Le premier Didier est celui qui a commenté le billet "Interlude très court". Dans un mail à la suite de ce billet, il s'excusait auprès de la Taulière de sa réaction un peu vive, pensait-il. La suite de son courrier était si parlante que la Taulière, dûment munie de son autorisation, en publie ci-dessous le contenu intégral :

« On est assez virulents sur le sujet « FNSEA » pour plein de raisons.

Tout d'abord, les parents de Véro étaient agriculteurs normands, ils élevaient des normandes pour la production laitière. Ils ont milité toute leur vie pour une agriculture plus juste et plus équitable et ils ont eu beaucoup de bâtons dans les roues de la part de leurs voisins, banques et SAFER. Le frère aîné a repris l'exploitation et même si les idées et convictions sont restées, ses orientations sont parfois discutables, ce qui blesse clairement Véro. Il est souvent prêt pour changer un tracteur, mais il n'a jamais essayé de diversifier son exploitation, ni même envisagé la construction d'un labo. Il achète des quantités folles de tourteau de soja et il râle en permanence après Nestlé ou Lactalis dont il dépend à 100 %.

Au-delà de ça, on a plein de connaissances autour de chez nous, de jeunes qui essaient de s'installer de manière différente, et ça fonctionne. Quelques exemples :

Un éleveur de poulets et agneaux bio qui n'a "que" 20 ha de surface, n'a eu aucun soutien parce qu'il n'a pas la surface minimum d'exploitation ! Son activité existe depuis plusieurs années, il en vit. Quand il veut récupérer des terrains, personne ne veut ni lui en louer, ni lui en vendre.

Deux éleveurs et fabricants de fromages de chèvres, dont l'un bio, qui sont installés depuis 10 ans, ils vivent très bien et ils font de bons produits.

Des maraîchers, dont un qui va s'installer. Un paysan a accepté de lui vendre une "ruine", qu'il rénove avec sa famille. Au départ, il voulait lui vendre cette ferme avec 1 seul hectare de terrain !!! Il a négocié longtemps et au prix fort pour avoir un second hectare, alors que ce paysan a déjà quelque chose comme 150 ha. C'est dégueulasse !

Je ne parlerai pas de tous ceux qui n'ont jamais pu s'installer parce qu'aucun paysan ne veut leur lâcher du terrain, ni même du fonctionnement des SAFER qui n’est pas très clair…

Pourtant, il y a encore quelques décennies, des familles vivaient, certes avec bien moins de moyens mais aussi bien moins de besoins, avec seulement 3-4 hectares, ou 10. Et maintenant avec des centaines d'hectares il ne serait plus possible de subvenir aux besoins d'une seule famille ?

J'évoquerai rapidement les difficultés qu'on a rencontrées à titre personnel pour récupérer un peu plus de 4 ha autour de chez nous pour nos animaux. Non seulement on a payé trois fois la valeur (en même temps, 3 x pas grand-chose, ça fait toujours pas grand-chose, mais quand même).

Là aussi, ça serait presque drôle si ce n'étaient pour partie des terrains en pente et en friche dont personne ne voulait. Quand ils ont vu qu'on pouvait remettre en prairie 1 ha sans moyens mécaniques autres qu'une tronçonneuse et une débroussailleuse (et des chèvres !!!) et surtout beaucoup de bon temps passé en famille, ils ne voulaient plus nous vendre, quelques années plus tard, les 3,5 ha, puisque le premier coup, on avait réussi…

On a même "payé" la SAFER (un pot-de-vin, clairement), pour que son délai de réaction soit ramené à 3 semaines au lieu des deux mois dont elle dispose normalement, afin que des paysans qui auraient pu nous empêcher d'acquérir ces terrains n'aient pas le temps de réagir !!! Et ça a fonctionné, la SAFER a accepté… C'est tout à fait légal et courant, c'est le notaire qui nous l'a proposé. Les paysans n'avaient pas besoin de ces terres, mais le simple fait que nous les achetions (des gens extérieurs à la commune, qui sont venus de la ville) (*), ça les rendait furieux !

Et pour couronner le tout, cet été, en revenant d'Italie, on s'est fait coincer dans un embouteillage à la sortie de Lyon organisé par la FNSEA ! On a fait 1 km en... 1 h 30. Dégoûtés. Il a fallu regarder tout ce temps des tracteurs neufs, avec des remorques qui devaient sortir directement de chez le concessionnaire et qui n'avaient encore jamais vu un champ.

Ils auraient au moins pu ressortir un vieux Pony pour expliquer qu'ils "n'y arrivent pas". Mais non, ils n'ont même pas cette décence, ils se promènent avec l'équivalent financier de "maisons roulantes" et il semble qu'ils ne s'en rendent pas compte ??

Voilà pourquoi, hier soir, après avoir écouté deux fois l'émission radio de France Inter avec Véro (et après avoir beaucoup ri quand même), je - et on - a réagi peut être un peu trop "directement" sur votre blog ! »

Non, Didier, la Taulière n'a pas trouvé la réaction trop directe, au contraire ! Quant au complément d'info, il est nécessaire et éclairant...

Le deuxième Didier

Celui-ci est céréalier. Exploitation moyenne en Côte d’Or. Travaille seul ou avec son fils.

Nous avons rencontré Didier et Isabelle, son épouse, en août 2014, lors d’une animation que nous organisions au café du village, « Le Marronnier ».

