Reçu ce texte d'une jeune fille qui se décrit ainsi : « Lycéenne parisienne, habitant non loin du secteur des attentats de novembre (Charlie aussi, remarque), défendue de métro depuis les attentats de novembre mais le prenant toujours (régulièrement jusqu'aux attentats de Bruxelles, puis nettement moins souvent) ».

L'Appentis Saucier a quelquefois ouvert sa page à des textes "invités". Voici un récit particulièrement poignant, d'où la décision (conjointe avec l'auteure) de le publier ici, et l'option prise par la Taulière de n'y pas changer une virgule.

« Il y avait comme un blocus au lycée, du coup on avait quartier libre avec J. (une amie). On s'est baladées dans Paris, on s'est assises sur le trottoir, il faisait beau. On a visité une boutique de luxe sans rien acheter, et on a pris un café avec des amis de mon père -en son absence-, et en partant, on a oublié de payer. Dans l'après-midi, j'ai décidé de rentrer chez moi, à Stalingrad. Comme je m'étais baladée à pied, j'étais fatiguée, alors j'ai pris le métro. Tout se passait bien, le métro aérien, quand y a du soleil c'est chouette. J'étais dans un carré à la tête du train, à côté d'un gars un peu vieux mais pas trop. À une station, je sais plus laquelle, quatre ou cinq hommes entrent, en djellaba blanche, la quarantaine, enfin je parle pour celui que je voyais le mieux, les autres étaient derrière moi. Celui que je voyais le mieux ressemblait vachement au gars à côté de moi. Joufflu, barbu, avec des lunettes. Avec leurs tenues blanches, j'ai pensé que c'était des comédiens, des clowns quoi. Debout, celui que je voyais bien entame un discours sur "comme c'est bête de prendre le métro un jour de grand soleil comme ça, franchement vous êtes des flemmards, regardez ce couple dans cette terrasse sous le soleil comme il est heureux. vous voulez pas être pareil ?... bon, à La Chapelle (une station qui arrivait très bientôt), on va lancer un compteur de dix secondes, et si vous êtes pas sortis dans les dis secondes, vous explosez avec la station. C'est compris ?" Quand j'ai réalisé que c'étaient des terroristes, je m'étais mise à observer leur tenues, à regarder s'ils avaient des armes... en oubliant d'écouter les explications. Et parce qu'ils étaient terroristes, j'ai immédiatement pensé qu'on allait tous sauter, et que donc les explications étaient pour moi de rester dans la rame. Mais pour être bien sûre, j'ai demandé : "Donc... on doit pas sortir, c'est ça ?" Ils ont du me trouver stupide ! Ils ne m'ont même pas répondu... Ils ont parlé encore un peu, je pensais à envoyer un message à maman, qui m'a interdit de prendre le métro (même si je le prend quand même) et lui dire que j'étais désolée de l'avoir pris cette fois-ci. Le métro est arrivé à La Chapelle, et les passagers, auparavant tout calmes, se sont rués dés l'ouverture des portes. J'étais avec eux, je courais étonnamment vite. On a monté des escalators, on en a descendu d'autres, ceux qui ne connaissaient pas la station étaient vraiment dans la merde. Une voix d'homme dans un micro comptait à rebours. mais j'écoutais même pas. Enfin j'ai passé les grilles, et je me suis retrouvée sur le boulevard, avec plein d'autres personnes qui couraient dans tous les sens, et le ciel était très sombre. Le compte arrivait à zéro, et je m'éloignais le plus vite possible... Je me suis retournée et j'ai vu la station qui se fermait et des gens qui criaient très fort. Et puis la station a explosé. C'était irréel. J'étais exténuée, je ne savais pas si j'allais à Barbès ou à Stalingrad. Avec la fumée je voyais plus rien, je errais seule sur le boulevard, et d'autres gens, mortifiés, erraient comme moi. De la braise flottait dans l'air, de la cendre, et des petites flammes, là... Je me suis dit que ce n'était pas sûr de rester là, dans la rue, ils avaient sûrement dû faire péter d'autres stations... Après m'être trompée de sens (je me suis retrouvée à Barbès), je fis demi-tour, et je retrouvai la station en ruines. Il y avait sûrement des cadavres partout, mais il y avait tellement de fumée que je ne pouvais pas les voir... Par contre, je les heurtais, je marchais dessus sans faire exprès. Il y avait des pleurs, des cris de douleur. Après ce passage difficile, je trouvais des hommes qui se dirigeaient vers Stalingrad, et me mettais à les suivre de loin. En voyant le jardin devant lequel je passe tous les jours, qui se trouve à quelques mètres de ma place, de mon avenue de Flandres, de mon Quai de la Seine, j'ai su que ça irait mieux... Après, je me suis réveillée, et j'ai voulu envoyer un message à maman pour lui dire : "T'as vu ce qui s'est passé à La Chapelle ?" mais il s'est rien passé, en fait. C'était un rêve. »