Le numéro de ce billet tombait à pic ! Ah c'te bonne vieille 304 coupé à phares carrés...

Je dédie ce billet à un Henri très sage qui me disait hier : "j'ai compris que j'avais légèrement changé de situation dans la vie parce qu'avant, ceux qui me bousculaient dans la rue c'étaient des vieux cons. Ensuite, des cons. Mais maintenant, je trouve que c'est des petits cons".

Vieillesse, donc. Seniors, aînés, personnes âgées (et les autres, ce sont des bêtes ? Pourquoi ne dit-on pas "personne enfantine", ou "personne adolescente" ?), ou "vieux", ou encore celui qui a notre préférence : "vioque". Que de jolis mots pour désigner le seul état dont on sache avec certitude, bien que de manière assez globale et imprécise, comment on va sortir...

La désignation et le fait de vieillir sont en passe de devenir le marronnier préféré des médias - et nous ne parlons pas seulement de "Notre Temps" ou de "Seniors-Région", non plus que du trop peu lu "Ehpad Magazine" (totale marrade entre ses pages), mais dont le tirage devrait augmenter notablement dans les vingt prochaines années.

Eh bien, pour tout vous dire, la Taulière en a ras, mais ras la couche Confiance (qu'au demeurant elle n'utilise pas - pas encore).

Un jour je compilerai, promis, tous mes textes traitant de cet âge nommé troisième jusqu'à ce qu'on invente le quatrième pour désigner la situation du débris végétatif qui, quand il ne se bave pas dessus, se fait caca dessous.

D'ailleurs, vous avez remarqué qu'il y a eu un tiers-monde, puis un quart-monde, pareil. Bizarre qu'on n'ait pas encore conceptualisé le quint-monde et le 5e âge (qui durerait dix minutes avant la fermeture des vannes, en gros).

Nous allions oublier "retraités", une appellation qui induit de surcroît un genre de privilégiés qui n'en foutent pas une rame et touchent le fruit de ce pourquoi vous, vous cotisez. Bouffeurs de laine sur le dos des générations futures, tout ça pour aller s'aérer le sac d'os à Hammamet ou, pour les plus fauchés, déposer sa bedaine autour d'une table de scrabble ou de macramé dans un centre social financé par VOS impôts !

Il faut régler ici une bonne fois pour toutes son compte au récent procès en pwofitasyon(1) que subissent les retraités d'aujourd'hui, procès répété de façon imbécile par des gens qui, en plus, votent à gauche (mais pensent avec un seul neurone), sans se rendre compte qu'ils diffusent gratos la doctrine ultra-libérale du chacun pour soi, doctrine implantée dans leur pauvre tronche pour mieux les préparer au paradis de la retraite par capitalisation... Personne, voici seulement vingt ans, n'aurait eu l'idée de reprocher à papi la soupe qu'il se préparait, nom de dieu, avec les picaillons de sa pension, pas plus que de vilipender son mioche parce qu'il fréquente le lycée ou la voisine qui soigne ses rhumatismes.

Ces con-ne-s qui vont répétant qu'ils bossent pour "payer TA retraite" comme me le disait voici peu une personne qui a été un peu moins une copine depuis, ne se sont pas sentis gênés lorsqu'ils mettaient leurs gosses au monde, puis à l'école, ou leurs propres vieux en EHPAD, de le faire grâce à MES impôts, oublient allègrement que a) les retraité-e-s ont cotisé et payé des impôts toute leur vie, b) paient un certain nombre de cotisations sociales et des impôts quand leur retraite dépasse un certain montant qui doit être scandaleusement élevé (au moins 1,2 SMIC), et c) que ça s'appelle un système solidaire, qu'il sera temps de chialer enfin quand celui-ci sera aboli sous toutes ses formes. Un conseil : préparez vos mouchoirs.

Arrêtons-nous maintenant sur le concept et la réalité du vieillissement.

Le quotidien d'une personne vieillissante - préférons cet adjectif illustrant un processus en cours, dont on est sûr (bonne nouvelle !) qu'il s'interrompra un jour - ce qui n'est pas le cas de moultes choses désagréables dans la vie, ce quotidien, donc, est fait d'un nombre de joyeusetés dont on n'a pas idée tant qu'on n'a pas franchi, disons, la barre des 60 balais.

Par exemple, les fameux "tamalous", cortège de petites et moyennes douleurs qu'on ne sait à quoi attribuer, qu'on essaie de raconter à son médecin... Comme si devenir vieux se soignait. C'est qu'on n'a pas compris tout de suite. Le médecin, qui sait, lui, vous répond d'un mince sourire ou, s'ellil est du genre interventionniste, empoigne son ordonnancier - je veux dire : se tourne vers son ordi - et vous fait cracher par son imprimante une liste de chouettes placebitos (2) qui vont vous enlever la petite froissure articulaire là, à la cheville. Mais merdre, la voilà qui apparaît à l'épaule gauche.

