... disait la banderole, puis un ou deux mots illisibles de loin, et puis : "TAFTA".

Non aux accords !! Ils sont fous !!! Ca va faire ceux qui sont contre tout ce qui est pour, et pour tout ce qui est contre ! Des gens qui sont contre les accords ! Empêcheurs de s'accorder, nihilistes, contempteurs du progrès humain...

Le quidam stéphanois moyen pouvait en observer, de ces refuzniks, descendant le cours Victor Hugo : une petite double centaine d'individus (selon la police et les organisateurs, pour une fois d'accord, vu qu'on pouvait les compter à la main, tranquillement et in extenso, je dirais 231), une vraie bande de figurants sortant des studios, tous très amortis, chenus...

Revue de vestes pseudo militaires, de vieux jean's blanchis sous le harnois, de tee-shirts un peu gondolants de l'ourlet (maintes et maintes fois repassé) couvrant parfois de modestes bedaines, avec des inscriptions relevant de l'archéo-sociologie, où il était question du Che, de la "Révolution", ou des Rolling Stones... Fiesta de vieilles polaires (nous ne voulons pas parler d'une surprise-partie organisée par des nonagénaires inuit-e-s, mais de vêtements chauds) très excédentaires par ce jour d'été vachement indien (23 beaux degrés, en ce début d'après-midi, sous un ciel impeccable). Les couleurs : comprises entre le bordeaux passé et le marron indéfini (nous n'osons pas dire "marron glacé", pour une polaire ce serait abuser).

Les pieds sont chaussés majoritairement de ces chaussures d'une marque évoquant Faust, ultra-confortables aux panards sexa mais plus sexy. Parfois, d'antiques grolles de montagne au cuir fendillé. Baskets éculées, bottines sans forme, et mêmes sandales de rando qui ont peut-être fait Compostelle cette année ou la précédente.

Les dames ne dédaignent point d'arborer de ces pantalons ultra-larges, dus hélas à la mode dite "ethnique" (comme si le port de la jupe ample, du corset noir et du noeud dans les cheveux, qu'on peut voir en Alsace lors des fêtes de la bière, n'était pas "ethnique", elle aussi ; comme si votre tenue d'occidental-e moyen-ne ne l'était pas, ethnique...) avec des vestes-tuniques à vaste capuche, tissées grossièrement, achetées dans ces commerces douteux qui affichent leur éthiquabilité garantie en même temps que des couleurs absolument chiatiques.

Emouvant, non ?

Nous descendions donc le cours Victor Hugo en tapant, selon la consigne donnée par un mail mystérieux, distribué de manière totalement erratique (ce qui explique sans doute partiellement le caractère clairsemé, pour rester polie, de la manif), sur des casseroles. La Taulière avait choisi dans son placard deux couvercles, avec l'intention d'en tirer beaucoup de bruit particulièrement agaçant, et quelques "CLANG" retentissants lorsque des oreilles de bleus traîneraient dans les parages. Las : les uniformes avaient soit des bouchons d'oreilles, soit des casques de motards, soit une oreillette préfectorale vissée au tympan. Ou les trois. Ca fait rien : CLANG !! CLANG et re-CLANG !!

La manif aborda la place de l'Hôtel-de-Ville et monta sur les marches pour clanquer de plus belle. Un organisateur fourbu et ployant sous les ans nous expliqua, dans un micro aussi asthmatique que lui, que le traité TAFTA c'était pas bien, qu'il permettait à 86 privilégiés de s'engraisser en possédant la moitié du monde alors que quelques milliards cinq cent mille autres (dont vous et moi, jusqu'à plus ample informée), nous partagions le reste.

Ce qui, du point de vue de la Taulière, est une vision macroscopique tellement "fourmilière vue d'avion", qu'on serait tenté de lui parler de ce qui, à l'intérieur des milliards en question, constitue autant d'autres exemples d'abus qu'il y a de genre d'humain-e-s.

Mais baste, ne tirons pas sur l'ambulance, surtout lorsqu'elle se dirige vers la maison de retraite, ne désespérons pas le Billancourt ligérien (encore une formule au sens totalement étanche pour des oreilles de moins de cinquante ans).

