« #Sorrentino est au cinéma ce que Rondo Veneziano est à la musique, en pire. #Youth #Cannes2015 » Tweet publié par les Cahiers du Cinéma

(Rondo Veneziano, pour celleux qui comme moi n’ont jamais fréquenté, c’est apparemment de la musak qui s’empare des grands thèmes du répertoire classique pour les passer à la moulinette à légumes).

Pour les exécutions capitales, on peut compter sur les Cahiers du Cinéma.

Cela dit, La Revue Notre Conscience à Tous s’est pris des revers, nombreux twittos-pas-de-son-avis, qui nous rassure un peu sur notre goût musical, que nous avions toujours pensé potable.

YOUTH, vu avec ma pote-de-cinoche, nous a fait passer un très bon moment. C’est déjà pas si mal. Comme on dit, pour paraphraser une blagounette lyonnaise traditionnelle « Tout le monde peuvent pas être des Cahiers, y en faut ben quéque’z’uns d’ailleurs ».

Ensuite, YOUTH est un film surprenant – au sens de « plein de bonnes surprises ». Il se passe toujours quelque chose dans ces nouvelles galeries cinématographiques hébergées par un grand hôtel helvète dont on aimerait se payer juste un quart d’heure dans une des piscines, je ne sais pas si ma syntaxe n'a pas un peu pâli des genoux dans cette phrase mais je me comprends.

Les cabotins de service, Harvey Keitel (aussi sexy en vieillard habillé que du temps où il prenait des leçons de piano à loilpé chez Mrs Jane Campion) et Sir Michael Caine qu’on ne présente plus, qu’il faudrait peut-être présenter, en fait, aux jeunes générations parce qu’il a fait ses débuts en 1956 – font le job avec l’humilité d’acteurs de second plan et le sens de la justesse qu’on peut attendre de vieux chefs de harde qui savent renifler le vent.

Paul Dano campe, avec un talent au poil, un jeune acteur (ce qu’il est). Il se révèle bluffant de sincérité dans cette revue du faux-semblant qui serait, si l'on a bien tout compris, l’argument principal du film. De sa première apparition évoquant le Johnny Depp de "Dead Man" à sa contre-performance (ou plutôt celle de son personnage) en Hitler d’opérette, il tient un bon bout de bobine à lui tout seul. J’ai appris avec plaisir que c’était ce même Dano qui jouait, en 2006 dans l’inoubliable "Little Miss Sunshine", l’ado mutique qui tape une belle crise aux deux tiers du film.

La fulgurante Jane Fonda revient au galop des tréfonds de Hollywood en Brenda Morel, vieille actrice très "Baby Jane" mais entièrement refaite à neuf, comme on dit dans les bonnes agences immobilières. Actrice vulgaire mais géniale selon Keitel (alias Mick Boyle, réalisateur qui tourne un film dans le film), Brenda / Fonda revient, donc, dans une scène cadrée et jouée serrée, le temps de régler son compte en quatre vérités au metteur en scène has-been qui croit encore pouvoir tourner son dernier opus. Et, honte sur moi, hou, hou hou, je ne l’avais pas reconnue, faut dire que les maquilleurs se sont fait plaisir et que je n'avais pas vu Lady Jane depuis longtemps.

YOUTH alterne de ces scènes très enlevées, une suite de sketches réjouissants, avec des plans oniriques et des moments touchants. Il y a beaucoup de beauté et de grâce dans ce film qui traite souvent de la laideur et de la vulgarité, et une palette de visages et de corps sacrément marqués. Les visages ridés, les corps moches, tout passe au gros plan et passe bien, parce que c'est filmé avec amour.

On n’est pas dans le très grand cinéma, mais on n’est pas non plus dans la merdouille intellectuallo-pseudo-artistique des Mille et Une Nuits de Miguel Gomes (évidemment pompé au pinacle par ascenseur express dans les Cahiers). YOUTH, ça jubile, c'est pas bavard mais volubile, ça veut pas faire croire mais ça réussit pourtant à faire croire à la magie du cinoche.

