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... dans une forêt après la tempête de l'hiver 2013 et qui représenterait assez bien l'état de sa pensée aujourd'hui, au détail près qu'il ne faudrait pas en arrière-plan un ciel bleu mais une toile anthracite ou verdâtre. Ou plutôt kaki.

Une bonne personne de ma connaissance me disait, il y a peu de jours : « si on n'y était pas allés, je n'aurais pas pu me regarder dans la glace ».

Cette phrase, qui n'est pas anodine, a recueilli dans un premier temps mon approbation, en raison précisément de cette pensée enchevêtrée, brouillée, qui était la mienne à ce moment sur fond de sidération et dont, pour finir, une des branches principales est cassée net, dans le sens où il faut soudain s'apercevoir que les petit systèmes politiques que nous nous fabriquons volent en éclats. Tel est l'effet du massacre de Paris sur nous qui, vivants et relativement éloignés (jusqu'à quand ?) de l'épicentre de la violence, ne sommes d'abord qu'atterrés, compassionnels et angoissés pour nos proches lorsqu'on en a dans la capitale.

Mon interlocutrice parlait évidemment de la Syrie et le pluriel induit par "on" semble désigner la nation française (quel que soit le sens bien dévoyé d'un tel concept aujourd'hui, s'il en a jamais eu un). Une nation rangée comme un seul homme derrière son président-guerrier.

Et revoilà les bruits de bottes à travers l'Europe. Les plus âgés d'entre nous, même s'ils ne sont pas nés pendant, ont tout de même entendu et vécu, pendant les vingt années suivant la fin de la deuxième guerre mondiale, les échos de ces bottes-là.

Que les plus jeunes croient que la guerre a éclaté en août 39 de manière soudaine, imprévisible, dans une sorte de dramaturgie nourrie d'images d'actualités cinématographiques, c'est compréhensible. Le verbe seul induit déjà en erreur. Or, la guerre "n'éclate" pas : elle arrive à petits pas diplomatiques, en avant, en arrière, un pas sur le côté... Tissée longuement par des enjeux de pouvoirs complexes dans le discours mais au fond, extrêmement simplistes dans leur structure (et, faut-il le rappeler, le fait quasi exclusif de politiques mâles) qui pourraient s'énoncer ainsi : je te tue pour exister, la guerre devient seulement, de sporadique et localisée, de plus en plus concrète et globale ; elle s'étend enfin jusqu'à toucher ceux qui, pendant un temps, en sont restés temporairement d'indemnes spectateurs.

Il faut y insister. Si les plus cultivés en matière historique et politique savent de quelles décennies de troubles la "dernière" s'est nourrie jusqu'à déborder nos frontières nationales de l'époque, l'imagerie historique, en particulier celle des nouveaux médias qu'étaient la radio et surtout le cinéma, pourraient laisser s'installer, par le biais d'une documentation aujourd'hui légèrement figée, l'idée que la guerre est arrivée comme ça, sui generis, à peine précédée de l'ascension (résistible, faut-il le marteler) d'un certain Adolf Hitler.

Et surtout, par sa seule responsabilité... En oubliant au passage comment et par qui il a été porté au pouvoir, nous voulons dire par quelles passivités, quelles complicités de pensées racistes, antisémites, droitières, il a été, de manière bipolaire, minoré quand il n'était pas grandi et approuvé comme "homme d'ordre". On ajoutera, pour faire bonne mesure, un truisme : pas seulement en Allemagne, s'entend. Voire : pas seulement en Europe.

La Taulière souhaite juste faire remarquer humblement que les bruits de bottes actuels, assourdissants et même couverts par le roulement des engins de guerre motorisés, par le sifflement des missiles et le vacarme des bombardements aériens, se produisent sans discontinuer sur l'ensemble de la planète et en particulier à nos portes, de telle sorte qu'au fond, la deuxième guerre mondiale n'a jamais cessé de faire rage, en particulier sur le continent africain et le Proche-Orient, pour le plus grand bénéfice des industriels de guerre qui vendent sans faiblir de la destruction de plus en plus sophistiquée, de plus en plus accessible, de plus en plus banalisée, et au nombre desquels la France pèse son poids comme 2e exportateur d'armes dans le monde avec pas loin de 20 milliards d'euros de chiffre d'affaires.

Que les armes ne circulent pas par miracle, si l'on peut dire. Que l'irruption sur le territoire français de quelques criminels abrutis au cerveau reformaté en mode monomaniaque n'est pas juste un fait scandaleux isolé, contre lequel nous ne pouvions rien. Voter et approuver, d'Ouest en Est dans le monde dit "moderne", la politique de chefs d'états qui ont tout sauf la paix comme priorité, malgré tous leurs discours, c'est une forme de complicité active. Croire que l'ONU, rassemblement des mêmes dont la main droite ignore ce que fait leur main gauche, est un instrument de paix, c'est une forme de naïveté qui confine à la complicité passive. Accepter la fable de la "guerre juste contre les vilains terroristes", c'est encore la même chose.