Nous criâmes ensemble que "NOUS-SOMMES-LES-TROIS-MILLIONS", c'est-à-dire que, dans les 28 pays d'Europe, lesquels comptent tout de même, avec les femmes les enfants et les vieillards, quelques cinq cent dix millions d'habitants - pardon : moins trois millions de vieillards signataires de la pétition anti-TAFTA - 0,0058 personnes seraient en désaccord formel avec le grand traité transatlantique, lequel sera signé avant 2018, foi de Taulière.

CLANG !!! CLANG et re-CLANG !! Mais on ne nous fera pas taire comme ça. Antédiluviens protestataires, armés de moyens non moins obsolètes qu'eux (marcher dans la rue un samedi après-midi, distribuer de petits tracts tristounets et indigestes, traîner une sono des années quatre-vingt montée sur un petit chariot de courses), les "anti-TAFTA" (on dirait qu'on milite contre une forme textile !) iront rencontrer, devant la Préfecture, les deux-roues hurlants des motards en colère qui viennent eux aussi perturber l'élan commercial de ce début de week-end en pétaradant sur un trajet inverse, pour protester contre quoi déjà ? Ah oui : contre une mesure de protection environnementale visant à limiter leur nuisance dans les centre-villes. Paraît qu'ils se sentiraient rejetés, pas aimés. Faudrait qu'on se parle, tout de même.

Faudrait qu'on se parle aussi avec la CGT. Ceux de la Loire mettaient en tête de leur manif de vendredi, « un manifestant de marque pour ce cortège : Philippe Martinez, le secrétaire général de la CGT descendu pour les 120 ans du syndicat dans le département. Les Proségur étaient à l'avant du cortège. Le conflit chez le convoyeur de fond n'en finit. Un mois tout juste ce vendredi 10 octobre puisque le conflit a débuté le 10 septembre. »

Faudra qu'on m'explique pourquoi les mecs de la CGT ne trouvent pas urgent de se coordonner avec les anti-TAFTA. Peut-être n'ont-ils pas bien compris le lien entre ce traité scélérat et la situation de l'emploi, les droits du travail, etc. en Europe ? Quant aux alter et autres "NON AUX ACCORDS", faudrait qu'ils révisent dare-dare leurs notions de coordination. Ou qu'ils reprennent conscience de l'existence du reste du monde.

On n'a pas l'air con, tiens, avec nos manifs en pièces détachées, 850 ici, 230 là... Quelle efficacité, quel sens ? 850 concernés par le syndicalisme à Saint-Etienne un vendredi après-midi ? A peine dix personnes de moins de trente ans dans le cortège de samedi ? Quand va-t-on se décider à chercher et à construire les leviers pour faire lever les gens d'aujourd'hui en masse, avec des moyens d'aujourd'hui ? Est-ce que par hasard on croit "qu'ils" vont descendre dans la rue comme ça, sans raison, par miracle, touchés tout à coup par la fibre manifestante ? Pour... pour... pour du taffetas ?

P...@@ç? de B... D**$... de B... à c... de CLANG, tiens. CLANG, CLANG, clang...

=================================================

Presse du jour : « …LOIRE. Saint-Etienne : 250 personnes contre le traité commercial entre l’Europe et les Etats-Unis. De la Bourse du travail à la place Jean-Jaurès, ils étaient plus de 250 à manifester ce samedi après-midi à Saint-Etienne contre le PTCI (partenariat transatlantique de commerce d’investissement ou Tafta en anglais). »

Notre rubrique : et à la fin c'est les Allemands qui gagnent. Ach deutsche méthodologie, camarades français allez apprendre Outre-Rhin !

Bon. Saint-Etienne : "plus de" 250... Alors même que la Taulière avait déjà quitté la manif, ayant d'autres choses à quoi vaquer. Ca donne de l'espoir.

=================================================
Il ne vous en semble peut-être rien, mais ce billet, avec son numéro 266, eh bien dans le compteur Dotclear il porte tout de même le numéro 300. Le trois centième ! Et trois cent billets, eh ben c'est pas diheuros tout de même.