Dernière minute : trouvé ceci dans la presse : « Euro 2016 : le train du trophée est arrivé à St-Etienne »
C'est bien le seul qui soit arrivé !

1er mouvement - Gare de Lyon Part-Dieu, vendredi soir

Un beau couple, les Céhef : avec lui, c'est possible (qu'ils disaient). Avec elle, on est bercé par d'imperturbables annonces émises d'une voix unie au milieu du bazar ambiant. Elle énonce, Simone, sereine en dépit du gloubi-boulga des panneaux mobiles qui cliquètent pire qu'à la Bourse, immuable au milieu des cheminots errant sur les quais, indifférente aux voyageurs torticolisés devant les affichages haut placés (comme si des girafes, voyageant seules et sachant lire, risquaient de nous boucher la vue à cinq mètres de haut).

Elle énonce, rectifie « contrairement à ce qui a été annoncé… », sans s'émouvoir de ces vagues et contre-vagues de porteurs d'énormes valises courant d'un escalier à l'autre (bon sang, qu'est-ce qu'ils emportent donc comme ça les gens ? Leur bouffe du mois ? des contrebasses sciées en deux pour la contrebande ?). Elle est Simone-la-débranchée, annonçant ce qui n'est pas et taisant ce qui est, prévenant, dix minutes après, de ce qui ne s'est pas produit dix minutes plus tôt : la merdouille intégrale.

« Kess' vous voulez que je vous dise : c'est le bordel, moi aussi j'suis paumé... », confirmait en riant l'un des uniformes le même jour mais le matin et dans une autre gare, devant un train qui partait, oui, qui partait, mais à aucun des horaires annoncés, pour une autre gare que celle annoncée, train malgré tout providentiel qu'avec d'autres hagards (de Châteaucreux) la Taulière remplit de sa bénévolente présence.

Et elle partit pour la Part-Dieu, droit vers l'est, alors qu'elle se rendait à Perrache, plein sud-ouest. « Asi va la vida mi Simonaaaaa », chantonnait la Taulière qui le soir même, se gourant d'un élan dans sa folle ambition de rentrer chez elle, sautait à la Part-Dieu dans un TGV qu'elle croyait dirigé vers sa bonne ville de Saint-Etienne et se retrouvait... à Lyon Perrache. Bon, d'accord, quatorze heures après qu'elle avait tant souhaité s'y rendre ce même jour, mais enfin elle y était. Et, miracle, un autre train partait de Perrache ! Et il allait à Saint-Etienne ! Même si, sur le panneau des "infos-mobilité" de la gare, il était annoncé comme supprimé. Y a une justice : celui qui avait été annoncé partant le matin, n'était jamais parti. Vous suivez, là ?

Petite parenthèse : c'est à des détails comme celui-ci qu'on reconnaît les grandes villes qui veulent se pousser du col pour ressembler aux plus grandes, ou à la capitale, mais ne sont pas Paris, n'est-ce pas m'sieur Collomb ? Il n'y a AUCUNE LIAISON DIRECTE entre Perrache (gare antique, historique, petite et vieillotte que, pour ces raisons, la Taulière affectionne) et la Part-Dieu. Il faut prendre un tram-escargot, ou un métro qui va loin dans l'est, changer de ligne dans une station mal foutue au possible et repartir en arrière en perdant dix minutes de plus pour arriver dans ce quartier dit "des affaires" (on se demande bien lesquelles, d'ailleurs, si ce n'est sucer le sang du citoyen à coup de centre commercial, de tours d'assureurs et de banques d'investissement). Ou alors, comme je l'ai découvert par hasard vendredi soir, prendre un TGV. Mais attention : si celui que vous croyiez à destination de Perrache se rend à Saint-Etienne, pas la peine de venir sonner ici pour vous plaindre. Je vous aurai prévenus, il aurait mieux valu essayer l'Intercités pour Aix-les-Bains.

Gare sous-dimensionnée par les soins d'un architecte des années soixante-dix qui n'était pas visionnaire, Lyon Part-Dieu voit passer aujourd'hui environ 250 000 voyageurs par jour au lieu des 35000 prévus à l'origine (ça donne une idée des circulations dans le hall). Gare d'où il est impossible, par le métro, de rallier simplement et rapidement l'hyper-centre de Lyon, la Part-Dieu se signale également par des chiottes nauséabonds.