Daech serait né de rien, où de quelque revendication locale pour un califat illusoire ? N'y a-t-il là-bas, entre Syrie et Irak, que quelques extrémistes allumés ? La politique coloniale puis post-coloniale de ce qu'on nomme l'Occident, son irrépressible et violent désir de prédation, d'intervention incessante sur le reste du monde, sa convoitise pétrolière, ne seraient donc pour rien dans ce surgissement ? Ni la perpétuelle recomposition de territoires dont les logiques frontalières ne sont qu'économiques et ne visent qu'à l'enrichissement sans fin de ceux qui les valident, pour le plus grand dam des populations qui, pour leur malheur, tentent d'y survivre ? Ce serait pur hasard si les stratèges de Daech avaient choisi de matérialiser leur empreinte entre deux pays déchirés et vidés de leur énergie par des guerres dont la responsabilité se situe, pour une part non négligeable, du côté de Washington, Londres, Paris et Moscou pour n'en citer que quelques-uns ?

Ou plutôt, au bout de leurs jumelles, les terroristes de Daech n'auraient-ils pas aperçu un terrain extrêmement favorable que "l'Occident" leur a servi sur un plateau (quand il n'est pas à l'origine du surarmement de cette faction) ?

En France, en Europe même, qu'avons-nous ? Une politique extérieure retorse, mensongère, opportuniste, basée sur le profit de quelques-uns et, au passage, de l'état français. A l'intérieur, les regards pudiquement détournés des "élus" (toutes tendances confondues), tous d'accord pour laisser prospérer les lieux (quartiers défavorisés, mosquées officielles ou non, librairies spécialisées) et les temps où s'exerce le plus délirant des fanatismes religieux, parce qu'il a d'abord été pris, de manière irresponsable, comme possible instrument de paix sociale (on a vu le résultat tous les dix ans depuis 1995, mais qu'importe) puis utilisé par la pire des démagogies (la bonne vieille histoire de la parole de l'instituteur laïc, laquelle ne vaudrait pas celle d'un religieux ; la bonne vieille carotte d'un "conseil national" fantoche, etc.).

L'absence totale de volonté des gens au pouvoir, avec la complicité active/passive d'une population qui préfère tourner le dos aux compatriotes de confession musulmane plutôt que d'aller à leur rencontre sur le terrain des idées, qui préfère se vautrer dans l'amalgame en les nommant, au mépris de toute distinction d'origine, "Arabes" et en appelant leurs femmes "les voilées" et forgeant ainsi, à l'intérieur même de ce groupe humain, une fausse identité plus sûrement que ses propres prosélytes : une identité par résistance, c'est-à-dire quelque chose de fort, de jeune, de vivace, de revendicatif et surtout, de désespéré. Voilà ce que nous avons. Avec, en prime, le silence approbateur ou effrayé d'une partie des musulmans vis-à-vis de leurs desperados. Un silence qui pourrait bien être fondé en partie sur la détestation des "forces de l'ordre" (police ou armée) et l'impossibilité de "collaborer" avec ces uniformes et cet état qui a semé la terreur coloniale en son temps, et représentera toujours, dans la mémoire collective des colonisés du Maghreb, l'ennemi.

La pire des politiques a maintenant rassemblé ses ingrédients pour le plus amer des bouillons : à l'extérieur, un "gendarmisme" sans nuances malgré les danses des sept voiles de nos diplomates ; sans aucune réflexion sur l'impact, l'inévitable impact sur une partie de la population française qui se reconnaît à tort ou à raison comme proche, au sens parental du mot, des "combattants", des "djihadistes" (encore un abus de termes installé dans le corpus lexical actuel). A l'intérieur, une indifférence à la misère, une chasse musclée à cibles préférentielles : partage des "migrants" en bons ou en mauvais, police au faciès, abandon de quartiers, voire de communes entières ; non-gestion des prisons ; "lois" sur "le voile" ; coupable faiblesse, en revanche, vis-à-vis d'une extrême-droite prête à toutes les alliances contre nature...

Voilà ce que nous avons et qui soudain, en nous débouchant les oreilles et l'entendement de manière explosive, nous fait percevoir certains bruits de bottes à notre porte.

Avions-nous raison "d'y" aller ? Peu importe maintenant. Indubitablement, nous "y" allons. Tout droit, et en klaxonnant. Poutine, Obama, Hollande. Nous allons adjoindre notre petite guerre civile à la guerre mondiale et c'est déjà bien parti avec de nombreuses agressions islamophobes un peu partout en France.

Pour d'autres points de vue (parfois proches de celui exprimé ici, parfois non), voir Rebellyon.info, ou le blog de Serge Quadruppani pour cet article (entre autres), blog recommandé d'ailleurs au bas de cette page, cf les Contrées Magnifiques.

Dernière minute : le foisonnement des réactions et des analyses, comme toujours après de tels drames, donne à ce billet une tonalité (déjà !) obsolète. L'apostrophe de David Van Reybrouck à François Hollande dans Le Monde Afrique en ligne d'aujourd'hui a sur ce billet, écrit sous le coup de l'émotion, l'avantage de la clarté, de la rigueur, de la documentation politique. Il va plus loin, agrandit le contexte, mais ne nous semble pas contradictoire avec ce qui est écrit ci-dessus.