Mention spéciale pour les apparitions miraculeuses de la petite masseuse de l’hôtel (Luna Zimic Mijovic, jeune comédienne bosniaque), qui, lorsqu’elle n’est pas de service, danse devant un écran en reproduisant les gestes d’artefacts bizarres ou de « vrais » chanteurs-en-clips.Très belle, aérienne, elfique.

Bande son :

David Lang, compositeur de musique minimaliste, livre ici de la très bonne came : Simple song #3 fait un final honorable, même si on peut ne pas raffoler de la paroxystique Sumi Jo en soprano absolue. En fait, on en raffole mais à l'écoute, moins à la vision. Indiscutablement, Just (after song of songs) qui accompagne un interminable générique, est une de ces "things of beauty" musicales dont la bande des répétitifs (Riley, Reich et autres Glass) ont le secret.

Eh bien, ça nous fait tout de même un générique de fin de douze minutes et quelques. Jamais vu autant de noms sur un écran… Mais des centaines, voire un bon millier ! De la cousine de la belle-sœur à la concierge de l’immeuble où crèche le chauffeur qui conduisait le bus le jour où le neveu du frère de la maquilleuse a traversé devant les studios en dehors des clous, en passant par l’ambulancier et le pharmacien du quartier, jusqu'à la marchande de glaces et à l'équipe de nettoyage des bureaux de la post-prod, tout le monde, absolument tout le monde est cité. Là, le baroque et bizarre Sorrentino s'est peut-être un chouïa planté. Bon, je crois que je n'ai jamais dit ça d'aucun réalisateur : qu'il avait raté son générique. Faut ben commencer. Plus probable, la prod a imposé le défilé de l'annuaire.

La presse :

Elle s’est pas mal déchaînée contre Sorrentino (il semble que ce soit le cas pour l’ensemble de son œuvre). Les Cahiers, certes, mais aussi le Guardian cité par Télérama :

« Youth possède une éloquence et une élégance blème (sic et re-sic), bien que chargé de sentimentalisme et d'un regret “macho-gériatrique” immérité et pas très intéressant pour le temps perdu, les projets de films perdus, l'amour perdu et toutes ces belles femmes avec qui on ne peut jamais coucher. ». Et take that in your gencives. S'ils veulent un traducteur, chez Télérama, la prochaine fois ils n'ont qu'à me demander, bon sang de zut.

Libé ne craint pas le ridicule. Si l'on appliquait leur grille, en matière d'exigences, à l'article qu'ils publient, celui-ci serait passé au pilon avant même d'avoir été pensé. On atteint le point de non-retour lorsqu'ils décernent un certificat de nullité à un précédent film de Sorrentino (La Grande Bellezza) en ces termes : "étrillé ici même à sa sortie". Voilà le méta du métadiscours : ce film est nul, la preuve : on avait déclaré ici même qu'il était nul. On imagine très bien le petit logo à accrocher aux affiches de films : "Etrillé par Libé". Ca pourrait même devenir une sorte de "contre-must label", si on veut continuer à jouer aux cons.

Télérama, en bon journal chrétien, sauve un peu le film. Il était temps.

Un blog de critiqueurs haut de gamme : http://www.critikat.com/ achève le jeu de massacre sur ce malheureux film. Leur critique, pas mal fichue, montre surtout à quel point il est facile de démonter une oeuvre du seul point de vue de l'étudiant en cinéma. Des avis théoriques, dépourvus du moindre "regard de spectateur", entièrement centrés sur une prétendue analyse sémiologique alors que leur texte ne révèle aucune objectivité ou plutôt, une regrettable et non-professionnelle subjectivité.

Ici non plus on n'est pas objective. Mais on n'a jamais prétendu l'être.

That's all folks !