Didier et Isabelle nous ont hébergées pendant 3 jours, nous avons été reçues très chaleureusement et le matin de notre départ, nous avons bavardé, autour de la table du petit-déjeuner, à propos d’agriculture. Didier nous montre plusieurs vidéos de ses champs passés au semis direct sans labour, sous couvert - depuis quatre ou cinq ans - et raconte sa « conversion » à la culture sans labour. Son témoignage est très vif dans ma mémoire, même si j'ai pu oublier ou mal transcrire quelques détails.

Ce que disait Didier :

- Que la première fois où, ayant pris sa décision, il est passé au « sans labour », selon ses propres termes il « serrait les fesses ». Les rendements étaient en question, et donc, directement, son revenu et les moyens de faire vivre sa maisonnée.

- Que le regard des confrères alentour allait de l’ironie à l’incompréhension « la première fois que j’ai passé le semoir dans le champ où il y avait déjà des choses qui avaient poussé, les voisins se disaient : "mais comment il a réglé sa lame, Didier, il va rien couper". Ils croyaient que je fauchais ! ». Les voisins n’avaient pas vu ce qui était attelé au tracteur : un semoir précédé d’un petit dispositif qui creuse un mini-sillon et, derrière lui, une espèce de roulette qui referme le sillon.

- Qu’avec son fils, ils ont pris ensuite la décision de revendre la charrue parce que « dès qu’il pleut, pour nous c'est un signal, on a une espèce de réflexe, vite faut aller labourer ». Son fils lui a dit que s’ils ne se séparaient pas de cet outil, ils ne parviendraient jamais à s’en passer. Dont acte.

- Bilan de la première année : rendements à peine inférieurs. Vente de la charrue, et peu après vente du "gros" tracteur qui n'avait plus d'utilité, ou plutôt échange avec un confrère pour un plus petit engin suffisant pour tracter ses outils. Années suivantes : rendements égaux. Année 2014 : alors que la sécheresse faisait rage alentour, Didier a pu faire une petite récolte. Insuffisante certes, mais les autres, les "traditionnels" (tu parles d'une tradition !), n’avaient rien. Le dos de la main…

Quoi qu’il en soit, lorsque Didier et quelques confrères, passés comme lui au semis direct, ont voulu organiser une petite réunion au café, ils ont eu plus, beaucoup plus de public qu’attendu. Et quand, passant au niveau départemental, ils ont organisé une rencontre sur ces techniques, ils avaient mis six cent chaises sous le chapiteau en se disant « on est ridicules, il va y avoir 20 gars sur les chaises de devant »… Le chapiteau fut plein, et ceux qui n’avaient pas pu s’asseoir étaient massés au fond…

Lorsque nous avons quitté ce village enchanteur où coule la belle rivière la Tille aux couleurs de ciel, nous avons regardé le paysage différemment. Au fur et à mesure que défilait la route puis l’autoroute, nous avons appris à « lire » le paysage : champs nus et profondément entaillés par la charrue, et d’autres champs apparemment en friche, désordonnés, luxuriants de fleurs : ceux-ci appartenaient sans doute à des adhérents de la même « secte » ;-) que Didier…

On leur souhaite bon vent et bonne pluie !

Pour en savoir plus sur le semis direct sous couvert sans labour, voici deux diapos qui peuvent éclairer les profanes.

Le premier nous présente les TCSL (techniques culturales sans labour)

Le 2e diapo est intéressant parce qu’il parcourt les techniques au niveau mondial : terra preta brésilienne, zaï subsaharien…

Ces deux documents sont certes scientifiques mais compréhensibles, nous semble-t-il, par tout un chacun pour l'essentiel. Ils vous permettront d'acquérir quelques bases intéressantes pour comprendre comment on pourrait se nourrir.

Une autre recherche sur internet a conduit la taulière sur une thèse d’un chercheur de l’Inra dont les conclusions étaient très réservées sur ces techniques. Le scepticisme qui sous-tendait son propos, les prédictions anxiogènes sur la prolifération des adventices et autres diminution des rendements une fois passée "l'euphorie des débuts" fleurait bon le cerveau lavé... Devinez où ? Ce "scientifique" pense-t-il que les agriculteurs en recherche sur de nouvelles techniques plus respectueuses de la terre et de l'environnement, vont s'endormir sur leurs lauriers ?

Non, les agriculteurs (**) du monde ne sont pas tous à la FNSEA et beaucoup d’entre eux se battent pour faire autrement, que ce soit en semant différemment ou en promouvant une autre façon d’élever les bêtes (***)

Encourageons-les, de toutes les manières possibles ! Ils sont les gardiens d’une nourriture honorable et mieux partagée que celle produite par MM. Beulin et consorts (d’ailleurs Beulin ne nourrit pas, il spécule).

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(*) Voici ce que dit cet homme « de la ville » qui est maire-adjoint de sa commune (150 habitants près de Roanne, Loire) : « (…) mes grand parents étaient agriculteurs en Haute Loire, avec 4 ha jusqu'à la fin des années 60. Et ils ont élevés 4 enfants sur ce lopin de terre peu clémente. ». Pas tant « de la ville » que ça, Didier !

(**) Et les agricultrices au fait ?

(***) Une autre fois, la Taulière lancera le débat sur la nécessité ou pas de manger des animaux ou de les exploiter de diverses manières.