Pourtant, vous morigénez-vous, j'ai rien fait. Oui, justement. Ou plutôt, si : vous avez trimballé un sac un peu lourd dans les transports en commun et les halls de gare pendant deux heures, parce que vous continuez à faire la personne affairée - dans le sens : qui est encore aux affaires - alors que.

Les "insomnies" ensuite. Oui, il faut du temps pour accepter l'idée qu'on ne dormira, dorénavant, que six heures. Les mécréants qui continuent de se pieuter après le dernier journal du soir en sont quittes pour "l'insomnie" de quatre heures du matin, qui n'est que l'heure, pépé, ou tu devrais te lever comme le conseille ton vieux corps... Ouille !! Ben oui, lève-toi, mais pas si vite.

La Taulière a choisi l'option couche-tard, un chouia plus coûteuse en énergie électrique. Elle est à la recherche de solutions économiques et foutez-moi la paix avec vos bougies, je peux pas y coller ma clé USB. Ca lui donne la satisfaction d'ouvrir l'oeil à huit heures du mat, c'est chouette, elle a chaque matin l'impression de profiter grassement de sa RETRAITE.

Le budget santé : reportez-vous à celui du Ministère de la Culture, section restauration des monuments anciens. Impondérable, extensible, inextinguible sera le budget. Quand c'est pas les dents (enfin : les bridges) qui se barrent, les gencives molles, c'est la tuyauterie qui déconne. Quand c'est pas le genou, c'est la 4e lombaire. La coiffe de l'épaule (oui, le sac...). Lunettes. Appareil auditif.

A propos, faut avoir vu l'air hagard (de l'Est) de mon pote âgé du lundi lorsque je lui cause, pourtant en plein dans son pavillon garni d'un machin translucide qui ne trompe plus personne mais n'améliore pas la performance de sa trompe (d'Eustache), pour soupeser l'inutilité de s'équiper d'une Rolls de l'audition augmentée.

A un moment, faut te raisonner, tu vis au milieu d'un grand film muet. L'emmerd', c'est que dans le muet les acteurs s'expriment face public et toujours avec forces mimiques pour fabriquer du dialogue en silence. Imaginez la trombine du chauffeur de bus en Buster Keaton, roulant des yeux et se désossant pour vous expliquer le prochain arrêt. Ou la vendeuse de la boulangerie se tordant les mains, rajustant ses accroche-coeurs et battant des cils, les yeux mourants, pour vous signifier qu'elle a pus de baguette tradition.

Nous n'abordons ici, pour ne pas vous effrayer, qu'un dixième environ des joyeusetés de l'âge seniorisant. Une prochaine fois, on traitera des publicités pour obsèques qu'on reçoit à longueur de journée, de la transparence absolue qu'on acquiert dans la rue, où bagnoles, deux-roues et autres planches à roulettes vous frôlent l'arrière-train ou vous débouchent devant comme s'ils allaient juste traverser un ectoplasme, et c'est sûr, ça va finir par arriver.

On gardera pour la fine bouche (ha ha) les ennuis digestifs et leur corollaire (extrémité des tubulaires vers l'extérieur, on ne vous en dira pas plus).

Sans parler de la radoterie qui nous a bien gonflés quand c'étaient nos propres parents qui répétaient/oubliaient (c'est la paire gagnante, une hilarante alternance), mais maintenant, avec ceux qu'on persiste à appeler nos gamins alors qu'ils sont des adultes en voie de rassissement, on voit bien poindre l'agacement ou sa version light, le léger sourire.

Même quand, comme le dit joliment Nathaniel Hawthorne, on découvre "parfois que les cheveux blancs de la vieillesse étaient un chaume qui recouvrait une habitation intellectuelle en bon état", y a pas : l'ensemble du tableau de bord continue à clignoter, mémère. En attendant, persiste à faire les mots croisés du Canard et ceux de Télérama, si ça permet pas une réparation à neuf, ça lubrifie toujours les pièces.

A propos de l'auteur cité ci-dessus, la citation provient du très réjouissant "Bureau des douanes", une histoire dans l'histoire qui figure en tête de son roman "La lettre écarlate". Il est regrettable que les éditions "Classiques de Poche" n'aient pas cru devoir adjoindre à celui-ci les autres récits courts que Hawthorne avait destinés à faire partie du recueil, tel celui intitulé délicieusement : "Le ruisseau en provenance de la pompe municipale". L'excellente verve déployée par l'auteur pour peindre des vieillards dans "Le bureau des douanes" (on se marre tout du long) laisse augurer le meilleur pour ses autres histoires courtes, qu'on va tâcher de se procurer bien vite.

Bref, pour en revenir à notre mouton, qu'est-ce qui a donc déclenché ce billet iratoire qui s'oriente bel et bien vers la participation à la compil du siècle par votre Taulière préférée ?