Des toilettes (le mot est trop précieux pour refléter la réalité) en déficit d'aération et pourries de surfréquentation (oui, sur les 250 000, y en a sûrement la moitié qui effectuent un dépôt ici chaque jour en visant plus ou moins bien), dégueulasses malgré le travail enivrant accompli par une horde d'esclaves qui récurent à longueur de journée, usés jusqu'à la corde, les murs virgulés comme au vingtième siècle, sièges et interrupteurs branlants, poubelles rouillées... mais il faut verser 50 centimes d'euro pour y pénétrer, enfin ça c'était jusqu'à fin avril parce qu'en mai on est passé à 0,70, soit une augmentation de 40 %. C'est sûrement pour alimenter la masse salariale.

Oui, quand la Taulière pense à Gégé, ce brave maire aux ambitions tourières (il veut couvrir la ville de ces hauts machins qui servent à rien alors que la moitié des surfaces de bureaux à louer à Lyon ne trouve pas preneur), qui se métropolise tous les matins, assis à l'arrière de sa berline avec chauffeur pour rallier son burlingue de l'Hôtel-de-Ville alors qu'en bus, depuis sa résidence de l'Ouest rupin... Mais vous n'y pensez pas ? Un ministre allemand peut se déplacer à vélo, le maire de Lyon, lui faut une berline... Gégé qui se gargarise de sa ville, donc, n'a jamais mis les pieds dans les WC de la Gare de la Part-Dieu, qui sont la première honte lyonnaise que découvrent les voyageurs étrangers sortant du Thalys, de l'Eurostar ou du Talgo barcelonnais. Petit joueur provincial, va...

Mais, ah, que j'aime Simone pour ses messages surréalistes, son aplomb dans la tourmente, sa sagesse immémoriale. Avec Simone, les trains partent, sont annoncés, entrent en gare, ou encore « en raison d'une difficulté dans la mise en place », prennent des retards de 10 à 20 minutes qu'elle nous distille, dans son immense sagesse, en petite monnaie de 5.

En ce moment elle se surpasse, Simone. N'ai-je point entendu, voici quelque temps : « En raison de l'absence inopinée d'un personnel, le train numéro what mille truc est supprimé » ? Comment ça : supprimé ? C'était pas un jour de grève, je précise. Alors moi je dis : si maintenant les personnels inopinent de l'absence, eh bien faudrait peut-être rétablir la peine de mort. C'est vrai, quoi : le gars il chope une angine dans la nuit, sa femme accouche, sa vieille manman ripe des galoches et il faudrait qu'il soit au turbin le matin, le petit doigt sur la couture du patalon, et qu'il dépose un préavis d'absence de huit jours ? Mais malheureux, dans huit jours, la défunte sera enterrée, le petit aura pris un kilo et l'angine sera guérie !

Méditons un instant sur la subtilité qui consiste à dénoncer publiquement (et encore, pour le moment ça reste anonyme) le salarié absent à qui l'on fait porter la responsabilité devant les voyageurs restés à quai. Dans le temps qu'était si beau, quand j'estois jeune, y avait des personnels d'astreinte dans un local prévu pour ça, en nombre suffisant, et qui se présentaient à toute réquisition pour faire partir et arriver les trains à l'heure. Mais ça, c'était du temps du service public. Quoi ça coûte trop cher ? Evidemment, ça dépend des priorités qu'on se donne. Je vous le dis, bientôt : « En raison de la grippe d'Albert Dugenou, le train machin-truc est supprimé ». S'afficheront alors les coordonnées du malheureux y compris son compte touitteur.

Bref, n'ai-je point cru avoir la berlue lorsque, ce vendredi matin, le train de 6 h 50 décarrait tranquillos à 6 h 45 alors que des travailleurs stéphanois qui vont marner à Lyon, et pour qui ce train est un métro, restaient dans l'escalier, interdits, n'en croyant pas leurs yeux écarquillés à hauteur des boggies défilant de plus en plus vite ?

Heureusement, Simone veillait... Sa maternelle voix retentit, dix minutes plus tard, au milieu d'un quai à peu près désert de ses deux voies éclairées par le soleil levant : « Voie C, en arrière s'il vous plaît, le train TER numéro etc. à destination de Lyon Part-Dieu, départ initialement prévu à 6 h 50, va partir, attention à la fermeture des portes, attention au départ ». Il était 6 h 55. Quatrième dimension assurée pour les voyageurs rabaissés par ces fantaisistes au statut de retardataires et qui, je l'affirme, regardaient partir ce train fantôme tandis que le vrai, arrêté un kilomètre plus loin, n'avait pas le signal de passage, forcément.

