Les vraies dents de sagesse sont en plastoc. On vous les offre à peu près en même temps que la carte Senior+ de la SNCF. Du moins, à la génération qui a démarré dans la vie sur fond de rationnement laitier, de méconnaissance de l'hygiène dentaire ou d'hérédité cariée, quoi. Arrimées à un petit fil de fer portant de fausses gencives roses, elles jouent tant bien que mal leur rôle. Parfois, elles flottent un peu dans l'espace qui leur a été dévolu : vous avez perdu du poids dernièrement ? - Oui, j'ai un peu maigri des gencives.

On ne prévient pas les gens de tous ces agréments qui émaillent le passage des années une fois doublé le cap des sixties : dents flottantes au bruit mat de lego, articulations lâches (oui, il faut être bien lâche pour lâcher comme ça) et tout un tas de joyeusetés qui vous arrivent à bas bruit.

Je vous le dis tout net : vieillir est un boulot à plein temps pour lequel il faut, d'une part, s'outiller sérieusement et d'autre part, adopter une posture à la fois résistante (à coups de canne dans les rues sur les moins de trente piges si nécessaire) et accueillante (le moyen de faire autrement ?), en valorisant par exemple le moment de la sieste, en écoutant la sollicitation des genoux qui voudraient bien qu'on s'assoie cinq minutes, etc.

DERNIERE MINUTE : il y a, au sein de la communauté des vieux, de jeunes vieux, autant dire des ados, qui se défoncent à l'antésite. Si, si, la Taulière ne donnera pas sa source (d'eau brune ha ha) mais une sienne copine vient d'avouer qu'elle et son mari sont consommateurs. Pas encore revendeurs mais vous allez voir... Dire que j'ai fréquenté ces gens-là pendant des années sans rien soupçonner ! Et même, la dernière fois qu'ils m'ont rendu visite, ils avaient une bouteille de côtes-du-rhône dans le sac, histoire de donner le change ! Or, l'antésite, qu'on se le dise, fait monter la tension. Le sevrage, lui, fait baisser la tension de manière alarmante. On réclame des salles de shoot pour que les antésitomanes puissent se l'injecter sans risques et rester à taux constant ;-)

Ce n'est pas du tout de ça que voulait parler la Taulière, d'ailleurs voulait-elle parler ? Mettons. L'automne est à la traîne et se manifeste un peu ce matin, avec un vent d'est qui est encore du sud. Trop doux pour être honnête, cet est-là se tournerait du côté de son pote le nord, que ça ne m'étonnerait pas autrement. Il nous ramènerait une pelletée de poudreuse d'ici dimanche, tiens, je me dirais : c'est dans l'ordre. En 2013, le 20 novembre on s'en était pris 80 cm pendant la nuit alors voyez.

Les vieilles femmes sont particulièrement disgracieuses par les journées de grand vent. Nous errons dans les rues, échevelées (mais point trop livides tout de même), espèces de gorgones poussant nos chariots de courses (nous ne parlons pas ici de véhicules genre celui dans lequel Ben Hur tirait la bourre à son ennemi Messala, mais de prosaïques machins en tissu moche avec deux roues et une poignée). Il faut se souvenir d'aller toujours face au vent, et non de se le prendre de dos car alors, la coiffure : un désastre. Châteaubriand dans ses mauvais jours.

Alors que, dans nos têtes, il y a toujours cette jeune nana indifférente au tournis des tempêtes, qui marchait fièrement, sa chevelure s'enroulant autour de son visage. Non sans blague, la Taulière a toujours eu les cheveux courts. Deo gratias. Par grand vent, on est juste coiffée en brosse, c'est moindre mal.

La Grande Poste est toujours à sa place. Mettez une Grande Poste dans une bourgade, ça devient une ville, se disait la Taulière en passant devant ce très bel immeuble rococo qui n'est répertorié nulle part. Traiter Saint-Etienne de bourgade serait tout de même une belle faute de goût, mais la relativité vous savez ce que c'est.

Bref, la Grande Poste (que tout le monde ici appelle simplement "La Poste" car le Stéphanois n'a pas la cougourde enflée), ce matin, rutilait sur un reste de ciel bleu. Maintenant, s'accroche à ses dentelles de toiture un édredon grisâtre du plus bel effet, qui vient rappeler aux populations que pour les Seychelles, c'est plus loin.

L'édredon file un mauvais coton, si je puis m'exprimer ainsi. Le vent le pousse et l'effiloche, comme il faisait aux cheveux gris des vieilles dames, tout à l'heure.

Sur la colline de Villeboeuf, les résineux sont hérissés et balancent leurs maigres cîmes. Du fond du Pilat se pointent les longues drapées de pluie, il était temps.

That's all folks.

Addendum du dimanche soir : la Taulière a gagné son pari météo, par ici ça y est, le grand blanc s'est avancé, il coiffe maintenant les sommets voisins et ça tourbillonne encore un brin dans le ciel noir. J'aurais dû faire ça, comme métier. Ou voyante.