Deux faits concomitants : d'abord, la trouvation ce matin, dans sa boîte aux lettres, d'une invitation produite par sa caisse de retraite complémentaire (3) à un ciné-débat autour du film : "LA DERNIERE SAISON SERA FLEURIE"

Certes, quand on se balade dans un cimetière et à ses abords, on ne peut pas nier que la gent floristique fait son max pour inciter à fleurir la saison en question. Un peu tard, je vous l'accorde, pour qu'en puisse jouir l'impétrant-e (qui a, de toute évidence, fini de pétrer), mais bon : appelons-ça une arrière-saison.

Non mais, qu'est-ce qu'on nous prend pas pour des cons de chez cons ? Va te faire fleurir au cantou, Bazu !

Oui, alors y a le film (un vrai blockbuster, vous aviez remarqué), et pis après un psy (bientôt ils seront collés directos aux croque-morts), qui va nous animer un débat au poil sur la nécessité de danser sur un sentier fleuri parmi les papillons, les mouettons et les petits zoizeaux. Passe-moi ma canne, tiens.

J'ai pas regardé qui joue dedans, peut-être Eastwood, Caine (revenu de chez Sorrentino), Ursula Andress et Bette Davis. Quoi ? Ah bon, elle est morte ? Daniel Emilfork alors ? Ah bon, aussi... Vous avez remarqué, j'ai pas causé de Depardieu-et-la-Belgique, ni de Deneuve. Rien de tel que les vieux amerloques pour faire des vieux vraiment beaux. Tant qu'à faire. Deneuve, la pauvre, elle a fréquenté le même chir-esthétique qui a inventé le sourire "Joker".

Bref, y a eu cette invitation-là, donc, et pis aujourd'hui sur France 3 Bourgogne.fr on lit ceci : « Un phénomène a débuté : les générations nées entre 1946 et 1973 commencent à arriver aux âges élevés où l'on meurt. ».

Pour ce qui est du début de la tranche, pas la peine de nous le claironner, Duconneau. On sait compter. D'autant qu'elle se plaît à parier, la Taulière, qu'elle fêtera son millième billet de blog. Alors tu vois, Bazu.

Mais pour les gens nés en 73, excusez du peu : "âge élevé où l'on meurt" ?? Une personne de notre connaissance, née en 72, devrait donc commencer à choisir sa résidence senior ? Faut qu'on lui téléphone la bonne nouvelle. Entre son job qui l'occupe 23/24, l'école de ses filles dont l'une est encore en CE2 et l'autre passe le bac dans deux ans ; le footing qu'elle essaie de trouver le temps de faire, sans parler de bénévolat ici et là, des fringues au pressing, des copines à voir, quelques fiestas, deux ou trois conférences téléphoniques et un peu de cinoche tout de même, mais mon dieu mon dieu, où va-t-elle donc, de son âge-élevé-où-l'on-meurt (de rire) d'à peine 44 piges, trouver le temps de s'en occuper ? Surtout qu'elle va pouvoir prendre sa retraite à l'âge qu'a sa maman aujourd'hui. Voilà qui va compliquer un peu les dossiers, non ?

Sérieux, il a quel âge, le pigiste qu'a pondu cette joyeuseté ? (la phrase, en plus il l'a mise en gras, le petit salaud). Y a un lecteur plein d'humour qui a commenté sobrement "Bonne nouvelle !".

Et la dernière saison sera sacrément fleurie...

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(1) Pwofitasyon, mot créole (profitation) utilisé en 2013 en Guadeloupe lors des émeutes contre la vie chère, en particulier à l'usage des banquiers et du monde de la grande distribution.

(2) A propos de placebos, un de mes proches qui se reconnaîtra milite pour la prescription combinée de Viazac (effet thérapeutique : on bande plus mais on s'en fout) et de Rigolax (détendeur de boyaux dans tous les sens).

(3) La même caisse de retraite complémentaire prêchait, l'année passée, pour une dernière saison plus avinée que fleurie, vu qu'elle nous proposait une journée de promenade (en car) entre Beaujolais et Dombes, avec une première halte à 10 heures chez un vigneron où l'on aurait dégusté des produits du terroir : terrine, saucisson, fromages autour des crus concoctés par le vigneron assassin. Oui, assassin ! Le cholestérol est une arme par destination.

Ladite halte précédait une autre heure de route (brrreup, ron, psschh) avant d'aller s'asseoir au restau dans une auberge à menu traditionnel : grenouilles meunière (batraciens importés de Chine prenant leur dernier bain dans 3 livres de beurre), quenelle Nantua (sauce, sauce...), volaille rôtie (beurre, beurre...), champignons à la crème, je vous fais grâce de la suite. Faudrait savoir s'ils veulent nous faire cueillir des fleurs ou nous emmener direct aux urgences gériatriques. Une contradiction dans les termes, si je puis me permettre.