Ce que ne savaient pas les gens arrivés (en vain) cinq minutes avant le départ, c'est ce que j'avais entendu, moi, deux minutes plus tôt : « Les voyageurs doivent monter dans le train au moins deux minutes avant le départ. Au-delà de ce délai, l'accès au train n'est plus garanti. ». Simone, grosse menteuse cynique, le compte n'y est pas, il manque encore trois minutes pour que la SNCF respecte sa clientèle !

Pourquoi la Taulière avait-elle assisté à cette scène déconcertante ? Eh bien, voyons : parce qu'elle attendait sur la même voie son train pour Perrache de 7 h 04, lequel, supprimé INOPINEMENT, fut remplacé à 7 h 12 par un train pour La Part-Dieu.

Farceuse Simone, qui nous berce de sa comptine absolument hilarante pendant la presque totalité du voyage de retour, avec une annonce conçue par un crâne d'oeuf particulièrement pensant : « Ce train desservira les gares de Oullins-attention-à-la-hauteur-entre-le-marchepied-et-le quai, Pierre-Bénite-attention-à-la-hauteur-entre-le-marchepied-et-le-quai, Vernaison-attention etc. ». Entre Lyon Perrache et Saint-Etienne (1), pas moins de quinze gares, minuscules pour la plupart, dont douze ne seraient donc pas aux normes, d'après cette bonne Simone.

Bon, tout ça c'est bien distrayant et ça occupe quand les trains roulent.

2e mouvement - le vendredi précédent

Alors là, ça ne roulait pas mais alors pas du tout. Après un scénario à peu près identique depuis le début des grèves (train annoncé ne partant pas, autre train à quai sans destination indiquée mais rempli de gens allant à Lyon, allez, montons donc), nous voilà en route dans deux rames complètement blindées du sol au plafond. Pas un strapontin (qu'il fallut bientôt replier), pas une marche d'escalier, pas un coin de couloir qui ne soit occupé, le coefficient de respiration s'amenuisant au fil des minutes tandis que des usagers complètement usagés, paniqués à l'idée de ne pouvoir aller taffer, poussaient encore et toujours la foule déjà compactée (comme quoi, hein, quand on veut...).

Inutile d'appeler à la civilité dans ces cas-là. Si, pourtant, un jeunot ne tardait pas à laisser son strap à la Taulière qui put en jouir (hum) pendant à peu près vingt minutes. En revanche, l'humour sauve l'ambiance : « Mesdames et Messieurs, maintenant c'est la minute de solidarité, chaque voyageur assis prend quelqu'un sur ses genoux ! L'étape suivante c'est : chaque personne prend quelqu'un sur les épaules », énonçait d'une voix vibrante un rigolo bien décidé à assurer l'animation.

De blagues en interpellations, les rires détendent l'atmosphère jusqu'à la gare de Givors Ville (il existe, à quelques deux cents mètres de celle-ci, une délicieuse gare de Givors Canal dont il faut que je vous parle un jour). Une voyageuse habituée de ces jours de grève marmonne : « là c'est foutu on repartira pas, "ils" vont descendre sur les voies ».

Et en effet : les voyageurs de Givors, empilés jusqu'à la deux-centaine, voyant cet unique train de la matinée s'avancer, les portières saturées par les gens collés contre les vitres, et comprenant que, même en tuant une vingtaine d'entre nous, ils ne parviendront pas à monter, se rendent sur les voies pour protester.

Dans le train, fort mouvement de solidarité : tous ceux qui sont jeunes, plein d'allant et qui font attention à la différence de hauteur entre le marchepied et le ballast, sautent sur le rail. Attente silencieuse. De temps à autre, un voyageur appuie sur le bouton vert pour rouvrir les portes et donner de l'air. Le conducteur, qui n'en manque pas, lui, nous conseille « d'aller plutôt prendre l'air sur le quai ». La Taulière récupère son strapontin dans un sas miraculeusement vide, et passe son deuxième coup de fil pour annuler son rendez-vous.

