il provoque un incroyable désir de s'exprimer. Le résultat est parfois catastrophique (...) »

Jean-Yves Tadié dans "Oubliez un peu Proust", BibliObs, 4 août 2013.