L'hôpital hospitalise
Convoquée pour un bilan de routine, une personne par ailleurs en parfaite santé se rend mardi à 15 heures à un rendez-vous fixé par un service hospitalier. Il s'agit de passer la nuit sur place, reliée par diverses électrodes à tout un tas de tuyauteries, dans le but de vérifier la qualité du sommeil et le fonctionnement de la machine qu'on vous a octroyée voici quelques années pour éviter les apnées du sommeil, ces mauvaisetés.

La personne en parfaite santé a eu beau protester, à réception de la convocation, que pour renouveler la prescription il suffit d'une consultation et de deux examens, il lui est répondu sans ambages que "ici on ne fait pas comme ça". Elle s'incline devant les coutumes locales en vigueur dans la Loire et prépare son petit sac : vêtement de nuit, polar, brosse à dents.

L'hôpital infantilise
La personne en parfaite santé a donc chu dans le CHU. Entrée dans l'usine dénommée "hôpital", elle se retrouve dans un service où une blouse revêche et néanmoins gradée "l'accueille" avec cette question à la formulation mystérieuse : "Vous êtes ?"

Il lui vient à l'esprit de faire la maligne et de répondre : "une femme". Ou : "un être humain" ; "celle que vous croyez". Ou de déclamer, l'air inspiré "... ou ne pas êtes". Ou encore, de s'agenouiller et de courber la tête : "Oui, je suis". Mais devant ce côté obscur de la force médicale visiblement dénuée d'humour, elle capitule et décline son identité. La chambre 635 lui est aussitôt attribuée, elle se rend et s'y rend.

L'hôpital vous fait soumise
On lui passe au poignet un bracelet plastique portant un code-barre et diverses informations la concernant. La voilà non plus personne, mais "patiente". Le bracelet évoque l'autre en moins encombrant (celui que les délinquants portent sous une de leurs chaussettes).

N'envisageant pas d'attendre pendant six longues heures, dans cette carrée de six mètres carrés, que la nuit tombe et que le sommeil vienne, la patiente toujours bien portante annonce son intention d'aller faire un tour.

L'hôpital moralise
La cheftaine infirmière se pose en face, barrant l'accès au couloir, et brandit son bloc-notes : "je vous préviens que si vous partez, vous serez considérée comme EN FUGUE". La patiente impatientée lui fait remarquer qu'on est entre adultes, que le mot "fugue" renvoie à des situations qui ne sont pas la sienne et qu'elle sortira bel et bien faire un tour, en toute responsabilité.

Elle sort.

L'hôpital analyse
De retour de sa promenade salutaire, la re-patiente se laissera docilement "brancher" et, de dix-neuf heures à onze heures le lendemain matin, fera tout ce qu'on lui demandera sans rechigner. Elle absorbera le potage en bol plastique operculé, mastiquera un petit pain, avalera un flan industriel. Lira un polar de A à Z. Eteindra sa lumière à 22 heures. Tendra son poignet pendant la nuit, puis à l'aube. S'emmêlera les pinceaux dans les fils, câbles et minuscules tuyauteries, voyants rouges, flexibles et autres courroies. Liée et reliée.

Le matin venu, elle prendra un bol d'eau chaude dans lequel elle déposera quelques feuilles de son propre thé (Vade retro, Liptonas !!).

Puis elle se rendra dans divers services pour : souffler dans d'autres tuyaux. Montrer sa cage thoracique, dans laquelle ne palpite nulle colombe, à travers une plaque radio. Re-souffler. Tendre un bras, puis l'autre, pour être piquée, repiquée, surpiquée.

L'hôpital, bonne surprise !
Au moment d'être appelée (et peu élue) à inspirer/expirer dans des machins... Ma non è vèro !? Mais si c'est Véro ! Une copine infirmière est de service et prend en charge sa copine-patiente et te lui fait souffler, tiens, qu'on n'en croit pas ses soufflants ("Et vide vide vide vide vide vide encore encore encore", sur l'air de "Et glou, et glou, et glou... arrangement free-jazz"). Tiens, la prochaine fois qu'on se voit à La Gueule Noire, avec Véro, je vais lui offrir une bière et : vide vide vide...

L'hôpital vous maladise
Une doctoresse super-gentille lui annonce comme prévu que tout est OK. Ayant consommé, à son corps (mal) défendant un petit millier d'euros du budget de la Sécurité Sociale, la patiente enfin dépatientée se rend au bureau des entrées pour faire sa sortie. Oui, ici c'est comme cela que l'on fait.

Au guichet, tandis qu'elle tend le papier intitulé "Bulletin de sortie", un homme tout ce qu'il y a d'agréable mais assez imperméable à l'évidence, lui demande : "c'est pour une sortie ?". A sa mimique affirmative il répondra "Eh bien alors au revoir". Rarement formalité aura été plus minimale.

La personne en parfaite santé se rend à l'arrêt du tram avec son petit sac de voyage. Il lui reste quelques sparadraps, traces de piqûres, courbatures (mauvais lit, mauvais sommeil) et surtout, la désagréable impression d'être malade. Il lui faudra la fin de la journée puis une nuit chez elle pour se sentir de nouveau, le lendemain matin, en parfaite santé.

Saluons ici pourtant la compétence, l'amabilité, le sens de l'accueil, la patience et le grand professionnalisme des personnels du service de pneumologie du CHU. A l'exception de "l'accueil" dans le service et du dispositif anti-fugue, témoignant d'un léger excès de zèle, chaque contact, chaque rencontre, a été un moment plutôt agréable et plein d'humanité.

Joyeux Noël et Bonne Année aux dévoués soignants de l'hôpital public, cette grande et nécessaire machine.