Soudain, miracle : de cette gare déserte, sortent en rafales : une dizaine de gilets orange, plusieurs chefs, sous-chefs, employés divers dont l'haleine fleure bon le café frais, et une vingtaine de robocops du rail qui positionnent leurs mollets d'acier sur le quai, mains croisées dans le dos, gilets pare-balles bien lissés, comme à l'exercice. On se sent parfaitement en sécurité, voyez-vous. Il est vrai que la masse menaçante d'abonnés en tenue de ville, qui demandent simplement à pouvoir rejoindre leur poste de travail pour ne pas se faire virer pour absence (oui, les prud'hommes en sont pleins, de ces abusifs licenciements), nécessitait bien un détachement complet de la ferroviaire.

Bref, ça palabre. Le chef de train s'époumonne : y a un train qui est prêt à venir depuis Givors Canal pour récupérer les "naufragés du rail". On le voit presque au bout de la voie, mais comme les gens y sont, sur la voie, eh bien on ne lève pas le signal de sécurité et le train de secours, là-bas, ne peut pas démarrer.

Y a ceux qui voudraient bien repartir et ceux qui n'y croient pas, au train. Ceux qui voudraient bien qu'il s'avance un peu, qu'il se meuve et nous émeuve... Y a les irréductibles qui ne croient plus à rien (ils en ont trop vu), et qui non non non, ne sortiront pas d'ici, mais, crie le chef de train, si vous bougez pas le train y viendra pas alors ?

Tension digne des scènes de gare de Sergio Leone. On croit ouïr un air d'harmonica, que sais-je, le vent dans les herbes folles alentour. Les gilets orange font craqueter leurs talkies-walkies.

La Taulière se dit que, perdu pour perdu, elle va en effet prendre l'air et se rend illico sur la voie d'en face où, bon sang, un train va bien se pointer avant la nuit... Là, il est 10 heures 20 du matin, elle est partie depuis 7 h 30 de chez elle, il lui faut se dégourdir les jambes.

D'autres moutons voyageurs la suivent. Du côté du train en rade, un mouvement de rentrée dans le rang (et dans le wagon) s'organise, des jeunes gens vigoureux tirent par le bras de jeunes femmes aux lourds sacs à main qui sont chaussées de trucs totalement inaptes à manifester son mécontentement sur la voie publique, genre bottes à talons aiguilles, escarpins vernis, etc.

Voilà le train de secours qui se pointe. Selon toute logique, celui-ci, qui va accueillir, donc, environ 300 personnes, est dimensionné pour transporter l'euro 2016 de foot. Pas moins de six rames, on va être à l'aise.

Tandis que ce train arraché de haute lutte s'ébranle, la Taulière prend place dans un carré vide et se marre en voyant en face, dans celui qu'elle vient de quitter, les gens toujours collés aux vitres et qui, eux, ne bougent pas. Ben oui, on a priorité. Qu'est-ce que tu veux, dans la vie on fait pas toujours le bon choix.

« Ce train est à destination... », commence Simone. La Taulière, à qui il reste vingt minutes pour récupérer, dort déjà (2).

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(1) Non pas Saint-Etienne, pour être précise, mais Firminy. Une fois le train passé par St-Etienne Châteaucreux, il dessert en effet St-Etienne Carnot (attention à la hauteur entre le marchepied et...), St-Etienne Le Clapier, St-Etienne Bellevue, La Ricamarie, Le Chambon-Feugerolles et donc Firminy, son terminus, vous savez tout cette fois. Les chroniques de la Taulière, je vous jure, c'est que des histoires de Chaix.

(2) Pour conclure ce long lamento ferroviaire, je ne résiste pas à l'humour de cette phrase piquée dans la notice Wikipédia de la gare de Lyon ) Part-Dieu, notice sans doute rédigée sous le contrôle du directeur général de ladite :

« Fin 2011, mise en service d'un nouveau quai avec une nouvelle voie, la voie K, permettant des liaisons sans arrêt, dites « bolides », vers Saint-Étienne-Châteaucreux, prolongées la plupart du temps jusqu'au Puy-en-Velay ».

Passons sur le mot de "bolide", qu'il fallait oser. Mais ne passons pas sur le mensonge du Puy : à peine un train sur six dessert Le Puy. Au départ de Perrache, gros balourdeur !... et pas de la Part-Dieu. Dans le sens inverse, la plupart, comme il ne dit pas, des rares trains partant du Puy arrivent à Saint-Etienne pile cinq minutes après que le direct Part-Dieu soit parti...

A part ça, la notice Wiki contient deux photos de la gare de Lyon Part-Dieu sans doute prises le 17 août à quatre heures du matin car elles montrent un hall quasi vide (on voit le sol, c'est dire) et un quai non moins désert.